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B – Concepts annexes : violence, agressivité

Dans le document La criminalité des malades mentaux (Page 83-88)

« L’anxiété pousse à l’agressivité et l’agressivité pousse à la violence ». La violence, mode d’expression de la dangerosité (1), est nécessairement le fruit de l’agressivité de l’individu (2).

1/ La violence

La violence est universelle. Elle comporte deux niveaux : d’une part la force physique ou brutalité, d’autre part, la transgression des lois, des règlements, des normes, des coutumes… Le mot violence est issu du latin violentus, violentia, qui signifie caractère farouche, force, transgression. Elle est sous-tendue par plusieurs facteurs d’ordre individuels (biologiques), sociaux, culturels, économiques, politiques. Elle se situe à quatre niveaux : individuel, relationnel, communautaire, sociétal.77 Des travaux contemporains insistent sur les origines sociales de la violence, considérée comme un moyen de légitimer un pouvoir ou une autorité, à un niveau individuel ou collectif, avec des fluctuations selon l’époque et la société.

En 2002, l’OMS (Organisation Mondiale de la Santé) a essayé de définir la violence dans le « rapport mondial sur la violence et la santé » présenté à Genève. Elle souligne que la violence fait plus de 1,6 millions de morts chaque année dans le monde. Elle définit ce concept comme « l’usage délibéré ou la menace d’usage délibéré de la force physique ou de la puissance contre soi-même, contre une autre personne ou contre un groupe ou une communauté, qui entraîne ou risque fort d’entraîner un traumatisme, un décès, un dommage moral ou une carence ».

Un individu peut avoir des pensées ou des fantasmes violents sans que cela le conduise à un acte de violence à moins qu’il perde le contrôle de lui-même sous l’action de certains facteurs, tels que la prise d’alcool ou de toxiques, ou du fait d’un événement extérieur fortement anxiogène.

77

SENNINGER J.-L., « Notion de dangerosité en psychiatrie médico-légale », EMC (Elsevier Masson SA, Paris), Psychiatrie, 37-510-A-10, 2007.

2/ L’agressivité et l’agression

La violence est toujours usage de l’agressivité. Celle-ci, dont le mot vient du latin ad gradere, marcher vers, serait une tendance à attaquer. On appelle agressivité toute forme de comportement visant à faire du mal ou à blesser une autre personne. Ce comportement dépend des événements qui précèdent ou qui suivent les actes d’agression.

Mais la notion d’agressivité est sujette à controverse. Porot, cité par Minkowski78, explique les différents sens que les psychologues attribuent à l’agressivité. Pour les uns, l’agressivité signe des actes à caractère hostile, destructeur, malfaisant. Pour les autres, l’agressivité est un concept désignant des tendances actives, tournées vers l’extérieur, affirmatives en soi, possessives et constructives. Soit l’agressivité est synonyme d’hostilité et s’inscrit comme réaction. Soit l’agressivité signifie expansivité, extériorisation. Au-delà de ces querelles de sens, la question plus essentielle est de savoir si l’homme est agressif par essence, par réaction ou par nécessité ? Comparant l’agressivité animale à l’agressivité humaine, la plupart des auteurs estiment que l’animal agresse de façon instinctive pour assurer la survie de son espèce, tandis que chez l’homme, l’agressivité est acquise et difficile à rationnaliser en termes de survie de l’espèce. Moser79 expose plusieurs modèles de l’agression.

- Modèles pulsionnels de l’agression

Ils regroupent deux principaux courants. D’une part, un courant psychanalytique met en exergue une régulation interne de l’individu. Il s’agit des pulsions de vie et de mort, opposition d’Éros et de Thanatos, décrites par Freud en 1920, qui feraient de l’agression un comportement instinctif. D’autre part, un courant éthologique insiste sur la nécessité d’assurer la vie sociale et l’évolution de l’espèce. Lorenz (1964) et Eibl-Eibesfeld (1972) considèrent l’agression comme l’expression d’un instinct de combat que l’homme partage avec de nombreux autres organismes vivants.

78

MINKOWSKI E., Traité de psychopathologie, Collection « Les empêcheurs de tourner en rond », 1999.

79

- Hypothèse frustration-agression

o Modèle de l’Université de Yale aux États-Unis.

En 1939, cinq chercheurs de l’Université de Yale énoncent l’hypothèse selon laquelle toute agression est une conséquence de la frustration et toute frustration engendre une forme d’agression. La relation entre frustration et agression serait linéaire. L’intensité de la réponse agressive est proportionnelle à l’intensité de la frustration. De plus, l’inhibition de l’agression est la punition. Pour qu’elle soit efficace, la punition doit être immédiate. Mais les études montrent que ce n’est pas tant la punition elle-même qui possède cette action inhibitrice, mais la possibilité d’occurrence d’une punition. Plus la menace d’une punition est forte, plus l’inhibition de l’agression est importante. Par ailleurs, l’expression active de l’agression diminue la tendance à agresser. Ce phénomène prend le nom de catharsis ou ab-réaction. L’inhibition empêche le passage à l’acte agressif, mais ne diminue pas la tendance à être agressif. Le passage à l’acte pourra se produire dès la levée de l’inhibition.

o Modèle de Berkowitz : 1965-1969.

