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Mme F ENOUILLET et M M EKKI préconisent de faire preuve de pragmatisme

relative et absolue

Section 3 les critères alternatifs

99. Mme F ENOUILLET et M M EKKI préconisent de faire preuve de pragmatisme

dans la construction du régime des nullités. L’exposé de leur proposition (A) sera suivie de sa critique (B).

A - Exposé de la proposition

100. Lors d’une étude relative à l’ordre public ''philanthropique'', Mme Fenouillet

soutient que seule l’association « des deux considérations, quantitative (la généralité ou la particularité de l’intérêt immédiatement protégé) et qualitative (l’importance finale, dans la Cité ou dit autrement pour la société, de cet intérêt) peut permettre de distinguer entre nullité absolue et nullité relative »427. Cette proposition a inspiré M. MEKKI qui, à son tour, a estimé

que « le régime des nullités réparti entre nullité relative et nullité absolue ne peut reposer sur un critère purement quantitatif » en raison notamment de l’imbrication de l’intérêt général et des intérêts particuliers428. Il relève également que l’ordre juridique poursuit la satisfaction de

civiles de la Cour de cassation avaient opté pour la nullité relative dans l’hypothèse de l’absence de cause (v. supra

n°88).

Ensuite, M.BERTHIAU n’a pas pris la précaution nécessaire liée à son choix d’ériger un régime en régime de droit

commun. En effet il semble retenir, comme la majorité des auteurs, une détermination en bloc du régime de la nullité en fonction de son caractère. Or, il n’explique pas quel caractère attribuer à une cause de nullité lorsque le législateur a partiellement dérogé au régime de droit commun. Ainsi, quel caractère attribue-t-il, par exemple, à la cause de nullité prévue par l’article L. 622-7, III du Code de commerce, qui dispose que « tout acte ou tout paiement passé en violation des dispositions du présent article est annulé à la demande de tout intéressé ou du ministère public, présentée dans un délai de trois ans à compter de la conclusion de l’acte ou du paiement de la créance » ? Au regard de sa proposition, le cercle des titulaires de l’action correspond à la nullité absolue, mais le délai correspond davantage à la nullité relative, puisque dérogatoire au délai de droit commun. Quid encore de l’ancienne cause de nullité pour impuberté ? Elle pouvait être invoquée par tout intéressé, ce qui correspond au régime de droit commun, mais pouvait être couverte par un fait confirmatif (v. l’anc. art. 185 du Code civil), ce qui est dérogatoire au régime de droit commun.

Si la proposition de M.BERTHIAU se rapproche de celle de BONNECASE (Supplément au traité théorique et pratique de Baudry-Lacantinerie, T. III, Sirey, Paris, 1926, n°107 et 108) en ce qu’il considère la nullité relative comme un

régime dérogatoire à la nullité absolue qui constitue le régime de droit commun de la nullité, elle s’en distingue en ce que ce dernier avait pris la précaution de faire de la nullité relative une catégorie résiduelle – à savoir que toute nullité qui ne correspondait pas entièrement au régime de la nullité absolue ne pouvait pas être qualifiée comme telle. L’absence de cette précaution n’est pas, comme nous avons pu le constater, sans entrainer des écueils. D’ailleurs afin d’éviter de tels inconvénients, M. BERGEL précise, lorsqu’il affirme que toute distinction peut

n’être que binaire, qu’il est impératif que l’une des deux catégories soit ouverte afin qu’il soit possible de classer tous les éléments.

Une quatrième proposition a été formulée par M.SADI. Il préconise de retenir une classification ternaire fondée sur la nature du vice. Selon lui, il y aurait des nullités personnelles, des nullités matérielles et des nullités pour illicéité (v. SADI (D.), Essai sur un critère de distinction des nullités en droit privé, préf. F. Labarthe, Mare&Martin, 2015).

427 FENOUILLET (D.), « Les bonnes mœurs sont mortes ! Vive l’ordre public philanthropique ! », in Le droit privé

français à la fin du XXe siècle, Etudes offertes à P. Catala, Litec, 2001, n°39, p. 522. Elle estime que si le critère

quantitatif peut « éventuellement suffire à fonder la hiérarchie de l’ordre public en matière économique », il est dépourvu de pertinence en dehors de ce domaine, « lorsque la valeur protégée est extra patrimoniale ».

certaines valeurs jugées essentielles qui doivent être prises en considération dans la construction du régime des nullités. Il préconise alors, pour mieux appréhender le régime des nullités, de « doubler le critère quantitatif d’un critère qualitatif », critère qualitatif qui ne pourrait être utilisé seul car « une nullité relative protège parfois de manière plus radicale et efficace des intérêts véhiculant des valeurs fondamentales »429. C’est donc « l’efficacité de la

sanction et de la règle violée qui doit toujours guider le choix du type de nullité »430.

