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CHAPITRE III : PRESENTATION HISTORIQUE DES SITES ATELIERS

III. 2. 2 « Elle a même emporté le parking ! »

Description des récents phénomènes d’érosion

Depuis le début des années 1980, cette partie du littoral oléronnais connaît une transformation très rapide tant au niveau du trait de côte qu’en ce qui concerne le complexe dunaire situé en avant de la forêt de pins. Ces évolutions peuvent être appréciées à partir des mesures de recul du trait de côte réalisées entre 1996 et 2000 par le Laboratoire de Géographie Physique Appliquée (M.-C. Prat et J. N. Salomon, 1997 ; M.-C. Prat, 2001). En fonction des secteurs mesurés, il varie en moyenne de 4 à 6 m par an mais peut dépasser 10 m dans les secteurs les plus sensibles, en particulier vers la pointe sud (Gatseau). Dans sa partie nord (Vert-Bois), nos propres relevés, plus récents, nous permettent d’avancer des taux annuels comparables sur la période 2004-2009.

Toutefois, le phénomène est très inégal dans le temps. Sur la plage de Vert-Bois, le recul de la falaise sableuse avait atteint 8 m sur l’ensemble de l’année 1998 mais l’érosion marine a impliqué un retrait de plus de 15 m pour le seul trimestre d’octobre 1999 à janvier 2000 (M.-C. Prat, 2001). De même, alors que nous relevons un recul proche de 5 m durant l’hiver 2007-2008, l’hiver suivant, il dépasse 10 m au droit des blockhaus, dont les fondations sont désormais situées côté plage (Figure 47).

Le transit éolien, majoritairement porté vers l’intérieur des terres, contribue sans doute à déstabiliser le système dunaire et explique en partie ces remaniements. Mais ces processus additionnels sont eux aussi extrêmement variables d’un point à l’autre du massif dunaire et peuvent différer significativement en fonction de la période considérée. A Vert-Bois, ils sont devenus pratiquement négligeables au regard des volumes de sable que l’érosion marine peut retirer à la dune, notamment parce que la dune mobile a pratiquement disparu (J. Musereau et

al., 2007 ; F. Sabatier et al., 2009). Plus au sud, au niveau de la Passe des Préposés, en raison

de la présence d’un cordon littoral relativement élevé (10 à 15 m) et peu végétalisé (dune blanche), les échanges éoliens entre la plage et la dune sont beaucoup plus prégnants. Sur ce point, il est donc risqué de généraliser des valeurs à partir de mesures ponctuelles et/ou localisées, comme d’autres ont pu le faire auparavant (CREOCEAN, 2003).

Quoi qu’il en soit, les volumes de sable perdus par érosion marine, qui dépendent à la fois de la hauteur de la dune et du recul annuel moyen, sont nettement supérieurs à ceux perdus par érosion éolienne. Selon les estimations les plus récentes, les capacités de transport

dues au transit littoral y varient de 50 000 m3 (± 20 000 m3) à 140 000 m3 (± 30 000 m3) entre 1997 et 2006 (X. Bertin et al., 2008).

Comment expliquer ce recul brutal ?

Analyser les causes de ce brusque renversement n’est pas simple. Est-ce le résultat d’un profond changement à l’échelle globale. Peut-on invoquer la thèse du Changement Climatique par le biais d’une possible évolution du régime des tempêtes ? N’y a-t-il pas d’autres facteurs explicatifs ? Les raisons du recul actuel de la dune de Saint-Trojan sont certainement multiples ; hormis l’origine climatique, nous pensons qu’il s’agit surtout du produit de nouvelles interactions entre l’Homme et la Nature, dont l’emprise est plus locale.

