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Le modèle de Leishman-Beddoes résulte du travail individuel et conjoint de Beddoes et Leishman au cours des années 1970 à 1990 sur l’aspect instationnaire et sur le décrochage dynamique des pales de rotor d’hélicoptères. Les principales formulations du modèle sont énoncées dans [152] et [153]. Il est à l’heure actuelle un des modèles les plus

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utilisés dans la littérature aéronautique et a connu de nombreuses adaptations et a donné naissance à de nombreux modèles dérivés.

Le but de ce modèle est d’avoir une représentation plus complète de la physique des mécanismes qui constituent le décrochage dynamique, tout en maintenant une complexité minimale. Comme pour le modèle de l’ONERA et d’autres modèles encore, le fondement du modèle repose sur une distinction des écoulements attachés et décollés qui sont modélisés par deux systèmes distincts, auxquels s’ajoute un troisième module pour les efforts induits par le tourbillon de bord d’attaque. A la différence du modèle de décrochage de l’ONERA qui traite en parallèle les contributions des écoulements attachés et décollés, la fonction de transfert du module d’écoulement décollé s’applique à la sortie du module d’écoulement attaché. ←ne autre caractéristique importante par rapport aux autres modèles est la modélisation systématique des effets de compressibilité.

La mise en place du modèle original peut être retrouvée dans diverses références ([152] et [153]). Dans ce paragraphe, seules les idées clés sur la formulation du coefficient de force normale sont rappelées pour montrer ensuite pourquoi certaines hypothèses ne sont pas adaptées aux éoliennes et pour présenter les évolutions qui ont été initiées.

Le problème de l’écoulement attaché est traité par l’utilisation d’un écoulement potentiel instationnaire et en appliquant le principe de superposition de différentes réponses indicielles, l’une circulatoire notée CNC, l’autre impulsive notée CNI , dont les formulations sont principalement issues d’analyses théoriques. La partie circulatoire CNC est liée au changement d’incidence qui produit une variation de la circulation et est modélisée en utilisant une réponse indicielle qui fait intervenir quatre coefficients basés sur la théorie de Theodorsen. Il s’agit de l’effet de la vitesse induite par le sillage. La partie impulsive CNI prend en considération les forces de pression qui sont liées à l’accélération de l’écoulement au voisinage du profil. Cette composante est modélisée via une réponse impulsionnelle qui inclut l’effet de la compressibilité et nécessite une constante de temps T qui règle la vitesse de propagation des perturbations de pression. A l’issue de cette phase, on a le coefficient de force normale en écoulement instationnaire attaché que l’on notera CNP = CNI + CNC.

La séparation de l’écoulement par le bord de fuite est traitée complètement différemment de la partie attachée et se base davantage sur des observations empiriques. Dans la modélisation choisie, il n’y a pas la distinction entre écoulement de retour et décollement comme cela a pu être fait dans le paragraphe II.2.2.1. La réponse en écoulement décollé est calculée en modifiant la réponse circulatoire en écoulement attaché CNC à l’aide d’une position effective du point de décollement sur l’extrados notée f. La théorie de Kirchhoff permet de relier le coefficient de force normale au point de décollement. L’évolution de f en fonction de l’incidence est déterminée à l’aide d’une approximation issue des polaires statiques et de correction pour la compressibilité.

La connaissance de f permet de reconstruire approximativement les polaires statiques. En conditions instationnaires, la réponse en pression au bord d’attaque s’établit avec un retard modélisé par une réponse du premier ordre sur le coefficient de force normale, réglée par une constante de temps Tp globalement dépendante du nombre de Mach. On obtient donc un coefficient de force normale retardé noté CN' à partir duquel il est possible d’estimer un point de décollement équivalent noté f'. Il est estimé que les conditions instationnaires imposent également un délai supplémentaire à cause de la réponse instationnaire de la couche limite. Une réponse du premier ordre (de constante de temps Tf elle aussi dépendante du nombre de Mach) par rapport à f' permet de prendre en

69 considération cet effet, on note alors f'' le point de décollement instationnaire. Finalement, le coefficient de force normale en écoulement instationnaire séparé est recalculé par la loi de Kirchhoff à partir du point de séparation f'', on le note CNS.

