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5.3 Le système Capella : résultats et interprétation

5.3.2 Modèle spectral

En plus de l’information astrométrique, nous avons également accès à une mesure spectrale du rapport de flux entre les deux composantes, ρ(λ). Contrairement aux données astrométriques, c’est la première fois que ce type de mesure est obtenu de manière directe pour Capella (l’analyse spectroscopique se fait en général sur un spectre composite, somme des spectres des deux composantes).

Le rapport de flux final que nous avons retenu correspond à la moyenne des résultats obtenus aux trois dates d’octobre 2011. Cela constitue au final un jeu de six mesures par canal spectral puisque chaque date fournit deux mesures indépendantes, correspondant à chaque jeu de neuf fibres (v-grooves gauche et droit). Les rapports de flux des autres époques où nous avons observé Capella (juillet et décembre 2012) n’ont pas été pris en compte à cause de leur qualité bien inférieure, comme illustré sur la figure 5.11. Cela n’était pas aussi défavorable pour les paramètres de position puisque ceux-ci bénéficient de la moyenne sur les canaux spectraux, ce qui augmente leur rapport signal-sur-bruit d’un facteur √nl≈ 12 (pour nl≈ 150 en moyenne, soit 80 % des 190 canaux spectraux totaux).

Le rapport de flux spectral final est présenté sur la figure 5.12. Il s’agit du rapport du spectre primaire sur le spectre secondaire, c’est-à-dire composante froide sur composante chaude.

5.3.2.1 Analyse des caractéristiques spectrales

L’analyse du spectre a été menée en collaboration avec Gaspard Duchêne, chercheur et enseignant à l’Université de Californie à Berkeley, spécialiste des systèmes binaires, et avec l’aide de France Allard, chercheuse à l’Université de Lyon, spécialiste des modèles atmosphériques stellaires.

On note en premier lieu que nos résultats sont compatibles à moins de 2 σ avec les mesures de rapport de flux antérieures prises dans notre bande spectrale, comme l’illustre la figure5.12-a. La pente globale observée semble également bien en accord avec l’ensemble

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Figure 5.11 – Rapports de flux par date d’observation, avec le rapport de flux final superposé.

Celui-ci est calculé comme la moyenne des six mesures indépendantes obtenues pour la période d’octobre 2011 (deux mesures indépendantes pour chacune des trois dates).

des mesures déjà existantes et permet par ailleurs de confirmer que la composante froide devient la plus brillante aux longueurs d’onde infrarouges. On détermine à partir de nos mesures que l’inversion de la tendance a effectivement lieu à 0,64±0,01 µm.

On remarque également la présence de raies et de bandes : notamment la raie Hα

qui apparaît à 0,655 µm, et des bandes dans les régions 0,69-0,75 µm et 0,78-0,84 µm que l’on identifie comme des bandes d’absorption moléculaires de TiO et CN respectivement. Le léger écart observé pour la longueur d’onde centrale de la raie Hα (normalement à

656,3 nm) est très certainement dû à un petit défaut d’étalonnage en longueur d’onde, que nous avons déjà évoqué au chapitre précédent. Les bandes d’absorption sont une indication caractéristique des atmosphères froides, et sont une confirmation supplémentaire que la plus brillante dans l’infrarouge est la plus froide des deux composantes.

5.3.2.2 Ajustement de modèles pour contraindre les paramètres stellaires Pour évaluer dans quelle mesure nos données de rapport de flux permettent de contraindre les paramètres stellaires du système, un ajustement de modèles atmosphériques a été ef- fectué. Il s’agit des modèles récents BT-Settl (Allard et al.,2012a,b), calculés à l’aide du code PHOENIX (version 15.5,Allard et al.,2001, résolvant les équations de transfert radiatif en 1D pour une symétrie sphérique). Les taux référence d’abondances solaires utilisés dans cette version des modèles sont ceux définis par Asplund et al. (2009). Pour les taux de métallicité solaire et supérieurs, aucun excès en éléments α n’est nécessaire.

La librairie de spectres PHOENIX est composée de spectres échantillonnés tous les 100 K en température effective Teff et tous les 0,5 en gravité de surface log g. Chaque modèle testé

est calculé comme le rapport entre deux spectres synthétiques, dont la valeur médiane est normalisée de manière à correspondre au rapport de flux médian mesuré dans les données FIRST. Ce facteur de normalisation correspond en fait au carré du rapport des rayons stellaires, puisque les spectres synthétiques sont données par unité de surface émettrice. À titre de vérification, ces facteurs sont reportés pour chacun des meilleurs modèles que nous décrirons ci-après. Ils sont tous compatibles avec la valeur nominale tirée de Torres et al. (2009), qui est de 0,737 ± 0,044.

La grille de modèles est donc construite suivant quatre paramètres : une température effective et une gravité de surface pour chaque composante. Les valeurs de ces paramètres à tester sont choisies autour des valeurs nominales déterminées par Torres et al. (2009) (à savoir de 5200 K à 5800 K pour la composante chaude, de 4400 K à 5000 K pour la composante froide et de 0,5 à 4,5 pour les gravités de surface de chaque composante).

En supposant une métallicité solaire, le meilleur ajustement conduit aux paramètres stellaires suivants, également reportés dans le tableau 5.6 : Tch

eff = 5300 K, log gch = 2,0

pour la composante chaude, et Tfr

eff = 4700 K, log gfr = 2,0 pour la composante froide.

Le modèle correspondant est tracé sur la figure 5.12-b en trait plein noir. On note que les valeurs obtenues sont légèrement inférieures aux valeurs nominales attendues, que l’on peut difficilement remettre en cause étant donné qu’elles proviennent de l’exploitation de la quasi-totalité des données prises sur Capella (Torres et al.,2009). Le modèle correspondant au jeu de paramètres nominaux est représenté par la courbe en trait-point bleue.

