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DU YACHTING A LA PLAISANCE OU L’HISTOIRE DE LA NAVIGATION DE LOISIR

A.2. Des premières régates à l’avènement des yacht-clubs

Pour sa part, la première mention « officielle » d’une course concerne la venue à Paris

en 1613 de marins de l’estuaire de la Seine81. Toujours au XVIIe siècle, en 1661, a lieu la première régate anglaise entre le bateau du duc de York et celui du roi d’Angleterre, en l’occurrence Charles II. Ce dernier se mesure peu de temps après à un « jacht » hollandais. A cette occasion, on assiste vraisemblablement à la première régate internationale. C’est d’ailleurs lors d’un exil en Hollande que le monarque britannique avait pris goût à la navigation. De retour en Angleterre, il en fit une activité royale qui ne tarda pas à gagner les autres cours européennes : Hollandaise bien sûr, mais aussi, Scandinaves (Suède, Danemark notamment). En France, Louis XIV fit fabriquer des mini-navires afin d’organiser des régates sur le plan d’eau de Versailles. Parmi les rarissimes régatiers de l’époque, outre des membres de la haute aristocratie, évoquons aussi le savant britannique Sir William Petty, premier européen à utiliser un catamaran à bord duquel il s’est mesuré à un équipage plus conventionnel en 1662, au large de Dublin. Précisons que si des européens découvraient alors le multicoque, les maoris

80 Ibidem.

l’utilisaient déjà depuis de très nombreux siècles dans le pacifique sud. En cette fin de XVIIe siècle, on peut également évoquer ces régates dans le Solent entre pêcheurs ou

entre marins de la Royal Navy82.

Même si beaucoup des propriétaires de navires ne se souciaient que d’apparat, utilisant la voile comme un signe ostensible (voire ostentatoire) de richesse, les premières formes de navigation de loisir sont bel et bien parfois davantage assimilées à des duels et des défis lancés entre équipages qu’à de simples sorties en mer pour le plaisir. Aussi n’est-ce pas un hasard si n’est-ces compétitions, officielles ou non, ont rapidement pris le nom de « régates », terme issu du vénitien « regata » qui signifie « défi ». Le verbe « regatar » signifiant, pour sa part, « rivaliser ».

L’apparat ou la compétition ? Difficile de savoir lequel de ces deux modes de navigation pour le loisir était plus pratiqué que l’autre en ce XVIIe siècle. En fait, il faut peut-être aborder cette question en terme de catégorie sociale plutôt que du point de vue de la primauté, du moins avant la révolution industrielle. Les notions de vitesse et de défi étaient volontairement ignorées des classes bourgeoises. Au XVe siècle, le mot anglais « sport » signifiait d’ailleurs « passe-temps plaisant, délassement » puis à partir du XVIIIe « démonstration de jeux athlétiques »83. Il n’était alors pas question de course ou de performances. Les compétitions, essentiellement officieuses, existaient pourtant, mais pratiquée par des catégories sociales plus modestes (marins, pêcheurs, contrebandiers…). Pour la plupart des membres des classes supérieures, il était donc exclu de « s’abaisser » à de tels usages.

Mais l’idée de compétition va faire son chemin au sein de la haute bourgeoisie et surtout de l’aristocratie. Bien que plusieurs duels aient été organisés ou plutôt improvisés au XVIIe siècle, ce n’est qu’au milieu du XVIIIe qu’aura lieu une régate de plus grande ampleur et, cette fois ci, organisée : douze voiliers s’affrontent le 11 août 1749 sur la Tamise. La famille royale n’étant jamais loin lors de telles manifestations, c’est le futur roi Georges III qui remettra le trophée au vainqueur. Avec le soutien de son frère, le duc de Cumberland, cet événement conduira à la création en 1775 de la Cumberland sailing society qui rassemble régulièrement une vingtaine de voiliers sur la Tamise. Assiste t-on alors à la création de la première association de yachting ? Certains l’affirment84 mais

82 RETIÈRE Dorothée, Les bassins de plaisance : dynamiques et structuration d’un territoire. Etude

comparative Mor Bras (France) – Solent (Grande-Bretagne), 2003.

