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Problématique, cadre théorique et méthodologie générale

2.3 Principaux choix théoriques

2.3.1 Le modèle des Espaces de Travail Mathématique : cadre qui guide notre étudecadre qui guide notre étude

Comme le précise Kuzniak (2011), la mise en activité de l’élève est de plus en plus importante dans l’enseignement des mathématiques. En réaction à la réforme des mathématiques modernes et après une remise en question de l’enseignement « classique », à partir des années 70, l’enseignement des mathématiques a pour am-bition de modifier l’activité attendue des élèves. Un désir de changer le rôle de l’élève dans son apprentissage semble apparaître. L’élève n’est plus là pour « absorber » les connaissances que lui apporte son enseignant, mais il est invité à les construire et les organiser. On peut alors envisager un parallèle entre l’élève en classe de mathé-matique et le chercheur en mathémathé-matiques : l’élève peut être vu comme un apprenti mathématicien. D’après Kuzniak (2011),

l’insistance sur l’activité de l’élève [dans l’enseignement des mathématiques] a mis en relief deux aspects à la fois complémentaires et très différents du travail de l’élève. D’une part, il s’agit de considérer son travail d’apprenant dans le cadre scolaire avec des professeurs, des devoirs, des évaluations en contexte social. D’autre part, il importe de s’assurer qu’un travail de nature mathématique est effectivement produit par l’élève. (p. 9)

C’est le deuxième point qu’il considère dans son modèle des Espaces de Travail Ma-thématique. Comme nous venons de le préciser, c’est le travail mathématique qui est au cœur du modèle des Espaces de Travail Mathématique. Nous allons donc d’abord définir ce qu’est le travail mathématique tel que l’entend Kuzniak (2011), puis nous présenterons les éléments caractéristiques d’un Espace de Travail Mathématique.

a) Le travail mathématique

Le travail mathématique se réfère à l’activité des mathématiciens, « ces êtres humains qui font avancer la compréhension humaine des mathématiques » (Thurs-ton, 1995, p. 29). Giaquinto (2005) distingue plusieurs phases dans l’activité globale du mathématicien : la découverte, l’explication, la justification et les applications. Kuzniak (2011) explique que dans la conception classique de l’enseignement, l’élève est essentiellement concerné par le travail d’appropriation (applications), ce qui est

restrictif de l’activité du mathématicien, mais il précise que l’on peut agrandir les perspectives si l’on souhaite rendre l’élève plus actif dans la construction de son savoir. Une place essentielle dans le travail des mathématiciens, et aussi dans l’en-seignement des mathématiques, est donnée à la résolution de problèmes. Par les problèmes, les élèves vont mettre en œuvre des savoirs et des techniques. Ils vont déclencher le travail mathématique. Il semble donc essentiel d’observer les tâches demandées qui permettent à la fois de décrire le travail d’un point de vue mathéma-tique mais aussi d’un point de vue didacmathéma-tique. Kuzniak envisage le terme « tâche » ici suivant l’approche de la théorie de l’activité (Rogalski, 2008) ou bien celle des praxéologies (Bosch & Chevallard, 1999).

Les mathématiques enseignées ne se limitent pas à un corpus de propriétés et d’objets réduits à des signifiants qui se manipulent à l’aide de systèmes formels. Le travail mathématique est avant tout une activité humaine. Nous voyons ici le rapprochement qui peut alors être fait avec les théories de l’activité. Les questions qui peuvent ensuite intéresser le chercheur dans ce cadre sont de comprendre com-ment les élèves utilisent et s’approprient les connaissances mathématiques dans leur pratique de la discipline, en restant dans un cadre didactique.

b) Le modèle des Espaces de Travail Mathématique

La notion d’Espace de Travail Mathématique, que nous noterons ETM dans la suite, est une extension de la notion d’Espace de Travail Géométrique (Houdement & Kuzniak, 2006). Nous pouvons penser un ETM comme un environnement orga-nisé pour permettre le travail des individus résolvant des problèmes (pour nous, il s’agira d’élèves). Nous pouvons faire un parallèle avec les architectes, qui définissent les espaces de travail comme des lieux à construire pour que l’utilisateur puisse y exercer au mieux son travail (Lautier, 1999). Les problèmes (ou exercices) ne font pas directement partie de l’ETM, cependant ils en sont la raison d’être et aussi l’ac-tivateur. L’ETM peut aussi être vu comme un espace en constante évolution et la résolution de problèmes contribue à cette évolution.

Dans le modèle des ETM, la conceptualisation est conçue comme le fruit d’une interaction entre un individu et des problèmes (dans un sens large). Le travail ma-thématique est alors organisé dans un modèle (figure 2.3) articulant deux plans : le plan épistémologique, en rapport étroit avec les contenus mathématiques du do-maine étudié, et le plan cognitif, axé sur la pensée du sujet résolvant des tâches mathématiques.