La différence entre les deux courbes vient principalement de l’écart en profondeur de certaines bandes spectrales, notamment dans la région 0,78 µm-0,84 µm, correspondant à une bande d’absorption de la molécule CN. Le modèle nominal semble en effet présenter des bandes d’absorption qui ne sont pas assez intenses en comparaison du spectre mesuré, ce qui est compensé lors de l’ajustement du modèle par des températures effectives plus

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a) Comparaison avec les mesures de rapport de flux antérieures

0.5 1.0 1.5 2.0 0.0 0.5 1.0 1.5 2.0 Longueur d’onde (µm) Rapport de flux

b) Comparaison avec les modèles atmosphériques PHOENIX

Figure 5.12 – a) Rapports de flux mesurés avec FIRST (points noirs), comparés aux mesures de

flux antérieures (points gris) telles que rapportées parTorres et al.(2009). Les barres d’erreur ho- rizontales correspondent à la largeur de la bande sur laquelle a été effectuée la mesure. b) Rapports de flux mesurés avec FIRST (points gris) comparés aux modèles PHOENIX avec différents jeux de paramètres stellaires listés dans le tableau5.6. La courbe en trait-point bleue est tracée à partir des paramètres nominaux deTorres et al.(2009) et une métallicité solaire. Celle en trait plein noir correspond au meilleur modèle ajusté sur les données FIRST en supposant une métallicité solaire. Enfin, la courbe en pointillés rouges représente le meilleur modèle supposant une atmosphère plus riche en métaux ([m/H] = +0.5).

[m/H] = 0 [m/H] = +0.5

Paramètre nominal1 FIRST FIRST

Tch eff 5700 5300 5600 Tfr eff 4900 4700 4900 log gch 3.0 2.0 2.5 log gfr 2.5 2.0 2.5 χ2 red 4.37 2.89 2.31 Rfr/Rch 0,703 0,723 0,726

Références. 1 :Torres et al. (2009)

Tableau 5.6 – Paramètres stellaires des modèles atmosphériques PHOENIX (Allard et al., 2012b, supposant les taux d’abondance solaires deAsplund et al.(2009)) utilisés dans l’analyse du rapport de flux du système Capella. Les deux premières colonnes supposent une métallicité solaire, tandis que pour la troisième une métallicité sub-solaire. Ces trois modèles sont représentés sur la figure 5.12. Les paramètres tirés deTorres et al.(2009) sont légèrement différents de ceux de leur article à cause de l’échantillonnage discret imposé par les modèles PHOENIX.

froides et des gravités de surface plus faibles.

Une autre manière d’améliorer la qualité de l’ajustement consiste à supposer une mé- tallicité plus riche ([m/H] = +0,5, avec les abondances augmentées de manière uniforme à partir des abondances solaires). Cette hypothèse conduit à des paramètres stellaires plus proches des valeurs nominales : Tch

eff = 5600 K, Tefffr = 4900 K et log gch = log gch = 2,5.

Cependant un tel taux de métallicité n’est pas en accord avec toutes les mesures effectuées antérieurement, qui indiquent une métallicité plutôt solaire, voire inférieure.

5.3.2.3 Un modèle atmosphérique incomplet ?

En conclusion, on trouve donc que la pente globale du spectre de rapport de flux mesuré par FIRST est généralement bien reproduite, tant que la différence entre les températures des deux composantes est de l’ordre de 10-12%. En conséquence, il semble que ce soient les signatures spectrales dans les régions correspondant à des bandes d’absorption – en particulier dans la région 0,78 µm-0,84 µm – qui tirent les paramètres vers des valeurs plus particulières qui diffèrent des valeurs nominales.

Nous ne pouvons pas complètement exclure l’effet d’un biais qui affecterait le rapport de flux, qui pourrait notamment résulter des effets de transitions de clôture de phase qui s’effectuent dans le mauvais sens (voir le paragraphe 5.2.2.3). Cependant, il semble peu probable que cet effet intervienne précisément dans les zones d’absorption moléculaire. Les transitions de phase, comme le montrent les simulations présentées au paragraphe

5.2.2.2, se produisent lorsque la fréquence spatiale projetée dans la direction de la binaire

(proportionnelle à B/λ avec B la base projetée) correspond à la séparation. Autrement dit, aucune région de longueur d’onde n’est théoriquement privilégiée.

L’autre manière de considérer ce désaccord entre observations et modèle est d’envisager que les modèles d’atmosphère stellaire ne reproduisent pas correctement le spectre observé. Une hypothèse que nous pouvons émettre concerne d’éventuelles lacunes dans les listes de transitions moléculaires sur lesquelles s’appuient les modèles, et qui conduiraient à une opacité moléculaire sous-estimée. En effet, températures plus froides, gravités de surface plus faibles, ou métallicité plus forte sont des caractéristiques qui tendent à approfondir

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les bandes d’absorption de chaque composante, et également à creuser l’écart entre leur spectre respectif, ce qui a aussi pour effet d’approfondir les bandes d’absorption dans le spectre de rapport de flux. Dans la bande spectrale analysée ici, la molécule TiO, largement étudiée, contribue principalement aux bandes d’absorption, mais également la molécule CN (voir les étiquettes sur la figure 5.12-b). Cela paraît être plausible dans la mesure où la liste des transitions de cette dernière sont tirées des bases de données SCAN (Jorgensen,

1994) et sont potentiellement pas tout à fait à jour. De plus, la gamme de température des composantes de Capella correspond justement aux températures où l’importance de la molécule CN devient plus critique.