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CHAPITRE IV : MISE AU POINT ET APPLICATION D’UN INDICE D’EROSION

IV 1. 5 Synthèse

IV. 5. 1 Un modèle à affiner…

L’expérience des différents événements décrits dans le paragraphe précédent nous a permis de vérifier et valider la capacité prédictive de l’indice d’érosion mis au point au cours de cette thèse. L’outil doit cependant faire l’objet d’améliorations. Ses imperfections portent essentiellement sur trois domaines : la conception même du modèle à partir duquel les calculs sont effectués (la définition d’un seuil), la qualité des données qui alimentent ce modèle (les simulations numériques de la NOAA, modèle GFS) et le protocole employé pour définir un seuil local de rupture (la quantité et la qualité des observations nécessaires à sa validation par le terrain).

L’une des faiblesses de notre indice d’érosion, puisqu’il est basé sur l’interprétation d’un effet de seuil, réside dans l’incertitude concernant les conditions aux limites. Le choix méthodologique de séparation graphique entre deux états, un milieu résilient et une rupture, en est à l’origine. La marge d’erreur qui en découle reste difficilement quantifiable mais elle peut avoir une incidence notable sur l’interprétation des résultats. Cela ne pose pas de problème quand il est question d’anticiper un aléa de forte magnitude, un large dépassement de seuil (cas des tempêtes de mars 2008 et de février 2009). Cette problématique prend tout son sens dès lors qu’il s’agit de simuler un aléa dont la magnitude est très proche du seuil théorique de rupture (cas de la tempête de janvier 2009).

Des remarques du même ordre ont été développées par R. S. Young et al. (1995) à propos du modèle SBEACH (M. Larson et N. C. Kraus, 1989). Le modèle SBEACH repose sur une formule analytique destinée à prévoir, en terme d’érosion (recul du trait de côte), les incidences d’une tempête sur la plage et sur la dune. Dans la conception de SBEACH, Larson et Kraus ont mis au point une méthode de prédiction des phases d’érosion/accrétion du profil de la plage (Equation 19), en démontrant qu’il existe une relation entre, d’une part, une valeur

déterminant la cambrure des vagues (H0/L0) et, d’autre part, le ratio entre leur hauteur (H0) et

le produit de leur vitesse d’effondrement (w) par leur période (T). L’ajustement de leur équation est tiré d’une séparation visuelle des situations qu’ils ont pu mesurer sur le terrain. Ils ont choisi de représenter le résultat de leurs mesures expérimentales dans un espace logarithmique afin de tirer une droite qui sépare les deux états possibles du système plage-dune. Avec les mêmes données, E. R. Thieler et al. (2000) ont employé une analyse discriminante linéaire (ADL) pour tracer objectivement la droite séparant les cas mesurés. Le résultat de cette discrimination montre que la droite de M. Larson et N. C. Kraus (1989) se situerait en dehors de la zone délimitant un degré de confiance de 95%.

Equation 19 H0 L0 =0.00070(H0 wT)3

Il convient également de préciser que les données de simulation qui servent aux calculs (modèle GFS et NWW3) sont elles mêmes génératrices d’erreurs. L’imprécision du modèle GFS a pu être estimée en comparant les valeurs simulées par le modèle numérique aux relevés effectués au sémaphore de Chassiron (Météo-France). Cette évaluation concerne les vitesses et orientations du vent. Elle a été menée sur une période équivalente à celle du suivi topographique, à savoir durant les hivers 2006-2007 et 2007-2008 (Figure 105).

Figure 105 : Les imprécisions du modèle GFS

En ce qui concerne l’orientation du vent, deux types d’erreurs ont pu être identifiés : la simulation d’un vent de mer alors qu’il vient en réalité de la terre ; la simulation d’un vent de terre alors qu’il vient en réalité de la mer. Ces erreurs sont généralement associées à des vitesses très faibles et/ou lorsque les effets de brise côtière sont mal appréhendés par le modèle. Dans notre cas, cela n’a pratiquement aucune conséquence. Pour la vitesse du vent, deux types d’erreurs ont pu également être identifiés : une sous-estimation ou une surestimation de cette vitesse par rapport à la réalité. La principale limite du modèle GFS est qu’il sous-estime presque systématiquement la vitesse du vent lorsque celui-ci atteint une

forte intensité, à savoir en cas de tempête. Ce biais restreint d’autant plus les capacités de notre indice d’érosion que celui-ci est précisément destiné à prédire les effets induits par ce type d’aléas météo-marins.

Par ailleurs, notre indice ne peut être adapté aux conditions locales qu’au prix d’un long travail d’observation et de suivi. Autrement dit, il est presque indispensable de disposer d’une base de données d’événements érosifs, qu’il faut régulièrement mettre à jour. Cela nécessite à la fois une bonne connaissance des conditions géomorphologiques qui déterminent le processus de rupture et un archivage précis des conditions météo-marines qui y conduisent. Les limites de cette méthode relèvent des échelles spatio-temporelles choisies pour sa validation par le terrain. Les tendances établies à partir du calcul d’un volume (MNT) ne traduisent pas forcément la réalité d’un budget sédimentaire. Afin d’établir ce bilan, il serait utile de pouvoir disposer de données complémentaires, notamment une estimation fiable du budget sédimentaire de la cellule à laquelle appartiennent les parcelles où ont lieu les mesures. Comme nous avons pu le démontrer plus haut, lorsqu’une tempête impacte le littoral, celle-ci peut le faire de différentes manières (attaque du pied de dune, submersion partielle ou totale…), avec des conséquences tout aussi variées. Le cas de la tempête Quinten (10 février 2009) sur le site de Vert-Bois est un exemple tout à fait représentatif. Certes, son impact a pu être anticipé et décrit grossièrement plusieurs jours avant que la dune ne soit effectivement érodée. Par contre, il nous fut impossible de prévoir des taux de recul aussi variables que ceux mesurés par la suite sur le terrain. De près de 8 m au droit des blockhaus, le recul n’a pas dépassé 4 m au sud de la plage (avec une moyenne de 2 m dans ce secteur).

Sur ces différents points qui limitent l’efficience de notre méthode, quelques pistes sont à développer. Les modes de calcul présentés plus haut peuvent sans doute être améliorés. Bien entendu, il n’est pas de notre ressort d’optimiser le réalisme du modèle GFS. Nous pouvons cependant renforcer la périodicité des « mesures ». En effet, les données de simulation des vitesses du vent et de hauteurs des vagues sont désormais disponibles sur un pas de temps tri-horaire. L’intégration de ces données intermédiaires permettrait d’affiner le calage entre les conditions d’agitation et la marégraphie. Comme cela a été évoqué à plusieurs reprises dans ce travail, la manifestation de niveaux d’eau extrêmes (ceux qui sont susceptibles de mettre en péril les formes littorales) est étroitement dépendante du phasage entre ces principaux facteurs dynamiques. Enfin, nous pensons que le protocole à mettre en place pour définir un seuil de rupture sur un site donné ne passe pas forcément par la multiplication de mesures de haute précision visant à obtenir des données quantitatives. Cette

méthodologie, qui n’est certainement pas transposable en l’état, peut éventuellement être adaptée à des contextes matériels peu favorables. Il suffit pour cela de disposer d’un archivage plus ou moins précis d’informations relatives aux tempêtes et à leurs conséquences spatiales (presse locale, témoignages, photographies, relevés éventuels…).