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Les missions interministérielles d’aménagement touristiques, révélatrices de l’inconditionnel soutien de l’État

L’explosion des activités de la plaisance en France s’inscrit dans un contexte socio-politico-économique particulier : celle d’un interventionnisme sans précédent de l’Etat en faveur de l’aménagement du territoire. Cette question de l’aménagement du territoire en France est apparue comme une évidence suite au pamphlet de Jean-François Gravier : Paris et le désert français.171 Les actions concerneront d’abord la localisation des activités du secteur secondaire (déconcentration industrielle), l’aménagement rural (lutte contre l’exode rural), la densification des équipements de transports (voies ferrées, autoroutes…) ou le développement des grandes villes de province (métropoles d’équilibre). D’abord cantonné au sein des ministères de la reconstruction puis de la construction, l’aménagement du territoire s’individualise ensuite avec la création du CIAT172 en 1960 puis de celle de la DATAR173 en 1963. C’est à cet époque, au début des années soixante, que l’État étend sa politique d’aménagement du territoire au secteur tertiaire en général et notamment touristique. Dés lors, l’aménagement

touristique était défini au niveau central à partir des spécificités des trois ensembles géographiques composant le territoire : le littoral, la montagne et l'espace rural.174 Ce dernier sera toutefois moins concerné que les deux autres par l’activité touristique. Les grands équipements touristiques, qu’il s’agisse de ceux relatifs aux sports d’hiver (Alpes françaises du nord) ou bien de ceux concernant les activités balnéaires et nautiques (littoraux languedociens et aquitains), se généraliseront donc dans les décennies soixante et soixante-dix, grande période de la planification. Comme l’a rappelé Hervé Gumuchian, c’est aussi l’époque d’une expansion industrielle accélérée

de l’économie française (production en série de matériel de glisse pour les sports

d’hiver, succès sans précédent de la construction nautique) ; période de technicité

triomphante assez rarement contestée (remontées mécaniques dans les domaines

skiables, infrastructures portuaires sur les littoraux), période de l’effort individuel

magnifié (Jean-Claude Killy et les sœurs Goitschel pour le ski, Éric Tabarly pour la

voile), période valorisant la pratique d’activité sportive « virilisantes » : curieuses

coïncidence que de constater que ces deux décennies furent les deux décennies du ski

171 GRAVIER Jean-François, Paris et le désert français, 1947.

172 CIAT : Comité Interministériel pour l’Aménagement du Territoire.

173 DATAR : Délégation à l’Aménagement du Territoire et à l’Action Régionale.

alpin triomphant et d’un équipement de la haute montagne en conséquence !175 On voit que ce diagnostic effectué pour le ski alpin en haute montagne sied tout aussi bien à la plaisance sur les littoraux.

Si les Alpes françaises du nord furent la cible atteinte des ambitieuses opérations d’aménagement touristique pour le développement des sports d’hiver, les littoraux languedociens et, dans une moindre mesure aquitains, furent celles des équipements balnéaires et nautiques.

C.2.1. La MIALR (Mission Interministérielle d’Aménagement du Languedoc-Roussillon)

Bien plus ambitieux que le programme d’aménagement touristique du littoral morbihannais, la Mission Racine a transfiguré plusieurs secteurs autrefois vierges de construction du littoral languedocien. Seules quelques petites stations désuètes

existaient ça et là.176 Directement financée par l’État, cet ambitieux programme appliqué entre 1963 et 1982 et contractualisé avec des SEM177 locales, ne concernait pas moins de quatre départements (Gard, Hérault, Aude, Pyrénées orientales) et soixante-six communes à rivage marin ou lagunaire, soit près de 200 kilomètres de littoral. Cette politique d’équipement atypique par son ampleur et par son jeu d’acteurs (impulsion et soutien inconditionnel d’un État), constitue une étude de cas incontournable pour les auteurs traitant de l’aménagement du territoire ou de la géographie du tourisme. Nombreux sont les universitaires l’ayant relaté ou analysé. Aussi ce point ne relatera t-il l’opération que dans les grandes lignes.

L’objectif de la mission interministérielle était de créer une zone d’accueil pour les vacanciers afin de ranimer une économie régionale trop orientée vers la viticulture. Il s’agissait aussi de rééquilibrer la fréquentation touristique méditerranéenne française, jusqu’alors essentiellement concentrée sur la Côte d’Azur, et de détourner une partie des flux touristiques se destinant vers l’Espagne. Une demi douzaine d’unités touristiques de grande ampleur vont ainsi être développées, parfois autour de plusieurs stations, elles-mêmes organisées autour d’un équipement structurant qui se trouve être très souvent un port de plaisance. On peut citer entre autres le Cap d’Agde, Gruissan, ou encore Leucate-Barcarès. Mais si une opération devait représenter la MIALR, on opterait davantage pour La Grande-Motte, dont l’architecture de type pyramidal des

