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Les phénomènes aérodynamiques caractéristiques d’une forte solidité

II. L’ EOLIENNE D ARRIEUS

II.2 Les phénomènes aérodynamiques caractéristiques d’une forte solidité

Dans ces paragraphes qui suivent, une description de deux phénomènes aérodynamiques particuliers est présentée. Il s’agit de l’effet de courbure et du décrochage dynamique. L’effet de courbure est toujours présent sur les machines Darrieus, mais l’ampleur de son effet dépend de la géométrie de la machine. La présence du décrochage dynamique dans le fonctionnement d’une machine Darrieus est conditionnée par la vitesse réduite, qui est elle aussi dépendante de la géométrie de la machine. La lumière est mise sur ces phénomènes car la géométrie qui sera principalement étudiée ici présente une forte solidité qui est une condition favorisant l’apparition de ces phénomènes.

II.2.1 Effet de courbure

L’effet de courbure est une des conséquences d’une solidité de pale importante. On appelle effet de courbure l’ensemble des conséquences du phénomène de lignes de courant incurvées perçues par un objet généralement dû à son propre mouvement.

Le principe d’une éolienne Darrieus repose sur la rotation de ses pales autour d’un axe. La trajectoire circulaire des pales crée une dissymétrie de l’écoulement entre les faces intérieure et extérieure, mais également entre l’avant et l’arrière du profil. L’écoulement résultant de la combinaison de la rotation et du vent amont est courbé relativement au profil car la composante de vitesse issue de la rotation du profil est différente en chaque point du domaine. Cet écoulement non-uniforme présente certaines spécificités.

En particulier, l’angle d’incidence local que forme la vitesse apparente avec la corde varie en fonction de la position sur le profil (voir figure 12). La notion même d’angle d’attaque global en devient compliquée. De la même manière, la norme de la vitesse apparente dépend du point considéré.

Figure 12 – Illustration d’un des signes de l’effet de courbure pour un profil tournant autour d’un axe dans un champ de vitesse U : schéma de principe du calcul d’angle d’attaque local x en fonction de la position

x sur la corde. Les proportions sont exagérées.

Puisque l’incidence et la vitesse sont perturbées par l’effet de courbure, les efforts aérodynamiques le sont aussi. Migliore et Wolfe [182] l’ont mis en évidence en 1979 pour une éolienne Darrieus. Ils ont fait tourner un profil symétrique autour d’un axe transverse avec différents angles de calage et ont estimé le coefficient de traînée. Ils ont constaté que

← ⃗⃗⃗ O O ← ⃗⃗⃗ θ x θ x Rx Rx x x

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l’angle pour lequel le coefficient de traînée est minimum était négatif, alors que pour le profil en translation, le comportement du coefficient de traînée est symétrique pour des angles d’attaque positifs et négatifs. Ils ont aussi remarqué que ce phénomène était amplifié pour une solidité de pale plus importante. Cette étude a dévoilé l’importance de considérer les modifications de comportement aérodynamiques liées à l’effet de courbure.

La courbure de l’écoulement est en fait le produit de tout mouvement de tangage et se retrouve dans différentes applications où un objet profilé est en mouvement d’amplitude importante par rapport à sa taille caractéristique, c’est-à-dire en aéronautique au sens large (avions, missiles, etc.), en étude maritime (navires, sous-marins, etc.) et pour les turbomachines. Historiquement, des premières réflexions autour de cet effet ont été menées pour l’analyse de la stabilité dynamique de dirigeables dans les années 1930. On retrouve par exemple une inspection des effets de la courbure pour des navires en manρuvre de virage par Gregory et al. [106] qui utilise un développement analytique pour construire son modèle. Plus récemment, quelques études de micro-drones en vol battu ou de type cyclocoptères4 (cyclogyro en anglais) se sont intéressés à cet effet de courbure ([30] et [273]).

