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OUTILS DE MESURE ET D ’ANALYSE

IV. 2.2.2.1 L’utilité de la POD

Pour comprendre la stratégie envisagée pour étudier la dynamique moyenne des tourbillons, il est pratique de commencer avec la notion d’écoulement moyen. ←n écoulement instantané avec champ de vitesse ←⃗⃗⃗ x,y,t peut être décomposé en trois composantes, comme l’ont proposé Reynolds et Hussain [214] en 1972 :

 ←̅ x,y : un écoulement moyen, indépendant du temps

 ←̃ x,y,t : un écoulement fluctuant, mais organisé, cohérent et globalement périodique

 ←' x,y,t : un écoulement fluctuant aléatoire, chaotique donc non-déterministe

Comme lors du fonctionnement de l’éolienne Darrieus, des lâchers tourbillonnaires sont émis périodiquement lors de chaque rotation, une étude en moyenne temporelle du phénomène ne permettrait pas de visualiser ces structures. L’analyse se concentre donc sur la composante périodique de l’écoulement, à la fréquence de rotation de la machine. ←ne méthode classique consiste à réaliser des moyennes de phase, c’est-à-dire des moyennes statistiques conditionnées par la position azimutale des pales, qui permet d’éliminer la partie fluctuante aléatoire.

Néanmoins, lorsque l’on étudie des structures tourbillonnaires générées à une distance relativement éloignée vers l’aval, comme c’est le cas dans notre étude, le transport des tourbillons est fortement perturbé par le caractère aléatoire de la turbulence. Imaginons deux tourbillons générés lors de deux rotations différentes et dont l’intensité est constante. Leurs positions après une révolution peuvent être significativement différentes car la position relève d’une intégrale de la vitesse et cumule les déplacements aléatoires sur une distance importante. Une moyenne de phase pourrait donner une position moyenne correcte, mais l’intensité du tourbillon moyen serait amoindrie à cause de la disparité des positions. L’analyse du tourbillon issu de la moyenne de phase pourrait laisser penser à une diffusion là où il y a simplement une variabilité de la position.

Ferreira et al. [81] ont étudié cette variabilité dans la zone du vortex de décrochage dynamique pour une éolienne Darrieus. Ils montrent que la différence entre l’intensité du tourbillon issu de la moyenne de phase et l’intensité moyenne des tourbillons instantanés est le résultat du nombre limité d’images. Il est attendu que les deux méthodes convergent vers une même valeur quand le nombre d’échantillons augmente. Ferreira et al. estiment que l’usage de quelques dizaines d’instantanés est suffisant pour avoir une estimation d’une grandeur globale comme la circulation du tourbillon de bord d’attaque proche de la pale. Pour la suite, seuls les champs de vitesse ou de vorticité en moyenne de phase seront étudiés. Les moyennes de phase sont calculées à partir des champs instantanés sur des plages angulaires azimutales de 4°, ce qui correspond à des moyennes sur 130 à 260 images si on considère toutes les pales identiques.

Néanmoins, la composante aléatoire de l’écoulement perturbe considérablement la détection des éléments tourbillonnaires. La figure 70 représente le champ de vorticité d’un instantané. On remarque que les grandes structures tourbillonnaires sont difficiles à distinguer et à délimiter. Afin d’examiner uniquement les grandes structures, les champs de vitesse ont été filtrés de la turbulence à petite échelle par décomposition orthogonale aux valeurs propres (ou POD, acronyme anglais de Proper Orthogonal Decomposition). La POD est

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une technique d’analyse des données qui s’appuie sur un traitement statistique des mesures basé sur l’énergie. L’idée principale est d’extraire les structures cohérentes quasi-déterministes d’un signal bruité ou perturbé par la turbulence. La POD a été développée de manière indépendante dans différentes disciplines, et Lumley [161] l’a introduit et adapté pour la mécanique des fluides en régime turbulent en 1967. La méthode se veut objective dans le sens où la POD s’appuie sur une formulation mathématique et fournit une base modale optimale d’un point de vue énergétique pour représenter l’écoulement, l’analyse des données pouvant se réaliser à partir des structures qui ont un sens physique. La POD sert donc ici à capturer et synthétiser les principaux mécanismes de la dynamique de l’écoulement en n’utilisant que la partie la plus énergétique du signal (les premiers modes) pour reconstruire une approximation des mesures filtrée du bruit et de la turbulence de petite échelle, peu énergétique. Il existe deux types d’analyse POD :

 Méthode classique ([161]) : pour des applications à des mesures de grandes durées ou pour un grand nombre d’échantillons.

 Méthode des "snapshots" ([239]) : pour des configurations à grande densité spatiale.