Berkowitz a repris le modèle de l’Université de Yale mais en posant le postulat que la relation entre frustration et agression n’est pas linéaire. Il introduit deux éléments intermédiaires : d’une part, un élément interne, la colère ; d’autre part, un élément externe, la nécessité d’indices évocateurs, indispensables à l’actualisation de l’agression. La frustration provoque de la colère. Son expression dépend du sens donné par le sujet à la frustration et en l’occurrence au comportement d’autrui dans la situation particulière d’interaction sujet- agresseur. Son intensité dépend également d’indices évocateurs externes représentés par des signaux d’agression plus généraux tels que des armées en tout genre, des films à contenu agressif ou des personnes identifiées comme agressives. La colère engendre en fonction de ces indicateurs externes l’agression. Elle est d’autant plus intense que l’excitation émotionnelle est grande et que la conscience qu’en a le sujet est faible. Cela conditionne l’intensité de l’impulsivité.Mais en 1978, Zillmann critique ce modèle car Berkowitz n’explique pas comment se construit l’association entre indice évocateur et agression.

- Rôle de l’apprentissage dans les conduites d’agression

Si le modèle précédent décrit un comportement réactif, celui de l’apprentissage social montre que l’organisme a une capacité à modifier son comportement et à l’adapter à des

situations précises en fonction des expériences antérieurement acquises. Différents mécanismes d’apprentissage sont mis en évidence.

Le conditionnement classique selon la théorie de Pavlov annonce qu’à un stimulus donné correspond une réaction donnée.

L’apprentissage instrumental de Skinner est basé sur un apprentissage par essais et par erreurs. Il se fait par le jeu de renforcements, soit positifs, soit négatifs. Le renforcement positif correspond aux succès. Si l’agression est vécue comme un succès, elle aura tendance à être reproduite. Le renforcement négatif correspond aux échecs. Le comportement est inhibé, exclu.

L’apprentissage par imitation d’un modèle par le sujet explique les phénomènes d’entraînement de groupe.

L’apprentissage par observation de Bandura pose que l’agression est un comportement social appris. Les racines de l’agressivité humaine ne sont à rechercher ni dans un penchant inné pour la violence, ni dans des pulsions agressives éveillées par des frustrations. Les individus font acte de violence parce qu’ils ont acquis des réponses agressives à travers l’expérience passée. Ils peuvent recevoir ou anticiper différentes formes de récompense pour l’accomplissement de telle action, comme c’est le cas par exemple pour les soldats qui obtiennent des médailles pour avoir tuer des troupes ennemies en temps de guerre. Les racines de l’agressivité se trouvent dans les expériences du passé qui forgent l’apprentissage de l’agresseur et sont facilitées par de nombreux facteurs externes liés à différentes situations.

- Approche cognitive

Entre le stimulus et la réponse interviennent des processus centraux internes, appelés processus cognitifs. Deux approches différentes sont décrites. En 1978, Zillmann pense que les processus centraux internes n’interviennent que dans certaines conditions. En 1974, Tedeschi, et en 1979, Da Gloria, pensent que les processus cognitifs constituent la trame même de l’explication du comportement agressif. Il s’agit de la théorie de l’attribution.

Actuellement, plusieurs chercheurs émettent l’hypothèse d’un substratum neuro- anatomique pour expliquer les tendances agressives de certaines personnes. Plusieurs études montrent une association entre sévices physiques dans l’enfance et un comportement agressif ultérieur. Les sujets victimes de sévices physiques sévères pourraient souffrir de séquelles

neurologiques secondaires qui les prédisposeraient biologiquement à un comportement violent.

Les modèles théoriques donnent certaines pistes de prévention. La théorie de la frustration-agression met l’accent sur le rôle de la catharsis comme réduction de la tendance à agresser ainsi que sur les effets de la punition comme inhibition de l’agression. Toutefois, elle précise que l’inhibition peut être levée. L’agressivité ne s’exprime pas mais elle demeure en sommeil, prête à s’extérioriser. Cette catharsis s’observe chaque fois que le sujet peut agresser la personne qui l’a provoqué ou frustré. En revanche, l’agression envers les sujets autres que le frustreur, ou la visualisation de scènes violentes, ou l’agression seulement verbale, ne jouent pas de rôle cathartique. De plus, l’agression contre le frustreur peut être vécue comme un renforcement positif. Si elle libère momentanément la tension, elle n’empêche pas la récidive. C’est le cas en l’occurrence des psychopathes qui passent à l’acte de façon impulsive, qui y trouvent un réel soulagement et qui récidivent volontiers sans jamais ressentir une quelconque culpabilité.

Quant aux effets de la menace de punition, les premières études datent de 1957 avec Worchel. De nos jours, on pense que l’efficacité de la menace de la punition dépend de plusieurs facteurs. La colère ne doit pas être trop importante ou la provocation ressentie trop intense. La probabilité d’être puni doit être importante. La punition anticipée doit être élevée. L’agresseur ne doit retirer que peu de bénéfices de l’agression par rapport à la peine encourue. La punition est surtout efficace pour les délits mineurs.

Ainsi, « la punition est d’autant plus efficace qu’elle témoigne qu’autrui ou la société sont prêts à employer des moyens pour se faire respecter et ne tolèrent pas l’agression du sujet ». Mais pour être efficace, la punition doit être immédiate, contingente du comportement du sujet, considérée comme légitime et inscrite dans certaines normes sociales. Or dans la pratique pénale, la punition est constamment retardée de plusieurs mois ou années par rapport au moment des faits.

Les théories de l’apprentissage se réfèrent à des schémas de comportements. Elles suggèrent que ceux-ci peuvent être modifiés de la même manière qu’ils se sont consolidés. Les thérapies cognitivo-comportementales s’appuient sur cette observation.

La dangerosité n’est confirmée qu’au moment du passage à l’acte. L’expression de la dangerosité chez les malades mentaux est fonction de la maladie mentale sous-jacente.

Dans le document La criminalité des malades mentaux (Page 83-88)