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CHAPITRE I : PROBLEMATIQUE GENERALE ET POSTURE EPISTEMOLOGIQUE

I. 2. 2 Par définition, un modèle ne peut pas tout prévoir

Il existe de nombreux modèles visant à décrire les processus d’érosion induits par les événements violents, comme par exemple les tempêtes, dont le principal effet est qu’elles engendrent une surélévation du niveau local de la mer. Il s’agit pour leurs concepteurs de calculer le Run-up, le niveau (vertical) maximal atteint par les vagues au-dessus du niveau théorique de la mer. Dans ce domaine, une des équations les plus simples et les plus fréquemment utilisées est celle de P. Ruggiero et al. (2001). Ces derniers ont proposé un modèle d’érosion en combinant la valeur maximale du Wave run-up et la surcote provoquée par la marée de tempête pour les comparer aux caractéristiques morphologiques des rivages (hauteur du pied de dune, profil de la plage...). Le principe de ce modèle d’érosion est relativement simple : si le run-up total atteint l’altitude du pied de dune, les conditions sont réunies pour que la dune soit érodée et le phénomène sera d’autant plus important que cette configuration perdurera (Figure 6, Equation 1).

Equation 1 R2% =0.27(SHL)1/2

R2% est la valeur maximale du Wave runup (dépassée dans seulement 2 % des cas) ; S est la pente de la plage ; H est la hauteur de la houle en eau profonde ; L est la longueur d’onde de la houle en eau profonde (Tiré de P. Ruggiero et al., 2001).

Figure 6 : Principe et exemple de formulation du Run-up

A des fins prédictives, ce type d’équation présente toutefois de nombreux inconvénients. En outre, cela suppose qu’il faille connaître la position exacte du pied de la dune juste avant la tempête, pour savoir s’il sera réellement atteint par le jet de rive (wave swash). Cela demande également à ce que la pente de la plage, qui varie constamment dans le temps et dans l’espace, soit mesurée avec une grande précision. Enfin, ce type de modèle nécessite de déterminer finement le niveau maximal de la mer atteint pendant la tempête, qui est lui-même le résultat d’un grand nombre de processus interactifs et dépend de facteurs variés tels que les conditions météorologiques locales, la temporalité d’une conjonction entre la marée de tempête et la marée gravitationnelle, la morphologie du rivage (effet de site)…

Nous avons testé cette équation à l’occasion de la tempête Klaus, qui a durement

touché l’Aquitaine le 24 janvier 2009. Les mesures ont été réalisées sur la plage de Vert-Bois

(île d’Oléron). Comme elle présente un profil dissipatif (tan β de 0.02), cette plage se prête

assez bien à l’expérimentation de la formule de P. Ruggiero et al. (2001), tout spécialement

calibrée pour ces environnements précis. Les relevés topographiques requis pour les calculs ont été effectués avant (22 janvier) et après (27 janvier) cette période de forte agitation, dont

la tempête Klaus ne constitue que le paroxysme. Entre temps, les conditions météorologiques

ne permettaient pas de réaliser des mesures dans de bonnes conditions, sans risquer d’obtenir des données inexploitables ou, pire encore, de dégrader le matériel prévu à cet effet. Les

différents éléments qui interviennent dans le paramétrage du modèle ont été acquis a

Gatseau (SHOM), la pression atmosphérique au port de La Rochelle (Météo-France), les

hauteur et période de la houle au large immédiat d’Oléron (réanalyses du NCEP3). En

comparant les résultats de ce travail de modélisation avec celui des mesures in situ, nous nous sommes aperçu que le modèle avait semble-t-il sous-estimé le Run-up total durant les marées hautes des 23 et 24 janvier, tout particulièrement durant celle pendant laquelle la tempête

Klaus est passée sur la région. Des photos réalisées le 25 janvier montrent que le pied de la

dune a connu un abaissement significatif et plus précoce que ce que les résultats chiffrés ne permettent d’interpréter (Figure 7).

Nous avons émis une première hypothèse qui consiste à penser que le modèle de P. Ruggiero et al. (2001) omet un facteur essentiel : les conséquences engendrées localement par le fort vent d’afflux associé au passage de la dépression. Même si la Charente-Maritime a été relativement épargnée par l’ouragan (rafale maximale de 120 km/h au sémaphore de Chassiron), le vent a pu amplifier encore d’avantage la marée de tempête et interagir avec la morphologie du littoral, en accumulant la masse d’eau vers le littoral. Selon le MetOffice, c’est un des éléments majeurs qui explique la submersion historique de 1953 et son aspect dévastateur aux Pays-Bas. Afin de restituer ce rôle indirect du vent, nous avons simplement ajouté un paramètre à la formule initiale, le Wind set-up, pour la compléter et optimiser le résultat numérique. Nous avons opté pour l’équation d’E. Einarsson et A. B Lowe (1968). Testée sur un lac (Winnipeg), cette formule (Equations 2) n’est peut-être pas la plus appropriée pour des expérimentations menée sur un littoral océanique, mais elle présente

l’avantage de pouvoir estimer le Wind set-up (∆H) à partir d’une relation linéaire fonction du

carré de la vitesse du vent (V, en m.s-1), elle même pondérée par la direction du vent (ω) ;

pondération que nous avons simplifiée par le rapport suivant : une valeur positive pour un vent d’afflux et négative pour un vent de reflux. Nous l’avons calculé à partir d’enregistrements des vitesse et direction du vent moyen à La Rochelle (Météo-France).

Equation 2 ∆H=0.1707+0.00349Vω2

L’intégration du Wind set-up (Figure 7) permet en apparence d’obtenir des résultats

plus réalistes que la formule simplifiée de P. Ruggiero et al. (2001). Mais ce complément de

paramétrage n’est qu’une illusion. Il ne répond que partiellement à la problématique qui nous est posée et dont une partie importante est directement liée à un problème d’ordre logistique.

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Figure 7 : Le modèle de Run-up, un paramétrage insuffisant

En effet, au-delà de l’imprécision intrinsèque du dispositif de mesure, la marge d’erreur des appareils conçus pour les levés topographiques (elle est d’environ 20 cm en z pour un système DGPS), notre seconde hypothèse est directement liée à l’impossibilité matérielle d’effectuer des relevés pertinents. Dans ce cas précis, ceux-ci nous auraient permis de constater que le pied de dune s’était abaissé dès le 24 janvier et peut-être révélé que la pente de la plage avait aussi changé. En ce sens, de l’information a été perdue. L’incertitude qui en découle peut avoir une incidence majeure sur les résultats finaux. Par la suite, la mer a logiquement pu attaquer plus facilement le front de dune puisque le point de référence qui définit le passage d’un état résilient (le Run-up total n’atteint pas le pied de la dune) à celui d’un site en érosion (le seuil est dépassé) a évolué entre temps. Selon nos estimations visuelles, ce niveau critique aurait perdu au moins 50 cm avant que les plus fortes valeurs de

Figure 8 : Le modèle de Run-up, des données manquantes

Dans ces conditions, et sachant qu’il aurait été calibré avec des données de simulation pour être appliqué dans un but prédictif, par définition moins précises que les mesures réelles qui nous ont servi à cette démonstration, une remise en cause de la véracité des chiffres que proposent ce type de modèle nous paraît indispensable. Bien qu’il s’agisse ici de critiquer une formule qui se veut volontairement épurée, notre postulat est de penser que tout modèle, aussi perfectionné soit-il, ne peut répondre intégralement à une problématique aussi riche que celle qui consiste à tenter de prédire les phénomènes d’érosion du littoral.