• Aucun résultat trouvé

L’existence injustifiée d’une opposition de régimes

Conclusion du chapitre

Section 1 L’existence injustifiée d’une opposition de régimes

115. Considérée comme une résultante acquise de la distinction des nullités relative

et absolue, l’existence d’une opposition de régimes ne se justifie pas, malgré sa permanence. Si on remonte dans le temps, la dualité de régime semble formalisée clairement pour la première

453 BERGEL (J.-L.), « Différence de nature (égale) différence de régime », RTD civ., 1984. 225, spéc. p. 272. Et v.

supra n°2.

fois au XVIe siècle sous la plume de D’ARGENTRÉ. Elle est ensuite demeurée incontestée

jusqu’au tournant du XXe siècle (§.1). Si JAPIOT a repoussé toute opposition de régimes en

refusant d’établir une distinction binaire, il a également permis la réintroduction tant de l’une que de l’autre (§.2). De sorte que, de nos jours, le régime de la nullité relative s’oppose encore à celui de la nullité absolue. Pourtant, le régime attaché à la nullité absolue ne se justifie pas au regard du critère de l’intérêt protégé (§.3).

§.1 - Une dualité incontestée en doctrine jusqu’au XXesiècle

116. L’établissement d’un lien entre la nature de la nullité et son régime juridique

peut déjà être identifié au XVIe siècle sous la plume de D’ARGENTRÉ, et, plusieurs années plus

tard, chez les auteurs qu’il a inspirés. De leur critère, ces derniers déduisent une distinction binaire des nullités à laquelle ils attachent une dualité de régimes (A). Ce lien, établi entre la nature de la nullité et son régime, ne sera pas consacré par les rédacteurs du Code civil. Malgré cette circonstance, malgré la substitution du critère de la gravité du vice à celui de l’intérêt455,

les auteurs du XIXe siècle maintiendront ce lien (B).

A - L’apparition en Ancien droit d’un lien entre la nature de la nullité et son régime 117. Dans son commentaire de la coutume de Bretagne, D’ARGENTRÉ différencie

les nullités dont la cause a trait à l’État456, de celles dont la cause relève de l’intérêt du simple

citoyen457. À chaque catégorie, il attache un régime propre. Les premières n’ont pas besoin

d’être prononcées, peuvent être continuellement invoquées458 et jamais confirmées459,

contrairement aux secondes qui doivent être prononcées dans un délai déterminé et peuvent être confirmées460.

D’ARGENTRÉ a donc établi un lien entre la nature relative ou absolue de la

nullité et son régime. Mais à l’image de ses développements ayant trait au critère de distinction461, il n’explique ni l’origine ni les raisons pour lesquelles il a posé ce lien.

D’ARGENTRÉ ne justifie aucunement les différences de régimes établies au regard du critère de

l’intérêt. Il affirme l’existence de ce lien, il ne le démontre pas.

455 V. supra n°54 et s.

456D’ARGENTRÉ(B.), Commentarii in consuetudines ducatus britanniae, alique tractatus actus varii, Nantes : P. Doriov

imprimeur du Roi, 3e éd., 1621, art. 266, col. 1008.

457Ibid., art. 266, col. 1008.

458Ibid., art. 283, col. 1368.

459Ibid., art. 481, col. 1848.

460Ibid., art. 283, col. 1368.

118. Les auteurs inspirés par D’ARGENTRÉ expliqueront progressivement et

partiellement le régime de chaque nullité en considération du critère de l’intérêt protégé462.

Progressivement, car DUNOD n’y fera référence que pour justifier le régime de la nullité

relative. Partiellement car ce dernier, comme DENISART et MERLIN après lui, ne se fondera pas

sur l’intérêt pour expliquer la dualité de délai de prescription.

À la suite de D’ARGENTRÉ, DUNOD instaure un lien entre la nature de la nullité

et son régime. Pour opérer sa distinction, il se fonde sur « la cause de la prohibition » : est- elle « fondée sur l’intérêt public, ou sur celui des particuliers » ? Lorsque la prohibition est justifiée par l’intérêt public, il affirme que la loi « réduit à un pur fait » l’acte nul de nullité absolue. DUNOD en déduit alors que l’acte ne peut être « ni confirmé, ni autorisé » et que la «

nullité peut être objectée, non seulement par la Partie publique, mais encore par toutes sortes de personnes, sans qu’on puisse leur opposer qu’elles se prévalent du droit d’un tiers ; & le juge peut y prendre égard d’office, quand personne ne la proposerait »463. Cette nullité s’avère

