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4.3 Estimation des clôtures de phase

5.1.3 Détermination de la masse stellaire

Les systèmes binaires fournissent le seul moyen direct d’estimer la masse stellaire, paramètre fondamental d’une étoile, notamment concernant son évolution. En effet, en mesurant l’interaction gravitationnelle des deux composantes, on peut les « peser » en s’appuyant sur le fait que les orbites décrites sont képlériennes. Une telle mesure est inaccessible dans le cas d’une étoile isolée.

5.1.3.1 Cas des binaires visuelles

Les binaires visuelles donnent accès à la mesure de l’orbite du système que l’on définit par le demi-grand axe a, l’excentricité e, la période de révolution P et la date du passage au périastre T0. L’orbite que l’on mesure est généralement celle du mouvement relatif de

l’une des deux composantes par rapport à l’autre (on place usuellement la plus brillante à l’origine du repère). En réalité, les deux composantes suivent un mouvement elliptique ou circulaire autour du centre de masse du système (barycentre) défini par les demi-grands axes a1 et a2 liés par la relation : a1M1= a2M2 où M1 et M2 sont les masses de chacune

des composantes. La troisième loi de Kepler permet alors de relier demi-grand axe, période et masses :

a3 P2 =

G

2 (M1+ M2) (5.1)

où a = a1+ a2 et G représente la constante de gravitation.

L’estimation du demi-grand axe et de la période donne donc directement une indication de la masse totale du système. Cependant, il est à noter que l’orbite que l’on observe n’est pas directement l’orbite vraie, mais l’orbite apparente, projection de l’orbite vraie sur le plan du ciel (plan perpendiculaire à la ligne de visée). Comme illustré sur la figure 5.2,

l’angle entre les deux plans (du ciel et de l’orbite vraie) est l’inclinaison, notée i, variant entre 0◦(vu de face, tournant en sens direct) et 180(vu de face, tournant en sens inverse),

90◦ correspondant à un système vu par la tranche. Par des considérations géométriques

(détermination du cercle principal de l’ellipse correspondant à l’orbite vraie), il est possible de remonter à cet angle, donnant alors accès au demi-grand axe de l’orbite vraie. Il reste cependant une ambiguïté que l’on ne peut lever en analysant l’orbite apparente seule : une inclinaison i (< 90) et 180− i aboutissent à la même orbite apparente. Autrement dit, il

est impossible de différencier les nœuds ascendant et descendant (intersections de l’orbite avec le plan du ciel croisés respectivement en s’éloignant et en se rapprochant du Soleil).

De plus, il est également à noter que les longueurs qui entrent en jeu sont les longueurs réelles, non les distances angulaires, et qu’il est donc nécessaire de connaître la distance du système, obtenue par exemple par une mesure de la parallaxe. Le catalogue Hipparcos fournit de telles mesures pour un très grand nombre d’étoiles avec une précision de l’ordre de la milliseconde d’angle, mais toutes ne sont pas répertoriées. Bientôt, la mission Gaia (lancement prévu au second semestre 2013) complétera largement ce relevé.

Accéder à la masse individuelle de chaque composante requiert cependant une mesure complémentaire consistant à identifier leur mouvement relatif au centre de masse du sys- tème, donnant alors accès au rapport des masses. Différents types de mesures peuvent ap- porter l’information complémentaire nécessaire. Par exemple, des mesures astrométriques, relativement à des étoiles du fond (Hershey & Taff,1998), permettent d’identifier directe- ment la position du centre de masse. Dans certains systèmes triples ou d’ordre plus élevé, on peut déduire la position du centre de masse du système le plus serré, en supposant le mouvement des autres composantes plus distantes et plus lentes comme linéaire, ou quadratique (par exemple Duchêne et al.,2006). Enfin, une mesure spectroscopique com- plémentaire peut également permettre d’accéder aux masses individuelles, comme nous allons le voir juste après.

5.1.3.2 Cas des binaires spectroscopiques

L’analyse du décalage d’une raie dans un spectre stellaire indique que l’étoile est en mouvement suivant la ligne de visée. En effet, l’effet Doppler prédit pour une raie émise à la longueur d’onde λ0 un décalage ∆λ qui s’exprime ∆λ = λ0v/c, où v correspond à la vitesse

de l’objet projetée suivant la direction d’observation, et c la célérité de la lumière dans le vide. On peut ainsi, à partir des variations de position des raies dans le spectre établir un graphe de vitesse radiale pour l’une ou les deux composantes, selon qu’il s’agisse d’une SB1 ou SB2. Il s’agit de deux courbes en opposition de phase, généralement exprimée en km/s. Comme mentionné précédemment, ce type de mesure fournit l’information nécessaire pour lever l’ambiguïté de la position du nœud ascendant.