Pour finir de modéliser le décrochage dynamique, une dernière composante est ajoutée pour modéliser l’effet de succion du tourbillon de bord d’attaque. L’aspect délicat est de savoir à quel moment l’effet doit se déclencher. A partir de résultats expérimentaux, il a été estimé qu’il est possible de définir l’instant où le décollement au bord d’attaque intervient par un critère de pression critique au bord d’attaque car on peut y associer un gradient de pression critique. Le coefficient de force normale étant lié à la pression, en pratique, le déclenchement du lâcher tourbillonnaire s’effectue lorsque le coefficient de force normale CN' (qui inclut le retard de la réponse en pression) dépasse un coefficient critique C

N1. Le gain de force normale, noté CNv, causé par l’effet de succion du tourbillon est modélisé comme un excès de circulation à proximité du profil. Il est donc calculé à partir de la différence entre les coefficients CNC et CNS. Le déplacement du tourbillon est suivi par une variable de temps adimensionnée et le gain de force normale est supposé décroître exponentiellement avec ce temps, introduisant ainsi deux dernières constantes de temps Tv pour la décroissance de l’effet du tourbillon et TVL pour le temps de convection du tourbillon au-dessus du profil.

Le coefficient de force normale final est donné par la somme CN = CNI + CNS + CN. Pour le coefficient de force normale, il faut donc ajouter à la connaissance des polaires statiques 4 constantes de temps (Tp, Tf, Tv et TVL) et un coefficient de force critique (CN1) à régler en fonction du nombre de Mach et parfois en fonction du profil. En pratique, le coefficient CN1 est souvent choisi comme étant le coefficient de force normale statique au moment où il y a le décrochage du coefficient de moment. Il faut également ajouter au compte des paramètres ceux supplémentaires nécessaires pour les autres coefficients aérodynamiques (de force tangentielle et de moment).

Ce modèle a donné naissance à plusieurs variantes et adaptations ([55], [111] et [233] par exemple). Une des caractéristiques de ce modèle est l’introduction de l’effet de la compressibilité de l’écoulement à travers le nombre de Mach, or dans le cadre d’une éolienne, ces dépendances sont inutiles. Une des conséquences est que les perturbations de pression peuvent être considérées comme se propageant à une vitesse infinie. Dans [111] qui cherche à définir un modèle de décrochage dynamique pour les éoliennes à axe horizontal, l’effet de la partie impulsionnelle de l’effort n’est plus traité par une réponse impulsionnelle, mais juste par l’effet d’une masse apparente.

Le problème avec la partie circulatoire est que dans la théorie de Theodorsen, le sillage est supposé être plan et se propager linéairement. Dans une éolienne Darrieus, cette approximation est uniquement acceptable pour des fréquences réduites élevées et de faibles solidités. En réalité, le sillage est une branche de trochoïde et peut interagir avec la pale. Coton et al. [55] proposent de modifier en conséquence le paramétrage des effets circulatoires. Dans [76] et [222] qui utilisent le modèle de Leishman-Beddoes pour une éolienne Darrieus, l’effet de la partie circulatoire est calculé par un autre moyen : il est issu du résultat d’un modèle numérique tourbillonnaire pour estimer un angle équivalent.

Pour la position du point effectif de décollement, la théorie de Kirchhoff suppose une évolution linéaire du coefficient de force normale en écoulement attaché en fonction de l’incidence. Cette approximation est justifiée pour les incidences rencontrées par les pales d’hélicoptères (-10° à 30°), or pour une éolienne, les incidences maximales peuvent être bien plus élevées. Pierce [206] propose d’utiliser plutôt une combinaison d’évolutions linéaires décroissante entre -180° et 90°, croissante entre -90° et 90° et décroissante entre 90° et 180°.