175 GUMUCHIAN Hervé, La neige dans les Alpes du Nord françaises, 1983.

176 CAZES Georges, LANQUAR Robert, L’aménagement touristique et le développement durable, 2000.

bâtiments du front de port a durablement marqué l’imaginaire collectif. Cette dernière, notamment étudiée par J. Rieucau178, et le Cap d’Agde, qui totalisent respectivement 110.000 et 160.000 places, sont les deux premières stations touristiques françaises en terme de capacité d’accueil. Dans le cadre de la MIALR, 500.000 lits ont été construits

entre 1970 et 1997 et un total de un million est aujourd’hui disponible sur ce rivage.179

En vue de l’aménagement des stations languedociennes, la procédure adoptée fut sensiblement la même qu’au Crouesty : organisation préalable de la maîtrise foncière (par achats de terrains à l’amiable, par usage du droit de préemption ou par expropriation), prise en charge sur fonds publics180 des travaux de viabilisation des terrains (assainissement, démoustication, mise en place d’équipements collectifs et des divers réseaux d’adduction : eau, électricité, télécommunication…), commercialisation et revente des lots, etc.

Depuis Saint-Cyprien dans le Roussillon jusqu’au Grau du Roi dans le département du Gard, la mission Racine a permis à la région Languedoc-Roussillon de disposer d’un maillage particulièrement équilibré de son linéaire côtier en terme d’infrastructures portuaires de plaisance. Les équipements se démarquent par leur démesure en comparaison des autres secteurs littoraux français. On relève ainsi entre 800 et 1000 postes à flot dans les ports d’Argelès-sur-Mer, de Gruissan, ou du Canet en Roussillon et environ 1380 anneaux à La Grande-Motte. La forêt de mats est encore plus impressionnante au Cap d’Agde (2250 places), tandis que celle de Port-Camargue est sans équivalent en France, voire en Europe : 4800 postes à flot !

Les aménagements touristiques réalisés dans le cadre de la MIALR ont largement contribué à la mutation économique de la région et le tourisme pèse aujourd’hui 12 % du PIB régional, 35.000 emplois permanents et 25.000 emplois saisonniers. La Région

accueille actuellement près de 15 millions de séjours touristiques, dont 4,5 millions de provenance étrangère, pour une dépense touristique totale évaluée à 15-16 milliards de francs sur le littoral (où se concentrent 60 % des lits touristiques et même 78 % avec la zone rétro-littorale).181

Ces aménagements restent cependant souvent critiqués (synonyme de pollution visuelle pour certains). Néanmoins, les zones d’aménagement ayant été précisément localisées

178 RIEUCAU Jean, La Grande-Motte, ville permanente, ville saisonnière, 2000.

179 CAZES Georges, LANQUAR Robert, L’aménagement touristique et le développement durable, 2000.

180 Fonds publics d’un montant total supérieur à un milliard de francs (plus de 152 millions d’euros) pour le Languedoc-Roussillon.

dans l’espace, cela a permis d’éviter le mitage parfois catastrophique que connaissent aujourd’hui certaines autres régions littorales (Bretagne) et des secteurs fragiles ont aussi été préservés. Reste que par endroits, l’urbanisation a tendance à sortir du cadre originel et les campings prolifèrent. Beaucoup s’inquiètent des tentations de fuite en avant immobilière qui ont tendance à densifier l’espace urbanisé ou à favoriser l’accroissement désordonné de l’urbanisation. Sans parler de la spéculation foncière qui, comme aux environs du Crouesty, ne permet pas à tous d’accéder de manière égale à la propriété.

C.2.2. La MIACA

Lancée en 1967, la Mission Interministérielle d’Aménagement de la Côte Aquitaine est en plusieurs points comparable à la Mission Racine (rôle prépondérant de l’État, aménagement touristique du littoral, lancement touristique de certaines stations : Lacanau, Port d’Albret…), mais l’ampleur des réalisations fut moindre. Afin de préserver au maximum le cordon dunaire littoral, la MIACA a volontairement favorisé une urbanisation en retrait du trait de côte, synonyme d’équipements ponctuels sur le front de mer reliés aux stations de l’intérieur. Par ailleurs, une des idées est de refuser le

développement touristique ex nihilo comme cela avait été le cas sur la côte du Languedoc-Roussillon, et de favoriser l'aménagement des installations touristiques à partir des stations existantes182 De plus, les équipements de plaisance, déjà moins importants, moins prétentieux et moins nombreux que ceux de la côte languedocienne, concerneront surtout des plan d’eau intérieurs (lac d’Hourtin, étang de Lacanau…). La notion de « port de complaisance » est en fait assez peu représentative du littoral aquitain.