De la combinaison de ces critères quantitatif et qualitatif, il résulte que la nullité absolue sanctionne la méconnaissance des règles protectrices d’intérêts extrapatrimoniaux, tandis que la nullité relative sanctionne celle des règles protectrices d’intérêts patrimoniaux431.

L’efficacité de la règle, pour M. MEKKI, ne doit pas seulement permettre de

déterminer la nature de la nullité, elle doit également dominer le régime des nullités. A cette fin, la souplesse est nécessaire432. Il préconise d’assouplir le régime de la nullité absolue et

d’admettre que certains cas de nullité absolue puissent faire l’objet d’une confirmation, ou ne soient pas susceptibles d’être invoqués par certaines personnes, soit en raison de l’effet pervers d’une règle auquel aboutirait leur intervention, soit en considération des intérêts en jeu433. Pour

autant, il ne précise pas lesquelles, ni ne donne d’exemples. L’efficacité de la sanction et de la règle violée doit donc non seulement guider le choix du type de nullité, mais également en dominer le régime434. Un tel pragmatisme du droit des nullités repose alors sur un rôle majeur

du juge435.

Mais si elle a le mérite de la souplesse, cette proposition en comprend également les écueils.

B - Critique de la proposition

101. M. MEKKI préconise de maintenir la distinction des nullités relative et absolue

tout en en modifiant le critère. Deux inquiétudes résultent de la mise en œuvre des critères qualitatif et quantitatif. La première a trait aux domaines respectifs de la nullité relative et de la nullité absolue (1), et la seconde, à la perte de cohérence de la théorie des vices du consentement (2).

429Ibid.,n°1030.

430ibid.

431 MEKKI (M.), op. cit., n°1030-1031 ; FENOUILLET (D.), « Les bonnes mœurs sont mortes ! Vive l’ordre public

philanthropique ! », art. préc., p. 522.

432 MEKKI (M.), op. cit., n°1032.

433Ibid., n°1034.

434 V. également : « Nullité et validité en droit des contrats : un exemple de pensée par les contraires », RDC 2006,

p. 679 où M.MEKKI insiste sur le fait que le droit des nullités doit être pragmatique.

1 - Une détermination des domaines respectifs des nullités relative et absolue délicate

102. S’il résulte de la combinaison de critères que la nullité relative sanctionnerait les

atteintes à un intérêt de nature patrimonial, tandis que la nullité absolue constituerait la sanction des atteintes à un intérêt de nature extrapatrimonial, M. MEKKI et Mme FENOUILLET

reconnaissent que ce ne sera pas systématiquement le cas436. Mme FENOUILLET précise

d’ailleurs qu’il faudrait également « prendre en compte la gravité de l’atteinte à la valeur protégée par l’ordre public », ainsi que les « circonstances de la violation de cette valeur »437.

En conséquence, non seulement les pouvoirs concédés au juge s’avèrent importants, puisqu’il lui reviendra d’apprécier l’impact des circonstances de la violation de la valeur protégée, mais il apparaît également que cette combinaison de critères est délicate à mettre en œuvre et insuffisante en elle-même. La variable résultant de la prise en compte des circonstances introduit certes de la souplesse, mais constitue surtout un facteur d’incertitude nuisant à la sécurité juridique.

La critique de ce critère peut également être opérée au regard de ses conséquences sur la théorie des vices du consentement.

2 - La perte de cohérence de la théorie des vices du consentement

103. Actuellement, la nullité relative constitue commune aux trois vices du

consentement. L’adoption de la proposition de Mme FENOUILLET et de M. MEKKI conduirait

à rompre cette identité de sanction. En effet, lorsqu’ils mettent en œuvre leur combinaison de critères, ces auteurs aboutissent à la conclusion que, si le dol et l’erreur entrainent une nullité relative, la violence physique comme morale engendre une nullité absolue438. En effet, selon

ces auteurs, le dol et l’erreur seraient liés aux intérêts patrimoniaux d’un individu, tandis que la violence physique comme morale porterait atteinte aux intérêts extrapatrimoniaux. Mme FENOUILLET précise d’ailleurs que la confirmation d’un acte conclu grâce à l’expression d’un

consentement non libre ne doit pas être permise car cela revient à renoncer à son intégrité, voire à soi-même439.