Le plan épistémologique est constitué de trois composantes : – un ensemble de signes ou representamen,

– un ensemble d’artefacts, tels que les logiciels et les instruments de dessin, – un système théorique de référence (ou référentiel théorique), basé sur des

dé-finitions et des propriétés ou théorèmes relatifs au domaine.

Les composantes épistémologiques ne peuvent suffire pour considérer l’activité mathématique. Il est aussi essentiel de comprendre comment les élèves vont donner un sens à tous ces signes, artefacts et éléments théoriques. Cela implique un deuxième niveau de l’ETM centré sur le sujet vu comme un sujet cognitif.

Figure 2.3 – Le modèle des ETM

Le plan cognitif est lui aussi composé de trois processus étroitement associés aux composantes du plan épistémologique :

– la visualisation, – la construction, – la preuve.

Pour décrire l’articulation entre ces deux plans, Kuzniak parle de genèses (2011). Étant donné que nous n’étudierons pas le processus qui relie les deux plans, nous préférons utiliser le terme « dimension », plus large. Nous distinguons donc trois dimensions :

– la dimension sémiotique, basée sur les registres de représentation sémiotique (Duval, 1993) qui confère aux objets tangibles de l’ETM un statut d’objet mathématique opérationnel ;

– la dimension instrumentale, qui permet de rendre opérationnel les artefacts dans le processus de construction, et

– la dimension discursive (de la preuve) qui donne un sens aux propriétés pour le mettre au service du raisonnement.

L’idée de representamen est à relier avec la notion de signe, au sens de Peirce (1931), mais aussi de représentation sémiotique (Duval, 1993). Les mathématiques sont fondées sur des représentations sémiotiques ; il est donc pertinent de s’intéresser à ces signes ou representamen dans l’étude du travail mathématique. Le signe ou le representamen est une « chose » qui en représente une autre que ce soit son objet ou peut-être aussi lui-même (Peirce,1931). Les objets mathématiques ne sont abordables que par les signes qui les représentent. Ces propos confirment l’intérêt de notre question principale qui est de s’intéresser au macro-signe () et donc aux objets mathématiques qui en dépendent.

Lesrepresentamensont à mettre en relation avec le processus de visualisation. La visualisation est à prendre dans un sens plus large, dans lequel il faut distinguer ce

processus de visualisation, « étendue », de la simple vision ou perception des objets. Kuzniak et Richard (2014) précisent qu’il «peut être envisagé comme le processus de structuration des informations apportées par les diagrammes et les signes. Il nourrit l’intuition des propriétés et il contribue parfois à fonder cognitivement la validité de ces propriétés. Sous certaines conditions, il peut s’apparenter à un raisonnement de type discursivo-graphique (Richard, 2004) et pourra s’exprimer à l’intérieur de registres de représentation sémiotique déterminés ». Cela constitue la dimension sémiotique.

L’ensemble des signes peut être organisé suivant différents registres de représen-tation (Duval, 1993). Les registres que nous allons pouvoir rencontrer dans notre recherche sont les suivants :

– le registre symbolique probabiliste : nous entendons les expressions du type

P(aX b) ou encore P(X [a; +[) ;

– le registre symbolique de l’intégrale : par exemple

b

a

f(x) dx;

– le registre graphique fonctionnel, par exemple la représentation graphique de l’aire sous la courbe ;

– le registre de la langue naturelle (probabiliste ou analytique).

Ces registres peuvent être clairement identifiés à un domaine mathématique (les deux premiers) ou être plus transversaux (le registre de la langue naturelle). Du-val (1996) s’intéresse à la connaissance en tant qu’activité d’un être individuel. Son approche est cognitive. Dans l’ETM, nous nous plaçons dans le plan cognitif, plus particulièrement au niveau de la composante « visualisation ». Il considère l’acti-vité cognitive impliquée dans les démarches mathématiques différente par rapport aux autres disciplines. Il l’explique par le fait qu’en mathématiques, on a recours à plusieurs registres de représentations sémiotiques. De plus les objets mathématiques ne sont jamais des objets accessibles par la perception. Il identifie des représenta-tions sémiotiques discursives (telles que la langue naturelle, la langue formelle...) et d’autres non discursives (telles les figures, les graphiques, les schémas...). Ces re-présentations ont plusieurs fonctions cognitives fondamentales : de communication, d’objectivation et de traitement. Les représentations sémiotiques peuvent être re-groupées en registres de représentation. On peut ensuite parler de changement de registre : «il s’agit d’une conversion de la représentation de quelque chose en une re-présentation de cette même chose dans un autre système sémiotique» (Duval, 1996, p. 357). Un changement de registre peut être confronté à des difficultés liées à des non-congruences entre registres. Cette non-congruence peut ne poser problème que dans un sens de conversion. Il appelletraitement une transformation de représenta-tion où l’on reste dans le même registre etconversion lorsque l’on change de registre. Duval (ibid.) fait l’hypothèse que «c’est en prenant simultanément en compte deux registres de représentations, et non chacun isolément, que l’on peut analyser le fonc-tionnement cognitif des activités mathématiques » (p. 373).