Comme nous l’avons montré auparavant (cf. II. 4. 1), l’étude statistique des jours de vent fort au sémaphore de Chassiron et des systèmes cycloniques qui en sont à l’origine n’apporte aucune certitude quant à un éventuel bouleversement du régime des tempêtes. Sur ce point, nos résultats sont proches des conclusions apportées par les différents auteurs qui se sont intéressés à ces phénomènes et à leurs conséquences sur les littoraux français (L. Lemasson, 1998 ; S. Costa et al., 2004 ; H. Regnauld et al., 2004a). Les données actuelles ne montrent pas de tendance nette en ce qui concerne l’évolution de la fréquence et de l’intensité des tempêtes en Europe de l’Ouest. Certes, quelques oscillations pluriannuelles s’individualisent, comme la période 1970-1990 et plus particulièrement le paroxysme de la fin des années 1980. Mais ces évolutions font plus appel à la variabilité climatique qu’à une quelconque évolution tendancielle. Même si de tels changements étaient avérés, nous pensons que la lecture singulière et déterministe, celle qui consiste à établir un lien de cause à effet entre climat et érosion sans se soucier des autres facteurs qui peuvent en être à l’origine, serait incomplète. En zone littorale, l’intensité des épisodes érosifs est aussi dépendante des variations locales du niveau de la mer, autrement dit de la marégraphie (P. Pirazzoli, 2000). Bien sûr, il est logique d’avancer que, si les tempêtes devaient être plus fréquentes, le risque qu’elles soient conjuguées à une PMVE le serait aussi. Mais cela ne veut pas dire que cette combinaison aura forcément lieu. Nous verrons plus tard que ces conjonctions sont finalement assez rares dans la Zone des Pertuis Charentais, notamment parce qu’elles demandent un parfait phasage entre la marée de tempête et la marée astronomique. Enfin, d’autres raisons, largement influentes, expliquent pourquoi certains sites sont plus concernés que d’autres. Il s’agit en outre de la sensibilité des territoires en question. Or, celle-ci est conditionnée par une multitude de facteurs : l’état du budget sédimentaire, la morphologie du rivage, la manière dont ces sites peuvent être gérés, aménagés… Cet ensemble de paramètres multiformes intervient la plupart du temps à l’échelle locale mais d’autres événements peuvent aussi avoir des effets indirects et se manifester avec un décalage dans le temps.

A Saint-Trojan, l’érosion marine découle indiscutablement d’un déficit sédimentaire marqué. Cette pénurie de sédiments est généralement expliquée par une réduction accrue des apports en provenance des fleuves (R. Paskoff, 1998). Sur les bassins versants, les barrages, l’occupation du sol (la couverture végétale notamment), la ponction de matériel sédimentaire, l’irrigation intensive (monoculture du maïs sur des terres peu adaptées) sont autant de facteurs qui peuvent contribuer à expliquer cette raréfaction des sables qui alimentaient autrefois la plage. Bien que son domaine d’intervention soit sous-marin, et donc moins visible, l’intensification de l’extraction offshore ne doit pas non plus être négligée. Cette pratique s’est avant tout développée pour combler la pénurie provoquée par une législation plus restrictive dans le domaine fluvial. Depuis 1984, deux sites situés au large du pertuis d’Antioche (seuil

inter-insulaire), avec des volumes exploitables considérables (environ 50 millions de m3), sont

régulièrement visités pour répondre à une demande croissante en matériaux de construction. Là encore, il est difficile d’établir un lien de causalité avéré entre ces interventions lointaines et le déficit observé à la côte. Dans cette zone, les plus récentes mesures ont tout de même montré que, par seulement 23 m de fond (une valeur inférieure à la profondeur limite), le transport de sédiment peut être significatif et temporairement important lorsque se conjuguent une BMVE et une forte houle (D. Idier et al., 2006).

Puis il y a d’autres éléments qui ont sans doute contribué à amplifier localement le phénomène. Situé en amont-dérive de Vert-Bois, l’épi de l’Ecuissière serait apparemment mal dimensionné (diagnostic avancé par l’Unité Littorale de la DDE 17). Cet ouvrage côtier a été construit au début des années 1980 pour freiner le recul du trait de côte, dans le but de protéger un camping installé sur la dune littorale. Pour différentes raisons (coût excessivement élevé, problématique du camping), il n’est pas concevable de le démanteler. Au-delà de cet épiphénomène, le tourisme a souvent été évoqué comme la « source de tous les maux ». Notre diagnostic à ce sujet se veut beaucoup plus nuancé. Si cette activité est depuis longtemps étudiée comme l’une des principales sources d’interférence sur le bon fonctionnement des systèmes littoraux (E. Flament, 1977 ; P. Colmou, 1983 ; A. Miossec, 1987), le tourisme peut aussi contribuer à la construction et parfois même à la pérennisation des territoires (P. Duhamel et R. Knafou, 2003). En milieu dunaire, la surfréquentation est reconnue comme localement responsable d’un dépérissement de la végétation couvrante (U. V. Andersen, 1995 ; P. Kutiel et al., 2000). Même si une démarche empirique suffit à mettre en évidence ce type de processus (Annexe 19), l’évaluation quantitative de la pression touristique sur la stabilité de la dune littorale de Saint-Trojan reste un domaine peu documenté.