104. Cette position s’avère discutable. D’une part, parce qu’il n’est absolument pas

certain qu’un dol ou une erreur atteigne les intérêts patrimoniaux d’une personne. En effet,

436Ibid., n°1031 : « Cependant, une telle conclusion serait par trop théorique » ; v. égal. FENOUILLET (D.), art.

préc., n°40-41, p. 523 et s.

437 FENOUILLET (D.), art. préc., n°40-41, p. 523 et s.

438 MEKKI (M.), op. cit., n°1030-1031 ; FENOUILLET (D.), art. préc., n°39, p. 522.

l’erreur ou le dol peut très bien porter sur la personne du cocontractant et non sur la valeur du bien. D’autre part, parce que la différence de sanction entre le dol et l’erreur d’un côté, et la violence de l’autre, ne s’explique pas. Dans les trois hypothèses, ce qui est sanctionné ce n’est pas l’atteinte au patrimoine en raison d’un déséquilibre prestation/valeur – ce qui renvoie à la lésion –, mais l’atteinte au consentement, soit à sa clarté, soit à sa liberté. Le lien entre les trois vices du consentement réside là, dans l’objet de l’atteinte : le consentement. Ce que l’on sanctionne sur le terrain de la violence en droit civil ce n’est absolument pas l’atteinte à l’intégrité physique, cela est du ressort du droit pénal, mais l’absence de consentement libre440.

Si le contractant dont le consentement a été vicié par la violence décide de confirmer l’acte entaché de nullité, il n’est pas possible de considérer qu’il renonce à son intégrité physique ou morale. Il abandonne seulement sa faculté à se prévaloir d’un consentement non libre pour obtenir la nullité de l’acte.

105. La proposition préconisant de faire preuve de pragmatisme en combinant un

critère qualitatif et un critère quantitatif ne convainc donc pas. Il reste alors celle suggérant de lier la distinction des nullités relative et absolue avec celle du droit strict et de l’équité, c’est-à- dire de prendre en considération l’origine de la règle.

§.2 - L’origine de la règle : la distinction du droit strict et de l’équité

106. Procédant à une étude historique des nullités contractuelles, Mme CUMYN

parvient à la conclusion que la détermination du caractère d’une cause de nullité doit résulter de l’origine de la règle qu’elle sanctionne (A). Cette proposition ne peut qu’être rejetée en raison des écueils qu’elle comporte (B).

A - Exposé du critère

107. Pour MME CUMYN, la nullité relative et la nullité absolue ne possèdent pas la

même finalité441. La première constituerait la sanction des règles d’équité, tandis que la

seconde sanctionnerait les règles de droit strict. Ainsi, pour cet auteur, c’est l’origine de la règle – équité ou droit strict – qui commanderait la nature de la nullité.

Les règles de droit strict « tendent à se présenter comme des règles d’application générale ». Elles ont vocation à « contrôler l’utilité sociale du contrat, c’est-à-dire

440 Le droit pénal a d’ailleurs, au terme d’une évolution jurisprudentielle, sanctionné les violences psychologiques.

Le législateur est venu par une loi du 9 juil. 2010 consacrer cette évolution en énonçant dans un article 222-14-1 que « les violences prévues [à la section qui leur est consacrée] sont réprimées quelle que soit leur nature y compris s’il s’agit de violences psychologiques ».

son aptitude à remplir son rôle social et économique et sa conformité à l’ordre juridique » (conditions de légalité)442. Ainsi, la nullité absolue sanctionne la légalité transgressée, la

non-conformité du contrat aux conditions de légalité prescrites par le droit strict. Les règles d’équité revêtent, quant à elles, « le caractère d’exception »443. Elles ont pour unique fonction

de « se préoccuper du caractère juste de l’entente, eu égard à la conduite et aux intérêts des parties »444. Les nullités relatives agissent au service de la « la justice contractuelle »445,

puisqu’elles permettent de remédier à « l’injustice contractuelle pouvant découler d’un contrat valide selon le droit strict »446.

De prime abord, cette proposition a l’air simple. Mais à l’image du critère de l’intérêt, celui de l’origine suscite des difficultés de mise en œuvre.

B - Critique du critère

108. L’influence exercée par les considérations d’équité sur les règles de droit strict

d’une part, et l’identification des règles composant respectivement l’ordre public de protection et de l’ordre public de direction d’autre part, montrent que le critère proposé manque de caractère opératoire.