par ailleurs imprescriptible464. Le lien établi par DUNOD entre le caractère absolu de la nullité

et son régime résulte donc davantage de l’effet produit par la loi sur l’acte nul de nullité absolue que de l’intérêt en cause. En revanche, il se fonde sur le critère de l’intérêt pour expliquer le régime de la nullité absolue. Il retient que lorsque la nullité est fondée sur un intérêt particulier, elle est « respective » car « cette nullité n’est censée intéresser, que celui en faveur de qui elle est prononcée ; c’est pourquoi il peut seul s’en prévaloir & la proposer » dans un délai de trente ans465. L’emploi de la conjonction de subordination « c’est pourquoi »

révèle que l’intérêt fonde le régime de la nullité relative. Ce raisonnement tenu par DUNOD

pour la nullité relative sera généralisé par DENISART et MERLIN. Ces derniers le mettront en

œuvre tant pour la nullité relative, que pour la nullité absolue.

MERLIN et DENISART dégagent de leur critère de distinction - l’intérêt - deux

catégories de nullité, mais également une dualité de régime. Ils soutiennent que du caractère de la nullité déterminé par l’intérêt protégé découle le cercle des personnes pouvant s’en prévaloir. Ils déduisent ensuite de ce cercle la possibilité - ou non - de confirmer l’acte entaché

462 V. égal. les plaidoyers du Chancelier d’Aguesseau (Œuvres du Chancelier d’Aguesseau, T. III contenant les

plaidoyers prononcés au Parlement en qualité d’Avocat général dans les années 1694 et 1695, Paris, chez les libraires associés, 1762, p. 148 et p. 228-229 ; v. égal. T. IV contenant les plaidoyers prononcés au Parlement en qualité d’Avocat général depuis le mois d’avril 1696, et dans les années 1697, 1698 et 1699, Paris, chez les libraires associés, 1764, p. 99).

463 DUNOD (F.), Traité des prescriptions, de l’aliénation des biens d’Église, et des dixmes, A. De Fay, Dijon, 1730, p. 47.

464 Ibid., p. 44 et s. DUNOD évoque le débat entre FACHINÉ et d’autres auteurs concernant l’existence la

prescription centenaire. Si DUNOD énonce que si la position de FACHINÉ, qui réfute une telle prescription, constitue la plus courante, il estime qu’il faut « laisser la question à l’arbitrage du juge, pour la décider suivant les circonstances, la qualité & l’importance de la nullité ».

de nullité466. Ces auteurs soutiennent en effet que la confirmation est fonction du nombre des

titulaires de l’action467. Ainsi, la nullité absolue impliquant que tout intéressé peut l’opposer, la

confirmation s’avère impossible. En revanche, le cercle des titulaires de l’action en nullité relative étant plus restreint, la probabilité que chaque titulaire soit identifié et confirme l’acte se révèle plus importante, de sorte que la confirmation est possible. Enfin, concernant la prescription, DENISART et MERLIN soutiennent que l’acte nul de nullité absolue ne peut pas

être couvert par la prescription, tandis que la nullité relative doit être invoquée dans un délai de trente ans468. Ils ne justifient pas ce trait de régime au regard du critère de l’intérêt. Pour le

poser, ils se réfèrent à DUNOD, qui soulignait l’existence d’un conflit entre les auteurs469.

L’absence d’unanimité doctrinale sur la prescription de l’action en nullité absolue met en lumière que ce trait de régime ne découle pas logiquement du critère de l’intérêt.

119. Finalement, le lien établi par les auteurs de l’Ancien droit entre la nature de la

nullité et son régime semble uniquement résulter de la logique. Pour eux, de l’intérêt véhiculé par la loi édictant la nullité découle logiquement son régime. C’est pourquoi, aucune justification solide ne ressort de leur doctrine. Au début du XIXe siècle, les rédacteurs du Code

civil rejetteront toute distinction binaire dont résulte automatiquement l’entier régime d’une cause de nullité. Pourtant, les auteurs continueront à prôner l’existence d’une telle distinction.

B - Le maintien d’un lien au XIXe siècle malgré son absence du Code civil

120. Le lien affirmé en Ancien droit entre le caractère de la nullité et son régime est

maintenu au XIXe siècle tant par les auteurs retenant une unique distinction entre l’acte nul et

l’acte annulable fondée sur la gravité du vice, que par ceux opérant en sus une distinction au sein de la catégorie des actes annulables fondée sur l’intérêt470. Le maintien de ce lien peut

surprendre puisque les rédacteurs du Code civil, faisant le choix de la souplesse, ont refusé de consacrer un tel lien (1). Ce maintien peut également étonner puisque le critère fondant le lien entre le caractère de la nullité et son régime n’est plus l’intérêt mais la gravité du vice (2).