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Gupta et Leishman [109] proposent simplement de remplacer l’incidence par le sinus de l’incidence, en d’autres termes, l’hypothèse de faible incidence utilisée dans le modèle est ici transgressée dans cette équation pour adapter artificiellement le modèle aux fortes incidences. De manière générale, Pierce [206] utilise plusieurs corrections au modèle original pour l’adapter aux fortes incidences, mais en l’absence de données de comparaison, on ne connaît pas la validité de ce modèle modifié.

Ensuite, l’évolution de f dans le modèle original est approximée à partir d’un modèle constitué de deux fonctions exponentielles ajustées aux polaires expérimentales. Pierce [206] constate que cette formule approximative ne convient pas pour le profil qu’il étudie et préfère plutôt inverser la relation donnée par la théorie de Kirchhoff. Il inverse également la formule utilisée pour le coefficient de force tangentiel pour avoir un paramètre f différent selon le type de force calculée et pouvoir reconstruire à l’identique les courbes des coefficients aérodynamiques statiques (voir figure 47 et l’explication qui y est associée, au paragraphe III.2.4.1).

Plusieurs variantes existent quant au choix du coefficient critique CN1. Si en pratique, c’est souvent soit une valeur fixe, soit la valeur du coefficient de force normale au décrochage statique qui est choisie, il existe plusieurs critères (par exemple dans [206]). Cette problématique de déclenchement du tourbillon de bord d’attaque n’est d’ailleurs pas réservée au modèle de Leishman-Beddoes ([77]).

Une série importante de modifications a également été apportée pour ajuster la modélisation à des faibles nombres de Mach. Sheng et al. [233] ont proposé en 2008 à l’issue d’un travail débuté dans les années 1990 un réarrangement complet du modèle de Leishman-Beddoes en essayant de garder la même philosophie. Ils ont jugé que le modèle initial avait notamment deux défauts principaux pour les bas nombres de Mach : le déclenchement du lâcher de bord d’attaque s’effectue trop tôt et la façon dont le recollement de la couche limite est accompli n’inclut pas le processus de convection de la zone décollée. Parmi les corrections ajoutées, on peut noter que le lâcher du tourbillon de bord d’attaque est ainsi exécuté en supposant des relations linéaires entre l’angle de déclenchement du décrochage dynamique et le taux de tangage, l’effet du tourbillon de bord d’attaque est également changé et le recollement de la couche limite dans la phase descendante est profondément transformé. Ce modèle nécessite toutefois des paramètres supplémentaires à caler et les données qui ont servi de base pour les corrections sont assez restreintes (les taux de tangage présentés sont généralement inférieurs à 0,05, alors que le taux de tangage instantané d’une éolienne à axe vertical peut être plusieurs ordres de grandeur au-delà). D’ailleurs, les hypothèses de base des corrections sont parfois remises en cause par d’autres études ([190]). Il est probable qu’au final, pour des lois de mouvements pour lequel le modèle de Leishman-Beddoes n’a pas été défini telles que celles d’une pale d’éolienne Darrieus, une partie des corrections empiriques proposées ne fonctionnent pas correctement.

De plus, pour prendre en compte certains effets tridimensionnels, il est intéressant de préciser que Leishman [149] introduit également une modification du modèle de Leishman-Beddoes pour prendre en compte l’inclinaison de l’écoulement incident par rapport à une pale (type angle de flèche). Bien que cela n’ait pas été appliqué auparavant aux éoliennes Darrieus, on peut imaginer appliquer ce type de correction pour modéliser l’effet du caractère hélicoïdal d’une telle éolienne.

Enfin, une dernière remarque est à apporter en ce qui concerne le niveau de précision du modèle de Leishman-Beddoes par rapport au modèle de l’ONERA. Plusieurs études ont mis en place une modélisation du décrochage dynamique par l’une et/ou l’autre méthode, et il n’en ressort finalement pas de modèle inconditionnellement meilleur que

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II.2.2.4.4 Modélisation du décrochage dynamique par double émission de