II.2.1.1 Effet de courbure pour une éolienne Darrieus

Il semble que la première mention des effets du phénomène de courbure des lignes de courant dans le contexte de la modélisation d’une éolienne à axe vertical est celle de Muraca et al. [191] en 1975. Sans appui expérimental, Muraca et al. sont partis de la constatation que l’écoulement est courbé pour développer une méthode de correction de la portance basée uniquement sur l’effet de l’angle d’attaque. Ils ont estimé que pour les géométries usuelles, l’effet de courbure peut être négligé. Par la suite, Migliore et al. (notamment [182] et [183]) précisent l’influence du phénomène et arguent, contrairement à Muraca et al., que négliger le phénomène mène à des simulations incorrectes. Ils apportent une preuve expérimentale des différences de comportement aérodynamique d’un profil dans un écoulement rectiligne et dans un écoulement curviligne. Ils jugent que la rotation de la pale a aussi un effet sur la couche limite et développent les équations de la couche limite soumise à l’effet de courbure. Enfin, en s’appuyant sur une technique de transformation conforme, ils proposent une méthode d’évaluation des effets de courbure.

Cette connaissance du phénomène peut être mise à profit pour adapter les profils utilisés dans la conception d’éolienne. Par exemple, Klimas [138] précise que les Laboratoires Nationaux Sandia ont testés des profils NACA1515 cambrés vers l’extérieur du rotor (dont la ligne de cambrure correspond à un arc du cercle formé par le rotor) pour éliminer l’effet moyen de la courbure de l’écoulement. Il dénote ainsi une hausse du rendement, qu’il attribue à la traînée plus faible du profil qui suit la courbure de l’écoulement. Il a aussi remarqué une hausse de la vitesse réduite optimale qu’il attribue au changement d’angle pour lequel le rapport CdCl est maximal. Cette stratégie de profil cambré selon la courbure moyenne de l’écoulement a aussi été adoptée par [18] et [38] qui utilisent un profil NACA0018 projeté sur la trajectoire circulaire.

D’autres groupes de recherche sont arrivés à une conclusion inverse sur l’effet de courbure, comme Takamatsu et al. [249] qui ont étudié une hydrolienne dans un tunnel hydrodynamique. Ils estiment que l’on peut obtenir des performances supérieures avec une pale droite et à une vitesse réduite optimale plus faible. Néanmoins, ils sont parvenus à cette

4 Il s’agit d’une traduction littérale de l’autre formulation anglaise du cyclogyro : cyclocopter. Il n’y a pas d’appellation officielle de ce genre de machine dans la langue française à la connaissance de l’auteur. Il s’agit en fait d’un aérodyne à voilure tournante parallèle à son axe de rotation et qui utilise un calage variable des pales pour orienter la poussée, selon le fonctionnement inverse de celui d’une éolienne à axe transverse (i.e. à axe vertical) avec un calage contrôlé des pales.

41 conclusion en faisant varier simultanément l’angle de calage des pales, d’un ordre de grandeur comparable aux modifications induites par l’effet de courbure. On ne peut donc pas dissocier l’effet de courbure de l’effet du calage sur les résultats présentés dans cet article.

←n autre problème est qu’il est également difficile de dissocier l’effet de courbure des effets instationnaires induits par le sillage et du décrochage dynamique (voir paragraphe II.2.2). Pour un profil en rotation constante autour d’un axe parallèle à l’axe du profil, seul l’effet de courbure s’ajoute aux efforts aérodynamiques habituellement rencontrés par un profil en translation. Cet effet prend une valeur constante quelle que soit la position angulaire et peut être mesuré expérimentalement ([182]). Si l’on ajoute un écoulement amont, l’incidence et la vitesse relative vont fluctuer, l’effet de courbure va alors devenir instationnaire et se mêler aux effets induits par le sillage qui va être généré (éventuellement dû au décrochage dynamique). Il devient alors difficile de distinguer la contribution de chaque effet. Des études (par exemple [44], [164] et [250]) ont essayé de mettre en place des modèles numériques en focalisant leur attention conjointement sur les effets de courbure et de décrochage dynamique, mais les résultats sont soit dépendants de nombreux paramètres empiriques, soit peu fidèles aux résultats expérimentaux et il est compliqué d’attribuer les torts à l’un ou l’autre des phénomènes (soit de courbure de l’écoulement soit de décrochage dynamique).