466 DENISART (J.-B.), Collection de décisions nouvelles et de notions relatives à la jurisprudence actuelle, T. III, 7e éd., Paris,

Desaint, 1771, p. 469-470 ; MERLIN (Ph.-A.), « Nullité », in Répertoire universel et raisonné de jurisprudence civile,

criminelle, canonique et bénéficiale, mis en ordre et publié par Guyot, T. XII, 1784, p. 247et s.

467 DENISART (J.-B.), op. cit., p. 469 ; MERLIN (Ph.-A.), op. cit. p. 251 et s. 468 MERLIN (Ph.-A.), op. cit. p. 266.

469 V. supra note 3, p. 97.

1 - Le choix des rédacteurs du Code civil : la souplesse par le rejet de tout lien 121. Les rédacteurs du Code civil n’ont pas établi de lien entre la nature de la nullité

et son régime. Ils ont refusé de consacrer une théorie rigide des nullités471.

On sait qu’à l’occasion de l’examen des dispositions relatives aux « demandes en nullité de Mariage » devant le Conseil d’Etat, les rédacteurs du Code civil ont envisagé de consacrer la distinction des nullités relatives et absolues472. Concernant le régime des causes de

nullités édictées, une alternative leur était offerte : ils pouvaient classer les dispositions soit en fonction de la distinction des nullités relative et absolu, soit en considération des personnes ayant le droit d’invoquer la nullité473. PORTALIS a exprimé sa préférence pour la première

option474. Il préconisait en effet de poser « que les nullités absolues peuvent être réclamées par

tous ceux qui ont intérêts de les faire valoir ; les nullités relatives, par ceux en faveur de qui elles sont établies », puis de qualifier ensuite chaque cause de nullité475.

Cette proposition fut rejetée pour deux raisons. Premièrement, il a été souligné que les termes de nullité relative et de nullité absolue « eussent exigé des définitions extrêmement difficiles, et que d’ailleurs le mot absolu est, dans le langage ordinaire, plus fort que dans le langage de la jurisprudence, où il n’exclut pas les exceptions »476. Secondement, les

rédacteurs du Code civil ont reconnu avoir rencontré des difficultés pour « suivre dans la pratique une distinction qu’il était si facile d’énoncer dans la théorie »477. PORTALIS a d’ailleurs

471 Sur l’absence de théorie des nullités au sein du Code civil, v. not. : AUBRY (C.) et RAU (C.), Cours de droit civil

français, T. I, Strasbourg : F. Lagier Libraire éditeur, 1839, n°37 et T. I, Paris : Marchal et Godde, 6e éd., par

Bartin, 1936, n°37 ; BEUDANT (C.), D. 1880, 1, 145, note sous Req., 5 mai 1879 ; BOUDOT (M.), « Nullité,

annulation et validation des actes dans la doctrine française des XIXe et XXe siècles », in La théorie des nullités –

Études réunies par M. Boudot et P. M. Vecchi, Université de Poitiers, Collection de la Faculté de droit et des sciences sociales, L.G.D.J, 2008, p. 80 ; COLIN (A.) et CAPITANT (H.), Cours élémentaire de droit civil français, T. I,

Dalloz, 1914, p. 75 ; DEMOLOMBE (C.), Cours de Code Napoléon T. III, Traité du mariage et de la séparation de corps, T. I,

4e éd., A. Durand Libraire, Paris, 1869, n°237 ; DROGOUL (F.), Essai d’une théorie générale des nullités, Th. Aix-en-

Provence, 1902, p. 69 ; GOUT (O.), Le juge et l’annulation du contrat, préf. P. Ancel, PUAM, 1999, n°11 ; JAPIOT (R.),

Des nullités en matière d’actes juridiques, Thèse Dijon, éd. Arthur Rousseau, 1909, p. 113-114 ; LÉVY (J.-Ph.) et

CASTALDO (A.), Histoire du droit civil, Dalloz, 2002, p. 843. Et plus spécialement sur la distinction des nullités

relative et absolue : VALDELIÈVRE (F.), La confirmation des actes nuls, th. dact., Paris, 1964, p. 15 : « Les mots mêmes

de nullité relative et absolue sont absents du Code et il faut attendre l’art. 2262 pour entrevoir la possibilité d’une différenciation des régimes ». Contra : DEMOLOMBE (C.), Cours de Code Napoléon T. III, op. cit., n°240. Il estime que

les rédacteurs du Code civil l’ont consacrée en matière de mariage : « et qu’enfin cette distinction ferait double emploi avec celle que le Code Napoléon a seulement consacré entre les nullités relatives et les nullités absolues ? ».