Etant donné que dans notre étude, on dispose de champs d’environ 20000 vecteurs vitesses (voir tableau 17) sur des durées d’acquisition correspondant à environ 4000 images (ou 8000 images si on regroupe plusieurs configurations), la méthode des "snapshots" a été retenue.

IV.2.2.2.2 Principe de la méthode de POD des "snapshots"

On considère un ensemble d’observations instantanées de vitesse ←⃗⃗⃗(X⃗⃗⃗,t . L’ensemble des points X⃗⃗⃗ est contenu dans un domaine spatial fluide s. L’ensemble des mesures est effectué sur une durée finie T. La composante moyenne temporelle du champ de vitesse est généralement très énergétique et n’apporte pas d’information sur la dynamique de l’écoulement. ←ne option courante ([239]) est de soustraire la vitesse moyenne et de n’étudier que les composantes instationnaires (cohérente et aléatoire). Par la suite, le vecteur ←

⃗⃗⃗ considéré est la vitesse ôtée de sa valeur moyenne.

L’idée de la méthode des "snapshots" est de chercher des vecteurs propres spatiaux déterministes Φ⃗⃗⃗⃗(n)(X⃗⃗⃗ sur lesquels projeter le champ de vitesse aléatoire ←⃗⃗⃗(X⃗⃗⃗,t à l’aide de coefficients temporels an t : ← ⃗⃗⃗(X⃗⃗⃗,t = ∑ a n t Φ⃗⃗⃗⃗(n)(X⃗⃗⃗ n = 1 (105)

Les vecteurs propres sont intrinsèques à l’écoulement et décrivent les structures. Les coefficients sont porteurs de la dynamique des structures, y compris leur nature aléatoire. La construction des vecteurs propres s’effectue à l’aide du tenseur de corrélation temporelle C t,t’ entre deux instants t et t’. Il est défini par l’expression :

C t,t’ = T ∫1 ←⃗⃗⃗(X⃗⃗⃗,t ←⃗⃗⃗(X⃗⃗⃗,t’ dX⃗⃗⃗ s

173 Avec la connaissance de ce tenseur, la solution du problème de valeurs propres se réduit à la résolution de l’équation suivante dont on cherche à déduire les coefficients temporels :

∫ C t,t’ an t’ dt’

T = λna n t (107)

Où λ(n) est la valeur propre indiquant un niveau relatif d’énergie dans le nième mode. La résolution de l’équation donne accès aux coefficients temporels à partir desquels il est possible de caractériser les vecteurs propres de chaque instantané par la relation :

Φ

⃗⃗⃗⃗(n)(X⃗⃗⃗ = ∫ ←⃗⃗⃗(X⃗⃗⃗,t an t dt T

(108)

Le principe du filtrage est de reprendre la formule (105) pour reconstruire un champ de vitesse ←⃗⃗⃗rec en ne prenant qu’un nombre NPOD limité de modes :

⃗⃗⃗rec(X⃗⃗⃗,t = ∑ an t Φ⃗⃗⃗⃗(n)(X⃗⃗⃗ NPOD

n = 1

(109)

En pratique, on ne dispose que d’un nombre fini Nt d’observations et un nombre fini Nvec de points où la vitesse est calculée. Dans ce cas, les intégrales peuvent être remplacées par des sommes et on peut envisager de résoudre le problème par un système matriciel. Les étapes du processus peuvent être résumées de la manière suivante (adapté de [181]) :

 Regrouper les Nvec vecteurs vitesse (en réalité les vecteurs de fluctuation autour de la vitesse moyenne) des Nt instantanés dans une seule matrice [U] de taille Nt × 2Nvec :

[←] = [←⃗⃗⃗1,←⃗⃗⃗2,…,←⃗⃗⃗Nt] = [

1121Nt1

1Nvec2NvecNtNvec1121Nt1

1Nvec2NvecNtNvec]

 Construire la matrice de corrélation [C] avec (où T est l’opérateur transposée) : [C] =N 1

t[←]T[←]

 Calculer les valeurs propres et vecteurs propres de la matrice de corrélation : [C][A] = [Λ][A]

Avec [Λ] la matrice diagonale des valeurs propres λ(n) pour n =1,…,Nmodes et [A] la matrice qui regroupe les coefficients temporels de chaque mode :

[A] = [A⃗⃗⃗1 ,A⃗⃗⃗2 ,…,A⃗⃗⃗ Nmodes ] = [a1

1 aNtNmodes

aNt1 aNtNmodes ] Le nombre Nmodes de modes étant égal au nombre d’images Nt

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λ1 > λ2 >…> λNmodes = 0

 Calculer les vecteurs propres des NPOD premiers modes POD : Φ ⃗⃗⃗⃗(n)= ∑ [←] NPOD n=1 A ⃗⃗⃗ n

