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A – Le choix politique de protéger la société du malade mental

Dans le document La criminalité des malades mentaux (Page 118-121)

C’est un fait, les affaires criminelles sont de plus en plus médiatisées. Les faits divers impliquant des malades mentaux dans la réalisation d’actes criminels engendrent systématiquement des lois qui accentuent l’enfermement et l’exclusion de ces derniers. On arrive au stade où il devient possible d’affirmer que les faits divers font la loi (1). Pourtant il est bien illusoire de rechercher un risque zéro de criminalité, sans même prendre en compte celle impliquant des malades mentaux (2).

1/ L’élaboration de la politique pénale à partir de faits divers

En matière psychiatrique, les initiatives du législateur dépendent en grande partie des faits relayés par les médias. Ces derniers touchent toujours l’opinion publique. Le crime est la première crainte des citoyens. Celui du malade mental est difficilement prévisible. Ainsi, le législateur décide d’apporter des réponses pénales plus fermes afin de répondre aux angoisses de l’opinion. La distinction entre nécessité législative et opportunité électorale tend à

s’affaiblir. Les solutions envisagées lèsent les intérêts des malades mentaux. Progressivement se met en place ce que le professeur de psychiatrie Jean-Louis Senon nomme « un droit pénal sécuritaire »111. Ainsi, le rapport de la Commission Violence et santé mentale112 précise que les non-lieux psychiatriques pour cause d’irresponsabilité mentale sont passés de 0,51 % en 1990 à 0,17 % en 1997. Il ajoute que la durée des peines des personnes souffrant de troubles mentaux, mais qui n’ont pas été reconnues irresponsables, s’est allongée ces dernières années. Les émotions publiques orientent plus que jamais dans l’immédiateté l’action du législateur.

Les exemples foisonnent. Il suffit pour s’en convaincre de voir l’inflation pénale législative de ces dernières années : en 2008, lors de la dernière législature, sur dix neuf lois, deux concernent la délinquance et neuf sont relatives à la sécurité. Le drame des infirmières de Pau (cf partie I, chapitre II, section II) en témoigne. Cette affaire a donné lieu à la loi n° 2008-174 du 25 février 2008 relative à la rétention de sûreté et à la déclaration d’irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental113. Cette loi a instauré la très controversée rétention de sûreté. Cette mesure de sûreté s’applique aux individus particulièrement dangereux condamnés à une peine de réclusion criminelle de quinze ans ou plus, qui présentent une forte probabilité de récidive. Elle est spéciale à certaines infractions. Elle consiste au placement du condamné dans un centre de suivi socio-médico-judiciaire après l’exécution de sa peine. Il est à noter que cette mesure s’applique aux individus jugés dangereux « criminologiquement » et non « psychiatriquement ».

De même, le 12 novembre 2008, un étudiant grenoblois de 26 ans a été poignardé en pleine rue par un malade mental atteint de schizophrénie paranoïde, échappé d’un hôpital psychiatrique. Ce dernier a été jugé irresponsable pénalement le 1er décembre 2009. Suite à ce fait divers, une réforme de l’hospitalisation psychiatrique a été initiée portant création d’un fichier national relatif aux hospitalisations d’office. Une pétition intitulée « La nuit sécuritaire » a été signée par de nombreux professionnels de la santé mentale qui dénoncent « un plan pour la psychiatrie aux conséquences dévastatrices »114. Ils critiquent l’idée d’un

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http://www.senon-online.com/Documentation/telechargement/3cycle/Droit/Psy crim/senon homicide.pdf

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Commission “Violence et santé mentale”, travaux préparatoires à l’élaboration du Plan Violence et Santé en application de la loi relative à la politique de santé publique du 9 août 2004, Anne Lovell, mars 2005, p.44.

http://www.sante.gouv.fr/htm/dossiers/violence_sante/sante_mentale.pdf

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GODFRY D., « Le droit et le malade mental dangereux », Santé mentale 128, 2008, p. 48-51

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amalgame de « la folie à une pure dangerosité sociale »115 et de « la maladie mentale à la délinquance ».

Ces lois et le phénomène de « surmédiatisation » des crimes des malades mentaux n’ont d’autres effets que d’accentuer la stigmatisation d’une population déjà discriminée pour elle-même. La conférence ministérielle européenne d’Helsinki en janvier 2005 a permis l’adoption par l’Organisation Mondiale de la Santé d’une Déclaration et d’un Plan d’action. Ils ont pour but de supprimer cette stigmatisation qui conduit les malades mentaux à éviter ou refuser des soins, par crainte de retombées de la part de la société ou de l’État. Il est certain que l’irrationalité qui peut se retrouver dans les crimes des malades mentaux inquiète. Mais les médias se doivent de divulguer une information exacte dans sa réalité. Celle-ci implique la matérialité des faits et leur récurrence. Les médias devraient redonner à l’émotion la place qui lui revient, tant les retombées sociales et légales pour les malades mentaux sont importantes.

2/ L’illusion d’une sécurité absolue

La politique du « risque zéro » est vouée à l’échec : la sécurité absolue ne peut malheureusement rester qu’au stade de l’utopie. La sécurité totale ne serait possible que dans une société uniformisée. Tout comme il est impossible de supprimer le malaise social, on ne peut supprimer la folie. La psychiatrie et la criminologie connaissent leurs limites : ces sciences ne peuvent prédire avec certitude ni l’éventualité, ni le moment d’un passage à l’acte violent chez un malade mental. Dans les cas les plus graves, on peut tout au plus prodiguer des soins aux patients afin de stabiliser leur état.

D’un point de vue psychiatrique, puisqu’il est impossible de supprimer la folie elle- même, seul l’enfermement des fous permettrait de tendre vers ce « risque zéro ». Cette politique était celle des précédents siècles où les malades mentaux, exclus de la société, passaient le reste de leur vie dans des asiles. Mais en choisissant de soigner le malade mental et de favoriser sa réinsertion, la médecine s’est enrichie de valeurs humanistes. Elle veut aider ceux qui n’ont pas choisi leur maladie. La médecine prend le même risque que la justice avec le criminel en tentant de réinsérer le malade dans la société. Exclure un problème, de manière générale, est une technique d’évitement qui ne permet en rien de le résoudre. Emmanuel Constant, président du conseil d’administration de l’hôpital de Ville-Evrard, s’interroge :

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« est-il plus utile d’organiser l’emprisonnement des enfants de 12 ans que de réduire à moins de six mois l’attente pour avoir un rendez-vous avec un pédopsychiatre ? »116. Puisqu’on ne peut éviter la folie, le débat sur la sécurité doit être repositionné. La question n’est pas « comment supprimer la folie » mais « comment la société peut-elle vivre avec ? ».

La construction médiatique et politique de l’image du malade mental nécessairement criminel est d’autant plus critiquable qu’elle contraste avec la fréquence des crimes commis par ces derniers.

Dans le document La criminalité des malades mentaux (Page 118-121)