←ne autre illustration de l’influence mutuelle de l’effet de courbure et du décrochage dynamique peut être remarquée dans le travail de Bianchini et al. [34]. Ils ont effectué des mesures de puissance en soufflerie qu’ils ont comparées aux résultats d’un modèle numérique avec et sans correction de l’effet de courbure. Ils jugent que pour les plus faibles vitesses réduites, ajouter l’influence de l’effet de courbure devient défavorable à la précision du calcul. Compte tenu du rôle prépondérant du décrochage dynamique pour ces vitesses réduites (λ < 1,5), ceci mène à penser que le décrochage dynamique pourrait estomper l’effet de courbure. Néanmoins, ce résultat est à prendre avec précaution compte tenu de la simplicité du modèle numérique (modèle à double-multiple tubes de courant, voir paragraphe III.1.1, avec le décrochage dynamique modélisé par le modèle de Gormont, voir paragraphe II.2.2.4.1) et des possibles incertitudes expérimentales.

En 1988, Zervos et Roucous [277] présentent leur analyse de l’effet de courbure. N’ayant visiblement pas connaissance des travaux antérieurs, ils élaborent une étude de l’influence de la rotation d’une pale sur ses caractéristiques aérodynamiques à l’aide de la théorie de Couchet. Il s’agit d’une formulation analytique du champ de vitesse bidimensionnel dans l’hypothèse d’un fluide parfait incompressible en l’absence de lâchers tourbillonnaires. Pour satisfaire cette dernière condition, Zervos et Roucous se placent dans le cadre d’une rotation uniforme d’une pale autour d’un axe de rotation. Cette méthode d’analyse permet d’obtenir les forces normales et tangentielles dans un écoulement courbé, mais également la répartition des pressions sur la pale qui sont assez différentes des distributions de pression d’une pale en translation. On remarque qu’à une incidence nulle, la distribution de pression d’un profil symétrique n’est pas identique sur les deux faces. La courbure de l’écoulement créerait une surpression supplémentaire vers le bord d’attaque de l’extrados et une dépression vers le bord d’attaque de l’intrados.

Au final, pour la modélisation numérique des effets de la courbure de l’écoulement pour une éolienne Darrieus, on peut dire qu’il existe globalement deux types de méthodes qui peuvent être mises en pratique facilement :

 Soit l’angle d’attaque est déterminé à une position pertinente qui permet de simuler le comportement aérodynamique de manière la plus représentative de l’ensemble du profil

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 Soit des termes correctifs sont appliqués aux efforts aérodynamiques du profil en écoulement rectiligne pour simuler les conséquences de la courbure de l’écoulement

a) = 0° b) = 4°

Figure 13 – Aperçu des distributions des coefficients de pression issus de l’étude analytique de [277] pour un profil NACA0012 en mouvement de translation et en mouvement de rotation à 0° d’incidence (à gauche) et à 4° d’incidence (à droite). En traits discontinus rouge et bleu (ils sont superposés pour la figure a) : distributions des coefficients de pression sur l’extrados et l’intrados d’un profil en translation. En traits continus rouges : distribution des coefficients de pression sur l’extrados d’un profil en rotation.

En traits continus bleus : distribution des coefficients de pression sur l’intrados d’un profil en rotation.

II.2.1.2 Choix du point de calcul de l’incidence

Puisqu’une des méthodes de correction préconise de déterminer l’incidence à une position particulière, il est pertinent de s’intéresser d’abord à l’influence du choix du point de calcul de l’incidence.