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A – Modèle dynamique et qualitatif du passage à l’acte

Dans le document La criminalité des malades mentaux (Page 88-91)

La psychiatrie du XXème siècle tente de dénouer le lien entre folie et dangerosité. Diverses études épidémiologiques, dont certaines sont reprises dans l’article de Bénézech et al80, suggèrent l’existence d’une relation positive entre un trouble mental majeur, une comorbidité psychiatrique et la criminalité. Toutefois, soulignons-le à nouveau, plusieurs auteurs s’accordent aujourd’hui de façon consensuelle pour préciser que la violence n’intéresse pas tous les patients et que la criminalité des malades mentaux ne représente qu’une faible proportion de la criminalité en général.

Le passage à l’acte peut être compris comme une conduite, c’est-à-dire une manière de se comporter d’un sujet dans une situation donnée à un moment donné de sa trajectoire existentielle. Comme toute conduite, il a un sens et s’inscrit dans un environnement lui-même signifiant. Il est une adresse à l’autre, se situant dans une relation avec autrui. En dehors de l’aspect constamment révoltant et parfois monstrueux de l’acte, le passage à l’acte meurtrier est le témoin d’une souffrance. Si cette dernière n’est pas inhérente à une maladie mentale, elle peut être le fait d’un dysfonctionnement de la personnalité. C’est pourquoi il serait préférable de considérer les troubles de la personnalité non seulement sous l’angle judiciaire mais aussi sous l’angle médical.

L’agressivité pousse à la violence qui se déclenche lorsqu’il y a rupture d’équilibre entre les impulsions et le contrôle interne. En revanche, impulsivité n’est pas synonyme

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BÉZÉNECH M., ADDAD M., GRASSET A., « Criminologie et psychiatrie », Encyclopédie Médico- Chirurgicale, Paris, Psychiatrie, 37 906A10, 10-1981.

d’agressivité. L’impulsivité serait à la base du passage à l’acte. Senninger81 décrit un modèle dynamique qu’il nomme la « dynamique de dangerosité singulière ». Ce modèle repose sur un noyau basal qui est l’impulsivité. Chaque être possèderait une « impulsivité basale ». Les composantes de cette dernière seraient tout à la fois innées, génétiques, et acquises, fruit des expériences psychologiques de l’enfance. Ces expériences infantiles, sans cesse renforcées positivement ou négativement tout le long de l’existence, sont à l’origine de l’établissement des bases narcissiques de la personnalité. C’est sur ces bases, véritables fondements de la personnalité, que se développent la structure et les traits de personnalité ainsi que les mécanismes de défense, par nature inconscients. Des défenses courantes sont utilisées de façon permanente et banale. Les mécanismes de défense peuvent être adaptés permettant un fonctionnement mental souple et harmonieux pour le sujet lui-même et entre le sujet et son environnement, ou bien être non adaptés, pathologiques, parce que inefficaces, trop rigides, mal adaptés aux réalités internes et externes, ou trop exclusivement d’un même type, comme par exemple la projection chez le paranoïaque. Cette impulsivité basale ou fondamentale ferait partie intégrante de la personnalité de chaque être et pourrait émerger du fait de perturbations psychopathologiques ou lors de mises en situations désorganisatrices. L’intégration de tous ces éléments pourrait générer une « impulsivité résultante », propice au déclenchement du passage à l’acte.

L’impulsivité basale est en principe très faible chez les personnalités de structure névrotique. Il s’agit déjà d’une personnalité particulièrement élaborée, en phase harmonieuse avec la réalité. Le vécu des affects, l’expression des émotions, les capacités d’empathie envers autrui et d’introspection sur soi-même, mais aussi la capacité à ressentir de la culpabilité et de la honte, protègent probablement ces personnalités du passage à l’acte meurtrier.

Pour qu’il se produise un passage à l’acte violent, des facteurs situationnels particulièrement criminogènes doivent être présents. L’alcool est certainement un des plus redoutables mais il n’est pas le seul. Il n’en est pas de même pour la personnalité psychopathique. Des situations a priori banales suffisent pour que le psychopathe passe à l’acte.

La variable situationnelle joue aussi un rôle important. Certaines situations seront facilitatrices comme cela s’observe parfois en cas de viol. D’autres situations seront réductrices du passage à l’acte, inhibitrices, comme le cas de l’enfermement sur l’impulsivité.

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SENNINGER J.-L., « Notion de dangerosité en psychiatrie médico-légale », EMC (Elsevier Masson SA, Paris), Psychiatrie, 37-510-A-10, 2007.

De nombreux éléments psychopathologiques vont influencer cette impulsivité. Ainsi, un délire de persécution sera facilitateur, alors que l’état dépressif est décrit comme plutôt inhibiteur, le sujet étant écrasé la plupart du temps par un ralentissement psychomoteur intense. En revanche, l’anxiété peut faciliter le passage à l’acte mais plutôt dans sa composante autodestructrice.

Mais porter un diagnostic est insuffisant pour repérer une dangerosité chez un individu. Senninger pose certaines questions : « Pourquoi un sujet est-il potentiellement dangereux ? », « Quand et où passera-t-il à l’acte ? » Il précise qu’il faut aller plus loin dans l’étude clinique d’un sujet que la simple observation de signes séméiologiques. L’examinateur doit tenir compte du psychisme de l’agresseur, mais surtout de son « état d’esprit » au moment du passage à l’acte (ses pensées, ses affects et sa capacité à pouvoir entrer en communication avec l’autre). C’est l’objet de l’agression et la forme de l’agression qui sont distordus dans les troubles psychiatriques. Il est indispensable de repérer des symptômes prédictifs. Selon cet auteur, « un des éléments de réponse consiste à repérer des trajectoires criminelles pathologiques, avec des moments privilégiés de production de la violence dans le parcours de la maladie ». Il décrit plusieurs types de trajectoires criminelles pathologiques : - Le sujet « dangereux précoce », inaugurant ses troubles psychiques par un acte violent. C’est le crime a priori immotivé du schizophrène signant un mode d’entrée dans la maladie. - Le sujet « dangereux tardif » passant à l’acte après une longue maturation de ses troubles. C’est le cas du délirant paranoïaque, persécuté, qui ne se résout à tuer qu’après épuisement de tous les autres moyens de défense contre ses persécuteurs désignés.

- Le sujet « dangereux par intermittence » dont la dangerosité suit l’évolution discontinue de la maladie, comme dans un trouble bipolaire.

- Le sujet « dangereux aigu » passant à l’acte de façon brutale et imprévisible dans un contexte qui n’est pas forcément celui d’une pathologie aiguë. Ce cas de figure se voit dans l’évolution processuelle d’une psychose chronique, le sujet déclenchant assez soudainement un délire avec hallucinations auditives lui donnant l’ordre de tuer.

- Le sujet « dangereux chronique » qui correspond au déséquilibre psychopathique dont la violence semble être une nécessité vitale impérieuse.

Le meilleur moyen de prévenir la criminalité des malades mentaux est de comprendre comment la maladie mentale peut engendrer le fait criminel.

B – Les caractéristiques du passage à l’acte selon le trouble mental

Dans le document La criminalité des malades mentaux (Page 88-91)