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4.3 Estimation des clôtures de phase

4.3.1 Estimateur de bispectre

Le bispectre est une quantité qui a été notamment introduite par Weigelt (1977) et

Lohmann et al.(1983). Il s’estime par le produit de trois termes de cohérence complexes correspondant à trois fréquences spatiales liées entre elles par la relation :

fij+ fjk = fik (4.18)

où fij correspond à la représentation vectorielle de la fréquence spatiale correspondant

aux pupilles i et j.

On forme alors le bispectre :

Bijk = µijµjkµki

= µijµjkµ⋆ik,

(4.19)

le symbole dénotant la valeur conjuguée.

L’argument du bispectre correspond à la définition de la clôture de phase puisque si l’on développe l’expression des µij d’après l’équation4.7, l’argument du bispectre s’écrit :

CPijk= arg (Bijk) = (∆Φij+ ϕij) + (∆Φjk + ϕjk) − (∆Φik+ ϕik)

= Φi− Φj+ ϕij+ Φj− Φk+ ϕjk − Φi+ Φk− ϕik

= ϕij+ ϕjk− ϕik

(4.20)

et on retrouve la propriété de la clôture de phase selon laquelle il s’agit d’une quantité « auto-étalonnée », autrement dit, qui ne dépend pas des perturbations atmosphériques.

Cependant, un tel estimateur est en réalité biaisé à cause du bruit présent lors de la mesure de l’interférogramme. Cela se traduit par une erreur systématique qu’il est important de prendre en compte afin qu’elle ne soit pas l’erreur dominante sur l’erreur statistique. On compte en effet sur le calcul de la moyenne d’un grand nombre d’observables pour améliorer la précision de nos mesures, c’est-à-dire l’erreur statistique.

Estimateur non biaisé par le bruit de photon Identifier les biais dans les estima- teurs est un problème classique. Il a ainsi été établi (Wirnitzer, 1985) que dans le cadre d’un interférogramme affecté par le bruit de photons, dont la statistique suit une loi de Poisson, un estimateur non biaisé du bispectre peut s’écrire sous la forme :

où Nph correspond au nombre total de photons formant l’interférogramme et les µij sont

exprimés en nombre de photons.

On trouve également l’expression de cet estimateur en fonction de la DSP réelle (non biaisée) dont |µij|2 est un estimateur biaisé :

DSPij = h|µij|2i − Nph, (4.22)

ce qui conduit donc pour le bispectre à :

Bijk= hµijµjkµ⋆iki − DSPij− DSPjk− DSPik− Nph (4.23)

Récemment, Gordon & Buscher (2012) ont également développé la formule d’un es- timateur débiaisé d’un bruit composé du bruit de photons et d’un bruit gaussien centré d’écart-type σp dépendant du pixel p. Physiquement, le bruit gaussien modélise le bruit de

lecture du détecteur. Ils utilisent pour cela une notation complexe pour la matrice P 2V M, qui revient à effectuer une transformée de Fourier discrète de l’interférogramme. Ainsi, si l’on note Hij p = exp  2iπ npfijxp 

, les éléments de la matrice P 2V M (l’indice p variant le long des lignes, et les indices ij se référant aux différentes bases variant suivant les colonnes), l’estimateur non biaisé s’exprime :

Bijk = hµijµjkµ⋆iki − hµij P p(Ixp+ σ 2 p)HpjkHpkii − hµjkP p(Ixp+ σ 2 p)HpijHpkii − hµ⋆ik P p(Ixp+ σ 2 p)HpijHpjki + hP p(2Ixp+ 3σ 2 p)HpijHpjkHpkii (4.24)

Dans le cas où l’on néglige le bruit de détecteur (σp = 0), l’expression se simplifie et l’on

retrouve l’estimateur de Wirnitzer(1985) de l’équation 4.21.

À noter que la difficulté potentielle concernant l’application de ces estimateurs consiste à mesurer les µij en unité de photons. Cela requiert donc une bonne connaissance du

détecteur utilisé, et notamment du facteur de conversion entre le nombre de coups mesuré en chaque pixel (en Analog to Digital Unit ou ADU) et le nombre de photons effectivement incidents sur le pixel, au risque d’introduire une source de biais supplémentaire.

De l’expression de ces estimateurs, on note que le biais introduit affecte seulement la partie réelle du bispectre. L’équation 4.23 permet même d’affirmer que dans le cas du bruit de photon seul, le biais est toujours réel positif, autrement dit, la valeur absolue de la clôture de phase associée (comptée entre −180◦ et 180) est systématiquement sous-

estimée (voir la figure4.14-b), sauf dans le cas des clôtures nulles ou égales à ±180◦. Dans

ces cas particuliers, le biais n’a aucune incidence sur la phase, seulement sur le module du bispectre.