Les artefacts dans le plan épistémologique sont à relier à la conception de Ra-bardel (1995), pour qui un artefact peut être matériel (du monde physique) ou symbolique. Par artefact, il entend plus qu’une «chose ayant subi une transforma-tion d’origine humaine », mais surtout une « chose susceptible d’un usage, élaborée

pour s’inscrire dans des activités finalisées » (ibid., p. 49). Dans le travail mathé-matique, en probabilités, nous pensons par exemple aux logiciels, à la calculatrice, aux tables de la loi normale, mais aussi aux méthodes données par l’enseignant. Ra-bardel désigne par « instrument » : «l’artefact en situation, inscrit dans un usage, dans un rapport instrumental à l’action du sujet, en tant que moyen de celui-ci » (ibid., p. 49). Dans le modèle des ETM, le processus de construction est déterminé justement par les instruments utilisés. L’articulation entre artefact et construction se produit avec la genèse instrumentale (Artigue, 2002 ; Guin & Trouche, 2002).

Enfin, le référentiel théorique est constitué des définitions, des propriétés et des théorèmes à disposition des élèves. Cet ensemble doit être clairement identifié et donc faire l’objet d’une institutionnalisation. Il sert ensuite à une démarche de rai-sonnement et est utilisé dans un discours pour démontrer, nous parlerons de preuve. Cette dimension est appelé discursive, en gardant à l’esprit qu’il s’agit d’un discours de la preuve.

c) Les circulations entre les différentes composantes de l’ETM

Il ne faut pas voir ces trois dimensions (sémiotique, instrumentale et discursive), et a fortiori les composantes, comme isolées les unes des autres. Il existe des dé-pendances entre elles. Dans cette perspective, Kuzniak et Richard (2014) ont défini trois plans verticaux liant à chaque fois deux des dimensions : le plan sémiotico-instrumental, le plan sémiotico-discursif et le plan instrumentalo-discursif. Chacun mêlant deux dimensions simultanément.

À partir du modèle des ETM, Kuzniak, Nechache et Drouhard (2016) ont dé-veloppé l’idée de travail mathématique complet. Ils expliquent qu’un travail mathé-matique est complet lorsqu’il vérifie les conditions suivantes :

1. une véritable relation entre les plans épistémologiques et cognitifs. Cela signifie que les élèves sont capables de choisir les outils adéquates pour traiter un problème et ensuite de les utiliser en tant qu’instruments pour résoudre la tâche donnée.

2. une articulation riche entre les différentes genèses et les plans verticaux. Cela signifie que des composantes variées du travail mathématique sont prises en compte. Cela reflète une diversité de contexte de travail mathématique dans les activités des élèves (Kuzniak et al., 2016).

d) Les différents niveaux des ETM

Le travail mathématique, dans le contexte scolaire, peut être décrit à plusieurs niveaux (Kuzniak, 2011, p. 15-16). Le travail mathématique visé par l’institution est décrit dans l’ETM de référence. Nous pouvons étudier cet ETM à travers les programmes, ainsi que les documents officiels tels que les documents ressources ou documents d’accompagnement mis en ligne sur Eduscol. De plus, nous considérons que les sujets d’examens nationaux, comme le baccalauréat, sont aussi à considérer dans cet ETM, dans la mesure où ils constituent un ensemble de tâches proposés par l’institution et que donc l’institution considère comme des tâches réalisables

(tout du moins comme étant à savoir réaliser) par les élèves. Cet ETM ne peut être décrit que partiellement car les programmes notamment laissent une grande part d’autonomie à l’enseignant.

Cet ETM de référence doit ensuite être aménagé en ETM idoine pour permettre une mise en place effective dans les classes, où chaque élève travaille dans son ETM personnel. L’adjectif « idoine » qui, selon le dictionnaire Larousse en ligne, signifie « qui convient exactement à la situation », est à prendre ici de façon plutôt sub-jective, dans le sens où l’enseignant qui propose cet ETM le pense idoine. Cela ne signifie pas qu’objectivement il soit parfaitement adéquat pour l’enseignement de telle notion. Par cet adjectif, nous faisons l’hypothèse, qui semble raisonnable, que l’enseignant qui prépare son cours le veut idoine dans sa classe. Nous considérons deux types d’ETM idoine : les ETM idoines potentiels (Nechache, 2015) et les ETM idoines choisis. Les manuels, qui servent de ressources pour beaucoup d’enseignants, proposent des ETM idoines potentiels, inspirés par l’ETM de référence. Ensuite l’en-seignant adapte ces ETM idoines potentiels, voire d’autres (diverses ressources), en ETM idoine choisi, choisipar l’enseignant pour sa classe particulière, en prenant en compte son propre ETM personnel, ainsi que les ETM personnels de ses élèves. Le mot « potentiel » est à prendre dans le sens où les manuels offrent des potentialités, des possibles : tout ce que propose le manuel ne peut être repris dans une classe donc l’enseignant doit à l’intérieur faire des choix, de plus, la plupart du temps, il module les situations choisies.

