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II. L’ EOLIENNE D ARRIEUS

II.1.3 Les origines des lâchers tourbillonnaires

Le sillage des pales contient majoritairement de la vorticité que l’on qualifie d’émission tourbillonnaire car la nappe cisaillée du sillage tend à former des tourbillons. La dynamique de ce lâcher tourbillonnaire joue un rôle primordial dans le fonctionnement d’une machine Darrieus. Il existe ici deux familles de tourbillons : les tourbillons émis parallèlement à l’axe des pales, et les tourbillons émis aux bouts des pales, perpendiculairement aux pales et dans le sens de l’écoulement, communément appelés vortex marginaux. La première catégorie de vortex est liée à la variation de circulation. L’énergie extraite par le rotor étant

↑itesse réduite (λ) C oefficie nt de puis sa nce ( CP ) 0 0,1 0,2 0,3 0,4 0,5 0 2 4 6 8 10 12 Tr an siti o n s

25 basée sur cette variation de circulation, ce type de vortex est une conséquence du processus d’échange d’énergie entre le fluide et la machine, comme le rappelle clairement Ferreira [78]. La seconde catégorie de tourbillon se manifeste à cause de la différence de pression entre les faces intérieure et extérieure des pales et illustre le niveau de circulation autour des pales donc donne une indication sur le niveau des efforts.

Nous présentons ici les spécificités des deux familles de tourbillons.

II.1.3.1 Emission de vorticité par variation de circulation

La vorticité émise suite à la variation de circulation revêt une importance particulière car elle est une manifestation du processus de récupération d’énergie par une machine Darrieus. On peut noter que de nombreuses études se concentrent quasi-exclusivement sur les lâchers tourbillonnaires ([78]) ou tentent de trouver des moyens efficaces de les contrôler. Certains cherchent à employer des profils avec un sillon pour "capturer" ces tourbillons ([274]) et retenir le décollement de la couche limite, quand certains autres cherchent plutôt à orienter les pales de manière à n’avoir aucun tourbillon ([259]). Les tourbillons qui se forment précocement, comme ceux liés au décollement de la couche limite, concentrent de l’énergie que ne récupèrent pas les pales et sont généralement considérés comme un signe qu’une partie de l’énergie éolienne n’a pas été récupérée par les pales.

L’origine de ces tourbillons peut être expliquée par l’analyse qualitative des couches limites. Pour une pale, comme pour tout corps dans un écoulement fluide, les effets de la viscosité se font ressentir à la proximité de la paroi, au sein de la couche limite. Dans cette région, le gradient normal de vitesse tangentielle au profil est important pour assurer la liaison entre la vitesse nulle à la paroi (condition d’adhérence) et le reste de l’écoulement. Ceci se traduit par deux couches de vorticité de signes opposés sur les deux faces du profil et qui s’annulent en grande partie au bord de fuite pour un profil dans un écoulement stationnaire. Pour une pale en mouvement, la variation de circulation autour du profil qui résulte du mouvement est à l’origine d’une dissymétrie dans les couches limites qui se manifeste par un cisaillement plus important au bord de fuite et par l’émission de vorticité dans le sillage de la pale. Le théorème de Kelvin-Helmholtz spécifie que dans l’environnement autour du profil, la variation nette de circulation doit être nulle, donc la quantité de vorticité relâchée à chaque instant dans le sillage compense la variation instantanée de circulation autour du profil. En notant la circulation totale dans le milieu, p la circulation autour du profil et s la circulation dans le sillage, on associe l’émission instantanée de vorticité dans le sillage à la variation azimutale de circulation dans le sillage :

D Dt = D( p+ s Dt = 0 DDts = -DDtp (20) DD s = -DDp (21)

Pour mieux comprendre l’évolution de l’émission de vorticité, on peut chercher à caractériser l’émission dans le sillage dans un cas simplifié. On considère une pale mince et symétrique en écoulement potentiel (donc attaché au profil) à faible incidence. Dans ce cas, l’approximation de variation linéaire du coefficient de portance donne une bonne indication : CL η 2 . Par la relation de Kutta-Joukowski, on peut également relier la circulation autour