L’effet du biais dû au bruit de photons est illustré sur la figure 4.14. Des simulations ont pour cela été conduites, à partir d’interférogrammes à trois faisceaux, affectés du bruit de photons. Les termes de cohérence complexes µij sont estimés en appliquant la P 2V M

comme définie à l’équation 4.15 et combinés d’après l’équation 4.19 (estimateur simple) ou d’après l’équation4.21 (estimateur débiaisé du bruit de photons). Cette procédure est appliquée à un jeu de 1 000 images simulées et la clôture de phase est estimée en prenant la

4.3. Estimation des clôtures de phase 117 a) Interférogramme simulé Interferogramme ideal Interferogramme bruite Interferogramme ajuste −100 −50 0 50 100 0 1 2 3 4 x b) c) 100 ph. 300 ph. 1000 ph. −100 0 100 −20 0 20

Cloture de phase de l’objet (deg)

Biais sur la cloture de phase (deg)

d) 100 photons e) 300 photons f) 1000 photons

−100 0 100 −20

0 20

Cloture de phase de l’objet (deg)

Biais sur la cloture de phase (deg)

−100 0 100 −10 −5 0 5 10

Cloture de phase de l’objet (deg)

Biais sur la cloture de phase (deg)

−100 0 100 −4 −2 0 2 4

Cloture de phase de l’objet (deg)

Biais sur la cloture de phase (deg)

Figure 4.14 – Illustration et simulations du biais dans les clôtures de phase. a) Exemple d’interfé-

rogramme totalisant 100 photons, simulé et ajusté. b) Illustration schématique de l’effet d’un biais réel sur le bispectre pour quatre valeurs de clôtures de phase différentes. Les clôtures de phase s’en trouvent diminuées en valeur absolue. c) Simulations du biais obtenu en utilisant un estimateur non débiaisé, pour plusieurs nombres totaux de photons formant l’interférogramme (le bruit de photons étant le seul bruit modélisé). d) - f) Les biais résiduels obtenus en utilisant l’estimateur débiaisé du bruit de photons sont en noir dans chacun des cas, en couleur apparaissent les biais résultant de l’estimateur non débiaisé.

a)100 photons b) 300 photons c) 1000 photons

Figure 4.15 – Même type de simulations que pour la figure4.14, avec amplification du bruit par un facteur√2. Les courbes en trait plein noir correspondent aux résultats de l’estimateur « débiaisé du bruit amplifié » (équation 4.25), tandis que les courbes en points représentent les résultats en appliquant l’estimateur classique débiaisé du bruit de photons.

phase du bispectre moyen. Chaque point affiché sur les graphiques 4.14-b) à f) correspond à une estimation résultant de 1 000 images. La procédure entière est ensuite répétée 50 fois afin d’évaluer un biais moyen en fonction de la valeur de la clôture. Ces résultats sont représentés par les figures 4.14-c) à f), qui montrent que les biais sont clairement atténués lorsque l’on simule des données limitées par le bruit de photons et qu’on utilise un estimateur adéquat.

En pratique avec FIRST

En ce qui concerne les données FIRST, l’estimateur débiaisé du bruit de photons n’est cependant pas tout à fait adapté. En effet, nous utilisons un détecteur doté de la techno- logie EMCCD (voir le paragraphe 2.1.1.3), qui permet d’amplifier le signal avec un gain atteignant le millier. Le bruit est donc amplifié par le gain EM mais également par le facteur de bruit en excès ou excess noise factor (F =√2 dans le cas d’un gain EM). La loi de densité de probabilité qui régit le bruit s’en trouve donc modifiée et ne peut plus être décrite par une distribution poissonnienne.

En supposant ainsi que le bruit, exprimé en unité de photons, est amplifié, on a : σph= Fp

Nph où Nph correspond au nombre de photons reçus par le pixel. En déroulant alors

un développement analogue à celui deGordon & Buscher(2012), on aboutit à l’estimateur débiaisé suivant : Bijk = hµijµjkµ⋆iki − F  h|µij|2i + h|µjk|2i + h|µki|2i  + 3F2N ph (4.25)

Cependant, l’application de cet estimateur sur des données simulées n’est pas encore tout à fait convaincante, comme l’illustre la figure4.15. Des biais résiduels importants subsistent, signifiant que l’estimation de l’amplitude du biais sur la partie réelle du bispectre est sous- estimée. Cela laisse donc à penser, soit que l’estimateur n’est pas adéquat, soit que les simulations ne rendent pas tout à fait compte des conditions de bruit. Cet affinement de l’estimateur est encore à l’étude et sera surtout nécessaire lorsque les mesures ne seront plus limitées par les biais instrumentaux, que nous évoquerons dans la partie suivante.