D’une part, comme Mme CUMYN le reconnait à deux reprises, les règles de

droit strict n’excluent pas toute considération d’équité. Elle précise que le droit strict n’est pas imperméable aux considérations d’équité447, et souligne qu’une « une mesure d’ordre public »

peut être « fondée sur des motivations à la fois de justice contractuelle » et d’utilité sociale. Si l’auteur préconise une solution dans chacune de ces hypothèses, elles ne convainquent pas. Ainsi, lorsque la règle de droit strict a acquis une coloration d’équité, elle invite à rechercher l’origine de la règle en examinant comment elle est appliquée. Ce conseil revêt un écueil : comment procéder lorsque la règle est appliquée pour la première fois ? Par ailleurs, cette méthode suppose de la constance dans la mise en œuvre de la règle. Lorsque la mesure d’ordre public est fondée sur des motifs à la fois de justice contractuelle et d’utilité

442Ibid., n°223. 443Ibid., n°120 et n°171. 444Ibid., n°23. 445Ibid., n°73. 446Ibid., n°367.

447 Mme CUMYN relève d’ailleurs que « certaines conditions du droit strict ont acquis avec le temps une coloration

équitable ». Elle reconnait alors que « la difficulté de la distinction entre la nullité absolue et la nullité relative survient en grande partie dans ces zones de convergences entre l’utilité sociale et l’équité, dans lesquelles les règles, d’abord assez différenciées, finissent par se rejoindre et se recouper, brouillant la démarcation entre leurs domaines respectifs » (ibid., n°263).

sociale, l’auteur recommande, de déterminer « la finalité dominante »448. N’est-ce pas alors

ouvrir la porte à l’arbitraire ?

Ensuite, MmeCUMYN souligne la difficulté de classer les dispositions relevant

de l’ordre public collectif au sein de la distinction de l’ordre public de protection et de direction. Elle énonce que ces règles « constituent généralement des exemples de mesure qui semblent fondées sur des motivations à la fois de justice contractuelle » et d’utilité sociale. Au lieu de mettre en œuvre ce qu’elle a conseillé précédemment, c’est-à-dire de rechercher la finalité dominante, Mme CUMYN soutient que l’ ''ordre public de protection collective'' doit

être inclus dans l’ordre public de direction. Elle affirme que « ces mesures arbitrent le plus souvent entre les intérêts de groupes opposés : professionnels et clients, salariés et employeurs, producteurs et consommateurs » et qu’elles « ne se préoccupent pas tant de la justice des rapports individuels entre contractants de chaque groupe, que de répartir de façon impérative entre eux certains coûts et bénéfices d’ordre économique et social »449. Elle

s’appuie, pour justifier sa position, sur la thèse de M. FARJAT qu’elle cite comme allant dans le

sens de ses développements450. Il reste que cette assise n’est pas probante puisque M. FARJAT

n’a jamais été aussi catégorique. S’il reconnaît « qu’il y a en tout cas souvent plus de raisons d’en faire des règles de direction que des règles de protection individuelle »451, et qu’il « est

difficilement concevable que toutes les règles de protection soient soumises au même régime », il affirme qu’ « indiscutablement certaines se situent bien dans le cadre individualiste de la ''lutte'' contractuelle », tandis que d’autres « ne sont pas des mesures de protection individuelle, mais appartiennent à une politique d’ensemble ». L’auteur regrette que « notre droit répugne […] à reconnaître l’existence d’un ordre public de catégorie », il souligne que notre droit « ne veut reconnaître que l’individu ou la société »452. M. FARJAT reconnaît donc

que les règles qui intègrent, ce qu’il dénomme ''ordre public économique de protection collective'', sont rattachées par la jurisprudence tantôt à l’ordre public de protection, tantôt à l’ordre public de direction. La position de Mme CUMYN apparaît donc trop absolue. Il n’est

pas possible d’exclure qu’une loi vise d’abord à combattre les atteintes à la justice contractuelle au seul motif qu’un individu, en raison de sa qualité, appartient à une catégorie. En effet, comme le relève M. FARJAT, si certaines dispositions peuvent assurément constituer des

mesures visant « à diriger l’évolution de la société », comme c’est le cas de la législation ayant

448Ibid., n°346.

449Ibid., n°344.

450 V. les notes de bas de page, p. 244 et s. 451 FARJAT (G.), op. cit., n°405.

pour objet de diminuer le temps de travail, d’autres tendent assurément à rééquilibrer le rapport contractuel comme la législation ayant trait aux rapports entre professionnel et consommateur. Au regard de certaines dispositions, il est possible de soutenir que l’origine de l’intervention du législateur réside dans le déséquilibre existant entre l’employeur et le salarié, ou encore entre le producteur et le consommateur, donc que la mesure aspirant à rééquilibrer les rapports possède un fondement d’équité.

109. Dénué de caractère opératoire, le critère de l’origine ne peut emporter