472 V. supra n°29 et s.

473 LOCRÉ (J.-G.), La législation civile, commerciale et criminelle de la France, ou commentaire et complément des Codes français,

T. IV, Paris, 1827, p. 371.

474Ibid., p. 374.

475Ibid., p. 372.

476Ibid., p. 406.

convenu que « de nouveaux doutes provoquaient chaque instant de nouvelles décisions ; les difficultés étaient interminables »478.

Ce sont plutôt les propositions du consul CAMBACÉRÈS qui ont guidé les

rédacteurs du Code civil. Ce dernier préconisait, soit de rejeter la distinction des nullités relative et absolue au motif qu’il serait plus « avantageux de ne pas déterminer, d’une manière absolue, par qui et dans quels délais l’action peut être exercée, et de laisser tous ces points à l’arbitrage du juge », soit de la conserver mais de « trouver dans la loi un moyen de faire prévaloir l’équité sur la sévérité des principes »479.

Les rédacteurs du Code civil ont refusé tout système rigide, incapable d’être modulé en fonction des spécificités de chaque situation. À propos des règles relatives aux demandes en nullité du mariage, ils ont expressément reconnu que chaque cause de nullité possède son propre régime juridique480. Les rédacteurs du Code civil ont, par la suite,

continuer de suivre cette ligne directrice puisque le Code civil ne contient que des dispositions particulières et éparses481. Si l’on excepte les articles 1304 et 1338, les dispositions relatives aux

nullités se révèlent d’ailleurs assez décevantes482. Les rédacteurs ont davantage envisagé les

causes de nullité que leur régime483.

122. Le choix des rédacteurs du Code civil montre que, pour déterminer le régime

d’une cause de nullité, deux voies sont envisageables : la souplesse d’une part, la rigidité d’autre

478Ibid.

479 LOCRÉ (J.-G.), T. IV, op.cit., p. 370 et p. 375.

480 FENET (P.-A.), T. IX, op. cit., p. 166 (discours de Portalis) et p. 205 (discours de Boutteville). Remarque

d’ailleurs reprise par A. BÉNABENT (Droit de la famille, L.G.D.J, coll. Domat droit privé, 3e éd., 2014, n°234). 481 V. par ex. sur les donations : les art. 896 al. 2, art. 911 al. 1er, art. 931, art. 943 notamment ; sur le

consentement : les art. 1110, art. 1111, art. 1113 ; sur la dissolution de la communauté : les art. 1443 al.2, art. 1444, art. 1451 al.4 ; Sans oublier les nombreuses dispositions où les termes « nullité » ou « nul » ne sont pas employés évoquant quand même des causes de nullité, v. par ex. les art. 1128 ou encore art. 1131.

482 Trois intitulés de son plan évoquent pourtant la nullité. Il s’agit tout d’abord de l’intitulé du titre du chapitre

IV du titre V du livre Ier : « des demandes en nullité de mariage », ensuite de celui de la section VII du chapitre V du Titre III du Livre II : « de l’action en nullité ou en rescision des conventions » et enfin du titre du chapitre VI du titre VI du Livre II : « de la nullité et de la résolution de la vente ». Seul le deuxième est formulé avec un haut degré de généralité. Sa dénomination peut donc laisser à penser que cette section contient des règles générales. Il n’en est rien (v. sur ce point les remarques de HOUIN (R.), Travaux de la Commission de réforme du Code civil – année

1946-1947, Librairie du recueil sirey, 1948, p. 48). Les rédacteurs du Code civil n’y traitent pas plus des titulaires

de l’action en nullité, que de la confirmation – à l’exception de l’hypothèse particulière de l’engagement souscrit par un mineur ratifié à sa majorité. Seul le délai de prescription est envisagé à l’article 1304. Il faut en effet remarquer que l’article 1338 évoquant la confirmation des actes nuls se situent assez étonnement au sein du §.6 « des actes recognitifs et confirmatifs », de la section 1 « de la preuve littérale » du chapitre VI du titre III du Livre III du Code civil. Comme l’a remarqué le Professeur NIBOYET lors des travaux de la Commission de réforme du Code civil instituée en 1945 : « Le Code a réglé les actes nuls à propos des preuves ; ce n’est pas leur place ».

(Travaux de la commission de réforme du Code civil - année 1945-1946, Librairie du recueil Sirey, 1947, p. 104).