Le « drame de Vert-Bois »

La survenue d’une tempête majeure a largement contribué à éveiller les consciences et les craintes vis-à-vis du recul de la dune de Saint-Trojan. Il s’agit de l’ouragan du 27 décembre 1999. Les quelques chiffres qui suivent témoignent du caractère exceptionnel de cet événement météorologique : les vitesses de vent enregistrées pendant la tempête sont d’ordre centennal, peu éloignées de 200 km/h en rafale ; les vagues ont atteint plus de 6 mètres à proximité du rivage charentais (Figure 48) ; ces conditions extrêmes ont engendré une surcote d’environ 1.80 m (estimation du SHOM pour le port de La Rochelle). En revanche, cette importante surélévation du niveau de l’eau est intervenue au sein d’un cycle de marée d’une amplitude moyenne (coefficient de 77 pour la pleine mer concernée).

En suivant le même protocole que celui adopté pour l’exemple de Klaus (cf. I. 2. 2.), nous avons reconstitué le niveau probable du Run-up engendré par l’ouragan Martin (Figure 48). Les variables prises en comptes sont : la hauteur d'eau théorique (m) calculée par le SHOM ; la pression atmosphérique (Hpa) et la vitesse (m/s) du vent moyen relevées au Sémaphore de Chassiron (Météo-France) ; les hauteur (m) et période (s) des vagues simulées au large des côtes charentaises (Météo-France, extraction du modèle ARPEGE par 46° N - 2°W). Les proportions de cette estimation sont sans doute imprécises. Le Wind set-up est vraisemblablement surestimé (calibrage inadapté de la formule d’E. Einarsson et A. B Lowe, 1968). Les données utilisées, celles du large, ne sont pas celles de la houle incidente à Vert-Bois. En dépit de cela, ces résultats nous informent que le potentiel érosif de cette tempête était important, tout en montrant que le phasage entre la marée de tempête et la marée astronomique n’était vraisemblablement pas « parfait ». Son impact sur le littoral aurait donc pu être encore plus désastreux si sa conjugaison avec la pleine mer avait été plus nette et, a

fortiori, si cette tempête exceptionnellement intense avait eu lieu au cours d’une forte

vive-eau (coefficient de marée supérieur à 100). Dans la région, ce type de conjonction est d’ailleurs excessivement rare et se révèle statistiquement peu probable (Annexe 20).

Les dégâts causés par la tempête n’en sont pas moins catastrophiques sur le plan économique et paysager. Notre discussion, centrée sur l’érosion qui en a en résulté au niveau de la plage de Vert-Bois, vise pourtant à relativiser certaines conclusions et raccourcis qui peuvent prêter à confusion. Si les tempêtes de décembre 1999 en sont aussi responsables, la destruction du parking touristique était, d’une certaine manière, relativement prévisible et, de toute façon, déjà à l’œuvre.

Le cas du parking de Vert-Bois, évoqué dès les premières lignes de ce travail, incite en effet à la prudence quant à l’interprétation des catastrophes engendrées par la « tempête du siècle ». Dès la fin du mois d’octobre, le rapide flux d’Ouest a impliqué une succession de coups de vent (surtout les 23 et 24 octobre) qui ont partiellement détruit le parking (Annexe 1A). La répétition d’aléas paroxysmiques, pour les uns en raison de leur concomitance avec de fortes marées astronomiques et pour les autres en raison de leur magnitude exceptionnelle, est un élément de compréhension essentiel au sujet du recul spectaculaire mesuré à Vert-Bois durant le dernier trimestre 1999 (15 à 20 m) ; la violence de l’ouragan du 27 décembre n’impliquant qu’une partie de cette intense phase d’érosion.

Le « drame de Vert-Bois » peut également être interprété comme résultat d’une occupation mal maîtrisée de la frange littorale. En plein essor économique avec le développement de l’activité touristique, les choix qui ont été pris en matière d’aménagement ont aussi une part de responsabilité dans la destruction de certaines infrastructures littorales. Comme l’illustre la Figure 49, l’emplacement des aires de stationnement étaient inadaptés à son proche environnement. Ne prenant pas en compte la mobilité de la dune littorale, ces aménagements ont impliqué une exacerbation de la vulnérabilité du site.