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du profil au coefficient de portance. La variation azimutale de circulation dans le sillage est la conséquence directe de la variation azimutale du vecteur vitesse, en particulier la variation conjointe de vitesse relative Ur et d’incidence :

L = - ←r pp η - c←r (22)

DD s η cD ←Dr (23)

On suppose ensuite un fonctionnement à grande vitesse réduite (λ ≫ 1) d’une pale mince et symétrique en écoulement potentiel. Dans ces conditions, l’angle d’attaque et la vitesse définie par les relations (13) et (14) peuvent être approximées (d’après [64]) :

η -sinλ et ←r η λ ← (24)

Si on remplace dans les relations (22) et (23) la vitesse apparente et l’incidence par les formules (24), on obtient :

p η c←sin (25)

D s

D η - c←cos (26)

Pour des vitesses réduites élevées, l’émission de circulation dans le sillage D s D alterne donc les phases positives et négatives. Les zones où les valeurs absolues sont les plus élevées se situent vers des azimuts de 0° et 180°, dans les zones latérales face au vent et dos au vent, quand l’incidence change de signe et que la force motrice est au plus faible. Le sillage prend la forme d’une nappe tourbillonnaire fortement cisaillée émise de manière continue depuis le bord de fuite du profil. A cause de leur instabilité naturelle, les nappes cisaillées s’enroulent ensuite en tourbillons discernables du reste de l’écoulement. La formation de tourbillons peut être favorisée par des perturbations dans l’écoulement telles que le passage d’une pale dans le sillage. L’occurrence des instabilités est aussi dépendante du nombre de Reynolds car les instabilités sont sensibles au rapport entre les forces d’inerties et les forces visqueuses. L’écoulement peut alors changer de topologie selon le nombre de Reynolds (tourbillons plus ou moins bien structurés, formés plus ou moins rapidement, etc.).

Lorsque la vitesse réduite est basse, les hypothèses qui amènent aux formules simplifiées (24) ne sont plus acceptables. Néanmoins, le lâcher tourbillonnaire reste alterné, avec des concentrations élevées de part et d’autre du rotor, vers η 0° et η 180°. Dans l’absolu, les circulations positives et négatives se compensent toujours. La principale différence réside dans la vitesse relative de convection des nappes tourbillonnaires. A une position η 0°, la vitesse de convection du sillage par rapport à la pale est d’environ (λ + 1 ← (car la vitesse due à la rotation et la vitesse infini amont sont alignées et de même sens) donc la nappe tourbillonnaire est étirée, alors que pour η 180°, la vitesse relative est d’environ (λ - 1 ←, (car les vitesses due à la rotation et infini amont sont de sens opposé) d’où une émission tourbillonnaire plus concentrée car le sillage est moins efficacement éloigné de la pale. Une vitesse réduite très faible amplifie les disparités de vitesse relative et

27 cela se manifeste par une dissymétrie plus importante entre les deux lâchers tourbillonnaires latéraux : la nappe émise à η 180° formera plus rapidement des tourbillons mieux formés. ←n exemple de l’allure que peut prendre le sillage est présenté sur la figure 7. Il s’agit de l’allure simplifiée du sillage d’un rotor bipale de faible solidité à une vitesse réduite de 2 en considérant que la couche limite est continuellement attachée. On observe effectivement l’enroulement alterné des nappes cisaillées de part et d’autre du rotor. Il arrive que l’enroulement des nappes forme plusieurs tourbillons qui vont ensuite se réunir en un seul tourbillon. On note aussi que l’apparition d’un vortex peut être initiée par le croisement de deux nappes tourbillonnaires, ce qui conditionne ainsi la position d’un tourbillon pour la suite de sa convection.