Qu’on peut regrouper dans une matrice : [ ] = [Φ⃗⃗⃗⃗(1),Φ⃗⃗⃗⃗(2),…,Φ⃗⃗⃗⃗(NPOD)]

 Reconstruire les champs de vitesse [Urec] à partir des NPOD premiers modes POD : [←rec] = [←⃗⃗⃗1,rec,←⃗⃗⃗2,rec,…,←⃗⃗⃗Nt,rec] = [ ] [A⃗⃗⃗1 ,…,A⃗⃗⃗NPOD ]

Figure 70 – Champ de vorticité adimensionnée d’un instantané pour λ η 1,3 et ←∞ η 17 m/s. Les limites des tourbillons détectés par le critère 2 sont tracées en traits continus rouges pour les vortex tournant dans le sens antihoraire et bleus pour les vortex tournant dans le sens horaire. Ils sont difficiles à distinguer

voire impossibles à visualiser dans la vorticité ambiante du fait de la turbulence.

Figure 71 – Champ de vorticité adimensionnée du même instantané que la figure 70 reconstruit par POD à partir des 11 premiers modes, soit environ 50% de l’énergie. Les limites des tourbillons détectés par le critère 2 sont tracées en traits continus rouges pour les vortex tournant dans le sens antihoraire et bleus

pour les vortex tournant dans le sens horaire. Les ellipses caractéristiques des principales structures tourbillonnaires sont affichées. Les contours des ellipses équivalentes (pondérées par la vorticité) ainsi que

les grands et petits axes sont tracés en rouge pointillé. Les centres caractéristiques sont situés à l’intersection des axes.

Le choix du nombre de modes POD sur lequel reconstruire le signal reste le seul critère laissé à l’appréciation de l’utilisateur. Une solution couramment adoptée est de baser le critère de choix sur une quantité d’énergie. L’énergie de chaque mode n est spécifiée dans les valeurs propres λ(n). La figure 72 trace l’évolution de la portion d’énergie dans chaque

1.2 1.4 1.6 1.8 2 2.2 2.4 -1.8 -1.6 -1.4 -1.2 -1 -0.8 x/R y/R < -1.5 -1 -0.5 0 0.5 1 > 1.5 1.2 1.4 1.6 1.8 2 2.2 2.4 -1.8 -1.6 -1.4 -1.2 -1 -0.8 x/R y/R < -1.5 -1 -0.5 0 0.5 1 > 1.5 c λ← c λ←

175 mode ainsi que l’énergie cumulée pour un exemple de données expérimentales pour deux configurations. Pour λ η 1,9 et U η 12 m/s, l’énergie est plutôt répartie, alors que pour λ η 1,0 et U η 15 m/s, les deux premiers modes sont beaucoup plus énergétiques que les autres, ils cumulent à eux seuls un peu moins de 40% de l’énergie. La reconstruction à partir de ces deux seuls modes serait toutefois trop simplificatrice pour l’étude de la dynamique tourbillonnaire. Différents essais de nombres de modes pour la reconstruction ont été réalisés (33%, 50% et 67% de l’énergie). La conclusion de ces essais est qu’une reconstruction à partir de 50% de l’énergie, soit entre environ 9 et 15 modes selon les configurations, est suffisant dans le sens où il représente un bon compromis entre une reconstruction fidèle et un filtrage correct. Les résultats se sont révélés relativement insensibles au nombre de modes utilisés pour la reconstruction au-delà de 50% de l'énergie.

Figure 72 – Répartition de l’énergie dans chaque mode pour deux exemples de configurations (portion d’énergie dans chaque mode à gauche et portion cumulée d’énergie dans les modes à droite) :

λ η 1,0 et U∞ η 15 m/s (en trait rouge, marqueur triangulaire) λ η 1,9 et U∞ η 12 m/s (en trait bleu, marqueur circulaire).

←n exemple de comparaison entre un champ de vorticité d’une image instantanée et sa reconstruction POD est présenté sur la figure 71. Le filtrage est efficace et laisse la possibilité de délimiter des structures tourbillonnaires comme le montre les lignes d’iso-valeur de 2 à -2 et 2.

IV.2.2.3 Calcul des trajectoires, des intensités et des tailles de vortex

←ne fois le filtrage réalisé par la POD, nous avons vu qu’il est possible de détecter des grandes structures tourbillonnaires par les tracés des iso-valeurs de 2. Ce critère ne permet par contre pas d’indiquer l’intensité des tourbillons, nous utilisons pour cela la vorticité.