Lorsque l’orbite est circulaire et d’inclinaison i = 90, les courbes de vitesses radiales

sont sinusoïdales, et le raisonnement est assez direct pour remonter aux masses. Les vitesses linéaires des deux composantes, données par les demi-amplitudes v1 et v2, sont en effet

constantes et sont reliées à la période P et au rayon de chaque orbite a1et a2: 2πa1/P = v1

et 2πa2/P = v2. On peut donc directement en déduire le rapport des masses : M2 M1 = a1 a2 = v1 v2 (5.2)

La 3ème loi de Kepler donnée par l’équation 5.1dans le cas de l’observation astromé-

5.1. L’observation des systèmes binaires 137

a) Vitesses radiales Orbite apparente

b) Vitesses radiales Orbite apparente

Figure 5.3 – Exemples de mesure de vélocimétrie radiale tirés de Konacki et al. (2010). a) Binaire HD210027 (ι Peg) d’orbite quasi-circulaire et b) binaire HD200077 d’excentricité e = 0,7. Les mesures de vitesse radiale à gauche proviennent de données obtenues avec Keck/HIRES (cercles), Shane/CAT/Hamspec (triangles) et TNG/Sarg (étoiles). À droite sont représentées les orbites apparentes résultant du meilleur ajustement effectué sur les mesures de vitesse radiale et de visibilités carrées obtenues au Palomar Testbed Interferometer (PTI). Les points sur l’orbite ne sont pas des points de mesures mais représentent la portion d’orbite couverte par les mesures interférométriques.

permet de résoudre le système :

M1= P

2πGv2(v1+ v2)2 et M2 =

P

2πGv1(v1+ v2)2 (5.3) On note que les deux courbes de vitesse sont nécessaires pour estimer les masses de chacune des composantes.

Lorsque l’inclinaison n’est pas de 90◦, la situation est cependant moins simple, et les

vitesses mesurées ne correspondent pas directement aux vitesses linéaires, mais à leur projection sur la ligne de visée. On mesure donc K1 = v1sin i et K2 = v2sin i, et non

directement v1 et v2, ce qui se répercute par un facteur sin3i sur les masses. On ne

peut dans ce cas parler que de bornes inférieures pour chacune des masses. De plus, lorsque l’orbite est elliptique, les courbes de vitesses radiales ne sont plus sinusoïdales mais présentent une forme dépendant des paramètres d’excentricité et de l’angle ω définissant la position du périastre.

5.1.3.3 Cas des binaires à éclipse

Les binaires à éclipse sont détectées par leur courbe de lumière qui varie périodiquement dans le temps. L’étude de cette courbe est très riche en information. Ce type de binaire est cependant le plus rare car il nécessite d’observer le système par la tranche, ce qui est statistiquement moins probable que toutes les autres configurations réunies.

Bien souvent ces binaires sont également spectroscopiques : la levée de l’ambiguïté sur l’inclinaison (estimée à 90◦ de part la géométrie du système) permet alors d’avoir accès

aux masses des deux composantes grâce aux mesures de vitesses radiales (à supposer que la binaire soit une SB2). De plus, la connaissance des vitesses par spectroscopie fournit également un moyen d’estimer les rayons linéaires des deux composantes en chronométrant les durées de chaque éclipse (lorsque la composante A passe devant B, et inversement). Cette méthode fut pendant longtemps le seul moyen de mesurer des rayons stellaires, jusqu’à ce que l’interférométrie longue base fournisse la résolution angulaire nécessaire (Ligi et al.,2012;Boyajian et al.,2012, à CHARA par exemple).

À noter également que le profil des minima de flux permet d’estimer le rapport des températures effectives. En effet, la variation du flux pour chacune des deux éclipses pro- vient dans les deux cas d’une même surface : celle de la plus petite des composantes. Ainsi, si l’indice 1 se rapporte à la plus grande des composantes (R1 > R2), la profondeur de

chaque éclipse donne l’information suivante :

(

∆E1 = (Etot− E1) ∝ πR22σT14 lorsque 2 passe devant 1

∆E2 = (Etot− E2) ∝ πR22σT24 lorsque 1 passe devant 2

(5.4)

Ainsi le rapport des profondeurs en flux de chaque éclipse permet d’estimer le rapport des températures effectives T1 et T2.

Comme on a pu le voir, la combinaison des observations de différents types est in- dispensable pour accéder aux masses individuelles : l’inclinaison i peut être déterminée si l’orbite astrométrique est connue, ou s’il s’agit d’une binaire à éclipse. Cela peut alors conduire à des estimations précises des paramètres physiques de chaque composante. Ainsi, l’ajustement d’une orbite en exploitant à la fois des données de vélocimétrie radiale très précises (notamment poussées par les campagnes de recherche de compagnons planétaires) et des données astrométriques obtenues par interférométrie, permet àKonacki et al.(2010) d’atteindre une précision exceptionnelle de 0,06% sur l’estimation des masses du système binaire HD210027 (voir figure 5.3).