Cependant, non seulement l’article 1304 du Code civil évoque expressément l’existence de tempéraments, donc de dispositions encore plus spécifiques – l’article précisant « n’est pas limitée à un moindre temps » –, mais la doctrine en a considérablement réduit la portée, considérant que ce délai s’applique uniquement aux actions en nullité relative (v. par ex. HOUIN (R.), « Avant-projet de textes sur les nullités des actes juridiques », in Travaux de

la commission de réforme du Code civil – année 1946-1947, Libraire du recueil sirey, 1948).

part. Si les pères du Code civil ont opté pour la première, en refusant d’établir un lien entre la nature de la nullité et son régime, les auteurs du XIXe siècle n’ont pas marché sur leurs pas : ils

ont choisi la seconde voie.

2 - Le choix des auteurs du XIXe siècle : la rigidité par le maintien d’un lien 123. Les auteurs du XIXe siècle attachent tous à la distinction de l’acte nul et de

l’acte annulable une opposition de régimes484. Ainsi, par exemple, COLMET DE SANTERRE, qui

continue l’œuvre de DEMANTE, énonce que « les conséquences pratiques de cette distinction

[celle de l’inexistence et de l’annulabilité fondée sur la gravité du vice485 ] sont très

importantes. L’acte inexistant, radicalement nul, est non avenu erga omnes : tout intéressé peut

se prévaloir de sa nullité ; il peut être attaqué en tout temps ; il ne peut être l’objet d’une confirmation ; tandis que les actes annulables ne peuvent être attaqués que par certaines personnes, celles dans l’intérêt de qui est introduite la nullité, qu’ils ne peuvent être attaqués que dans un certain délai et qu’ils ne peuvent être confirmés »486. DURANTON retient une

position identique, de même que DEMOLOMBE ou encore AUBRY et RAU487. Pour ces auteurs,

le régime de la nullité découle de sa nature. Le régime est une conséquence de la nature de la nullité488.

124. Il reste que ce lien ne peut convaincre parce que les auteurs du XIXe siècle se

fondent sur loi pour l’affirmer, alors que les rédacteurs du Code civil l’ont rejeté, et qu’ils font découler du critère de la gravité du vice des régimes strictement identiques à ceux résultant du critère de l’intérêt.

484 Peu importe à cet égard qu’ils retiennent uniquement la distinction de l’acte nul et de l’acte annulable fondée

sur la gravité du vice ou qu’ils établissent en sus une distinction au sein de la catégorie des actes annulables fondée sur l’intérêt.

485 V. supra n°19 pour les différences terminologiques.

486 DEMANTE (A.-M.), Cours analytique de Code civil, continué depuis l’article 980 par E. Colmet de Santerre, T.V, art. 1101-

1386, Paris : Henri Plon, imprimeur-éditeur, 1865, n°262 bis, II.

487 DURANTON (A.), Cours de droit français suivant le Code civil, T. XII, Paris : Alex-Gobelet, Librairie, 1831, n°523 et

T. XIII, Paris : Alex-Gobelet, Librairie, 1831, n°271 ; DEMOLOMBE (C.), Cours de Code Napoléon T. XXIX, Traité

des contrats ou des obligations conventionnelles en général, T. VI, Paris : Imprimerie générale, 4e éd., 1876, n°22-24 v. égal.

MORTET (C.), Étude sur la nullité des contrats dans le droit romain, l’ancien droit français et le Code civil, thèse Paris,

Typographie de Lahure, 1878, p. 159 ; PIZE (J.), Essai d’une théorie générale sur la distinction de l’inexistence et de

l’annulabilité des contrats, thèse Lyon : Librairie nouvelle de droit et de jurisprudence, Arthur Rousseau, 1897, p. 3 et

p. 218.

AUBRY et RAU retiennent cependant une position un peu plus nuancée en raison de la sous distinction qu’ils opèrent au sein de la catégorie des nullités. Ainsi, ils énoncent que l’acte inexistant est inefficace indépendamment de toute déclaration judiciaire et ne peut se couvrir ni par la confirmation, ni par la prescription, tandis que toute nullité doit être prononcée par jugement, et sauf exception, est susceptible de se couvrir par la confirmation et la prescription (AUBRY (C.) et RAU (C.), T. I, op. cit., n°37 ; v. égal. 4e éd., Paris : Imprimerie et librairie générale de

jurisprudence,, 1869, n°37).

488 La locution adverbiale « dès lors », employée tant par DEMANTE que par DEMOLOMBE, révèle que pour ces