e) ETM et domaine mathématique

Les mathématiques sont structurées suivant différents domaines tels l’analyse, l’algèbre, les probabilités, la statistique,... Un domaine des mathématiques est une partie des mathématiques définie par des objets, des représentations de ces objets et un référentiel théorique portant sur ces objets. Ce domaine doit avoir une struc-ture cohérente du point de vue mathématique et épistémologique. Le modèle consi-dère souvent un ETM associé à un domaine mathématique ; ce qui est le cas des ETG (ETM de la géométrie). On parle alors d’ETM de l’analyse (que l’on notera ETManalyse), d’ETM des probabilités (ETMprobabilités),... Dans notre travail, nous nous intéresserons aux domaines de l’analyse et des probabilités, mais aussi au do-maine de la statistique. Comme le fait remarquer Kuzniak (2014) : «les mathéma-tiques ne sont pas la réunion disjointe des divers domaines qui les composent car ils entretiennent entre eux des relations complexes » (p. 388). C’est pour cette raison qu’il peut être pertinent de s’intéresser à ces changements de domaines. Kuzniak (2014, p. 388) fait un parallèle avec la notion de changement de cadre, utilisée par Douady (1986). Pour Douady, un cadre «est constitué des objets d’une branche des mathématiques, des relations entre les objets, de leurs formulations éventuellement diverses et des images mentales associées à ces objets et ces relations » (p. 11). Kuzniak (2014), complété par Montoya Delgadillo et Vivier (2014), montre que la notion de cadre est plus large que celle de domaine :

Un cadre contient les images mentales des élèves, leurs connaissances, ce qui n’est pas le cas d’un domaine qui est essentiellement mathématique. Si le cognitif est directement pris en charge dans un cadre, en revanche il n’est pas présent dans la notion de domaine. Dans le modèle des ETM que nous

utilisons, le cognitif est considéré dans le plan cognitif et les images mentales d’un sujet peuvent être considérées à travers la notion d’ETM personnel. (Montoya Delgadillo & Vivier, 2014, p. 76).

Dans notre étude didactique, par exemple, le domaine mathématique peut être parfois considéré comme trop conséquent. Dans ce cas, on peut se restreindre à un domaine. Dans le domaine des probabilités, nous pouvons distinguer le sous-domaine des probabilités discrètes et celui des probabilités continues. Cependant, dans notre recherche, nous voulons nous limiter aux lois de probabilité à densité. Or nous avons mis en évidence dans l’étude mathématique (section 1.3) qu’il existe des lois de probabilité continues qui ne sont pas à densité. Nous avons donc décidé d’appeler probabilités à densité, le sous-domaine qui nous intéresse ici. Nous avons bien conscience qu’il s’agit d’un abus de langage pour signifier les probabilités de lois à densité. Nous aurons donc affaire au sous-domaine des probabilités à densité (que nous noterons PaD), à celui du calcul intégral (CI) et aussi à celui de la statistique descriptive (SD). Nous précisons que nous considérerons les fonctions comme faisant partie de l’ETM relatif au calcul intégral si elles interviennent pour ensuite calculer une aire sous la courbe ou une intégrale.

On peut donc relever plusieurs types d’ETM : des ETM associés à un domaine, des ETM associés à un sous-domaine et des ETM globaux. Selon Montoya Delgadillo et Vivier (ibid.), «un ETM global regroupe l’ensemble des composantes cognitives et épistémologiques dans le travail mathématique de plusieurs domaines ». Ils mettent en garde en précisant que la notion d’ETM global est à réserver dans le cas où les registres, domaines, notions, etc. en jeu sont suffisamment bien intégrés, d’une manière cohérente. Ils ajoutent :

On peut d’ailleurs interpréter comme un enjeu majeur de l’enseignement des mathématiques le fait d’aboutir à un ETM global coordonnant les ETM asso-ciés à des domaines mathématiques. On peut en particulier penser que l’ETM personnel d’un enseignant de mathématiques est global ce qui lui permet d’éla-borer un ETM idoine qui prend en charge plusieurs domaines, même si l’on peut interroger la coordination des ETM associés aux différents domaines au sein de cet ETM idoine (p. 78).

2.3.2 Quelques éléments de théories de l’activité qui