Figure 7 – Représentation schématique et simplifiée du sillage d’une éolienne Darrieus bipale de solidité 0,1 fonctionnant à une vitesse réduite de 2. Ce schéma a été construit à l’aide d’une simulation numérique

bidimensionnelle utilisant le modèle numérique présenté dans III.2 qui ne modélise pas le décrochage dynamique. Les lignes rouges représentent les sillages de vorticité positive et les lignes bleues les sillages de

vorticité négatives. Les lignes sont discontinues ou en trait plein selon la pale qui les a émis. Les flèches indiquent les zones de formation des tourbillons.

Néanmoins, il faut garder à l’idée que le raisonnement précédent ne prend pas en compte un possible décollement de la couche limite, or pour les plus basses vitesses réduites, l’angle d’incidence maximal est augmenté et peut dépasser l’angle de décrochage statique en provoquant un phénomène de décrochage dynamique (voir paragraphe II.2.2). Une des conséquences est l’émission dans la phase amont de structures tourbillonnaires intenses de bord d’attaque. Cette contribution tourbillonnaire se substitue en partie au lâcher tourbillonnaire ordinaire lié à la variation d’incidence. L’émission de bord d’attaque peut donner naissance à d’autres tourbillons contrarotatifs au contact avec les pales. Cette dynamique des tourbillons est décrite plus en détail dans le paragraphe II.2.2.3.

II.1.3.2 Les tourbillons marginaux

Bien que le fonctionnement d’un rotor Darrieus puisse se comprendre par un raisonnement bidimensionnel, l’aspect fini des pales joue également un rôle. Sur une pale de longueur finie, la répartition de portance n’est pas uniforme et tend vers une valeur nulle aux bouts de pale. La circulation étant liée à la portance en écoulement attaché, il en résulte une

Enroulements des nappes tourbillonnaires Enroulements des nappes tourbillonnaires

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émission continue de vorticité le long de la pale dont l’intensité est proportionnelle au gradient de portance selon l’envergure de la pale. Contrairement à la vorticité émise par variation de circulation qui est parallèle à la pale, cette émission tourbillonnaire est dans la direction de l’écoulement, donc orthogonale à la pale. La plus forte intensité de cette émission se situe au bout de pale car le gradient de portance y est le plus fort et cela se manifeste par l’émission d’un tourbillon de bout de pale appelé tourbillon marginal. On peut généralement regrouper la vorticité émise le long de l’envergure en deux émissions uniques de tourbillons marginaux, une à chaque bout de pale, d’égale intensité mais de signe opposé.

Tandis que l’intensité instantanée de la nappe tourbillonnaire émise au bord de fuite est proportionnelle à la variation azimutale de la circulation p autour du profil (formule (21)), l’intensité du tourbillon marginal est quant à elle proportionnelle à p. Elle varie aussi avec la position azimutale puisque la circulation autour du profil dépend de l’azimut.

En reprenant les hypothèses qui mènent aux relations (24), on retrouve que l’émission de tourbillon marginal est donnée par la formule (25), c’est-à-dire que l’intensité de l’émission oscille entre des valeurs positives et négatives à la manière d’un sinus. L’émission de tourbillon marginal est donc en quadrature de phase par rapport à l’autre émission tourbillonnaire dans le sillage. En réalité, une déviation à cette règle est constatée dans la phase aval à cause du déficit de vitesse dans l’écoulement dans cette partie du rotor et elle est d’autant plus marquée que la vitesse réduite est élevée.

En dehors des hypothèses précédemment utilisées, c’est-à-dire pour des vitesses réduites faibles, l’évolution l’intensité du tourbillon marginal s’écarte un peu de la loi sinusoïdale dans la phase amont à la suite du phénomène de décrochage dynamique qui peut intervenir.

Dans le cadre de cette thèse, l’aspect tridimensionnel est laissé à un travail ultérieur et ne sera développé plus en détail. Pour plus d’information sur la dynamique des tourbillons marginaux et l’influence de l’aspect fini des pales, se référer au travail numérique de Dixon [66] et aux observations expérimentales de Ferreira [78] et Hofemann et al. ([119]).