On note par ailleurs que le biais est d’autant plus grand que le nombre de photons est faible. Dans un régime à grand nombre de photons (>1 000), l’apport de l’estimateur débiaisé n’est pas significatif. Dans le cas des données FIRST, le millier de photons par

4.3. Estimation des clôtures de phase 119

interférogramme est généralement atteint. De plus, on peut également noter la dépendance du biais en fonction de la valeur absolue de la clôture, comme illustré sur la figure4.14 : ainsi, si la signature de l’objet observé est faible, ce qui est typiquement le cas pour une binaire à fort contraste par exemple, le biais dû au bruit de photon devrait être négligeable devant les biais d’origine instrumentale, non prévisibles de manière théorique.

Moyenne et barres d’erreur

L’estimation finale de nos clôtures de phase résulte d’un processus de moyenne et l’erreur associée à chaque estimation correspond à l’erreur statistique (sans prise en compte des termes d’erreur systématique). Le bispectre correspondant à chacun des 84 triangles que l’on peut former avec neuf fibres est calculé pour chaque image. Woan & Duffett-Smith

(1988) ont montré qu’il est préférable en termes de bruit d’estimer la clôture de phase moyenne en déterminant la phase du bispectre moyen plutôt que de moyenner les phases de manière complexe en les assignant à des phaseurs de norme unité. Cela est valable surtout lorsque le signal est très bruité, sinon, en régime de haut rapport signal-sur-bruit, les deux estimations présentent les mêmes performances.

Afin d’estimer la barre d’erreur statistique de nos mesures de clôtures, la moyenne est effectuée en deux étapes : le bispectre est d’abord moyenné par paquets de N images avant d’en prendre l’argument, puis la valeur finale retenue correspond à la valeur moyenne des estimations de clôture par paquet. La barre d’erreur associée est calculée comme l’écart-type sur la valeur moyenne, c’est-à-dire l’écart-type des phases, divisé par √N .

Cette deuxième étape ne prend donc pas en compte la pondération par le module du bispectre que permet la moyenne complexe du bispectre, elles sont donc probablement un peu surestimées.

En général, les données sont traitées par série de Nimg = 5 000 images acquises succes-

sivement, dont on tire ainsi une série de N= N

img/N estimations de clôtures de phase, cpi, auxquelles sont associées les barres d’erreur σi. Ces valeurs sont ensuite moyennées

par un estimateur pondéré :

CPm = N′ P i cpi/σi2 N′ P i 1/σ2 i , (4.26)

moyenne à laquelle on associe la variance statistique :

σ2 = P 1

i 1/σ

2

i

(4.27)

Cet estimateur correspond en fait à l’estimateur des moindres carrés qui minimise le critère suivant : χ2 = 1 N − 1 N X i (CPm− cpi)2 σ2 i (4.28)

Lorsque les barres d’erreur sont compatibles avec la dispersion des points, la valeur du critère χ2 doit valoir environ 1. Si elle est inférieure à 1, cela signifie que les barres

d’erreur sont probablement sur-estimées et on peut s’abstenir de les corriger. Dans le cas contraire, cela signifie soit que le modèle n’est pas adapté (par exemple si une dérive des points de mesure est observée), soit que les barres d’erreur ont été sous-estimées. Dans le cas de l’estimation de la moyenne, étant donné qu’on ne souhaite pas changer de modèle,

Figure 4.16 – a) Affichage des 84 clôtures de phase pour les 182 canaux spectraux, obtenues sur

Véga la nuit du 16 octobre 2011. Chaque graphe s’étend en abscisse du canal spectral n◦1 au canal

n◦182, et de -50à +50en ordonnée. Les 84 clôtures sont numérotées et les numéros des fibres

correspondant à chaque triangle sont indiqués entre crochets.

le premier cas peut être assimilé au second dans la mesure où l’on considère alors qu’un élément extérieur non désiré perturbe nos mesures. Pour rendre compte de cela, on peut rehausser les barres d’erreur de manière à ce que la grandeur χ2 vaille 1, autrement dit,

les variances sont artificiellement multipliées par la valeur du χ2, afin que le χ2 effectif

soit ramené à 1 :

σi2= σ2χ2 (4.29)

Chaque cible observée correspond donc à 84 clôtures de phase mesurées pour ∼180-190 canaux spectraux. Typiquement, les résultats se présentent graphiquement comme sur la figure 4.16.