Certes, l’implantation du parking a été pensée, et décidée, dans un contexte morphosédimentaire en tout point favorable. Nous concédons volontiers que cette situation malheureuse devait être difficilement concevable à une époque où la dune avait encore tendance à progresser vers la mer. Cependant, si près de la mer et de manière à longer le rivage, le schéma d’aménagement de la plage de Vert-Bois s’est vite montré inopportun. Dès l’amorce du recul du front de dune, au moins lorsque le danger a commencé à se manifester avec insistance (le cordon littoral a commencé à être remanié et des phénomènes récurrents d’ensablement de la voirie ont été observés dès la fin des années 1980), aucune démarche d’anticipation, ni décision allant en ce sens, n’a été entreprise pour gérer cette problématique en devenir.

Mais, le « drame de Vert-Bois » n’est finalement qu’un exemple parmi d’autres. Il s’ajoute, en France comme ailleurs, à la liste des nombreux cas comparables de « télescopage » entre processus naturels et anthropiques (C. Meur-Férec et V. Morel, 2004). En 2002, lors de la création d’une nouvelle aire de stationnement destinée à remplacer le parking détruit trois ans plus tôt, un dispositif de protection a été testé par l’Unité Littorale de la Direction Départementale de l’Equipement de Charente-Maritime sous le qualificatif de « Chantier-Pilote de Vert-Bois » (Figure 50 et Annexe 21). L’objectif avoué de l’ouvrage était la fixation du trait de côte. En mobilisant une quantité suffisante de sédiments sur le haut de plage, il aurait dû avoir la vertu de constituer une avant-dune susceptible de protéger plus efficacement cette partie sensible du littoral oléronnais. Le système mis en place était composé de piquets de bois placés en quinconce sur le haut de plage et le pied de dune. En théorie, ces piquets doivent permettre de diffuser l’énergie du jet de rive (swash) et de la nappe de retrait (backwash) induits par le déferlement des houles pour accumuler des séquences de sable et accélérer l’aggradation de l’avant-dune par temps calme (Figure 50).

Seulement, l’aménagement s’est avéré être un échec. Dès le début de l’année 2003, avec l’arrivée des premières tempêtes hivernales, la majeure partie des géotextiles installés sur le Chantier-Pilote a été emportée par les vagues (Figure 50). Malgré un probable fléchissement du rythme de l’érosion durant les mois qui ont suivi la mise en place des piquets (observations visuelles), l’érosion marine a continué à dégrader la dune et rendu l’ouvrage obsolète. Plus encore, pendant les tempêtes qui ont suivi, le déchaussement des nombreux pieux de bois composant l’édifice a fini par devenir un véritable danger pour les visiteurs (baigneurs, surfers, pêcheurs à pied…). L’aménagement a finalement été presque intégralement retiré en juin 2007.

Le recul du trait de côte est toujours d’actualité et son rythme n’a pas connu de changement significatif, dans un sens ou dans un autre, avant, pendant et après l’aménagement de la plage. Aujourd’hui, le principe d’acceptation de cette dynamique régressive est partagé par l’ensemble des gestionnaires locaux qui interviennent sur ce site.

III. 3 DE LA PLAGE DE MARENNES A MARENNES-PLAGE

Dans sa configuration actuelle, « Marennes-Plage » est un site assez récent, puisque la construction du bassin de baignade n’a été mise en œuvre qu’en 1997. Toutefois, le secteur géographique où cet aménagement a été implanté, la rive droite de l’estuaire de la Seudre, a connu auparavant d’autres types d’intervention sur la période historique que nous proposons

de décrire (19ème et 20ème siècles). Ces travaux successifs visaient principalement à consolider

un cordon littoral fragile et à protéger des enjeux dont la quantité et la variété ont été multipliées au fil du temps. Il s’agit de marais maritimes aménagés pour l’activité ostréicole, devenus parcelles agricoles en certains endroits et, surtout, d’un nombre croissant d’habitations et de campings construits à proximité de la mer. D’un point de vue morphosédimentaire, les modalités d’intervention que cela nécessite s’articulent en fonction de deux problématiques bien distinctes : la fixation impérative des apports de sable venus de

la mer au début du 19ième siècle (ensablement de l’arrière cordon), la gestion de l’épuisement

de ce stock sédimentaire à la fin du 20ième (érosion sensible du cordon littoral).