83 CHARLES Daniel, Histoire du yachting, 1997.

d’autres sources85 évoquent le Water Club de Cork peut-être créé en 1720 (voire 170486, mais on ignore la date exacte) par la haute bourgeoisie de Cork et qui deviendra après plusieurs appellations le Royal Cork Yacht-Club en 1831. A ses débuts, le Water Club était en fait l’organisateur de parades ou de défilés nautiques ignorant les confrontations. Les navires étaient même tenus de s’aligner sur l’allure du plus lent d’entre-eux par souci d’esthétisme. Si le changement d’appellation du Water Club en Yacht-Club est relatif à l’avènement de la compétition à Cork, il est sans doute juste de considérer la Cumberland sailing society comme la première association de yachting. En dehors de la Tamise, les premiers yachts régatent assidûment dans le sud de l’Angleterre et notamment au large du Solent dans le Hampshire dès les années 1770. La protection naturelle de l’île de Wight, des conditions climatiques favorables à l’échelle des îles britanniques, la relative proximité de Londres, plus grande ville au monde de l’époque et lieu de résidence de la famille royale ainsi que de bon nombre de yachtmen, ne sont pas étrangères à l’essor du yachting dans ce secteur. Par ailleurs, le Solent est depuis le Moyen Âge un centre important de construction navale. A partir du milieu du XVIIe siècle, East Cowes sur l’Île de Wight était réputée pour ses chantiers

navals et son activité intense de construction. Dès l’apparition des régates, les entrepreneurs ont diversifié leur production et lancé des petits bateaux de course87. Cette tendance a rapidement gagné d’autres ports du Hampshire.

Quoique le yacht désigne aujourd’hui un bateau de plaisance à voile ou à moteur88, il n’en a pas été toujours ainsi, au contraire. Loin de cette fonction ludique ou sportive qu’on leur attribue depuis plus de deux siècles, les premiers d’entre eux étaient au XVIe siècle des navires de guerre hollandais, les jaghts (appellation émanant du vocable

germain « jacht » ou « jachschiff »89). Leur fonction était de prendre en chasse les navires ennemis. Ce terme néerlandais découle d’ailleurs de celui de « jaghen » que l’on peut traduire par « pourchasser » ou « poursuivre ». Reste que la frontière entre les combats navals et la navigation sportive pour le plaisir est parfois étroite : pour les contrebandiers fuyant les garde-côtes, le jeu et le défi prenaient très souvent le pas sur les risques qu’ils encouraient et ils improvisaient en régates ces courses poursuites.

85 QUID 2003, ou http://www.yachtingworld.co.uk/yw/cork/aboutcork.html

86 CHARLES Daniel, Histoire du yachting, 1997.

87 RETIÈRE Dorothée, Pratiques plaisancières : évolution et spatialisation dans le Solent

(Grande-Bretagne) et la baie de Quiberon (France), 2002.

88 Le petit Robert, 1986.

En marge des régates aristocratiques de mieux en mieux structurées, existait donc aussi celles improvisées par les gens de la mer de conditions immensément plus modestes : des contrebandiers donc, mais aussi des commandants de clippers bataillant pour la

gloire ou la fortune90 ainsi que de nombreux équipages de pêcheurs cherchant à parcourir le plus rapidement possible la distance séparant les zones de pêche des lieux de débarquement. Certes, l’objectif initial était d’assurer l’écoulement de la cargaison en arrivant à terre le premier, mais le goût du défi et de la compétition effaçait très souvent cette finalité le temps d’une régate. En fonction des us et coutumes locales, des régatiers parfois improbables ne manquaient pas de se faire remarquer. Outre Atlantique, avant même les premières régates à voile entre travailleurs de la mer, les formes récréatives de navigation les plus anciennes, concernaient les défis que se lançaient des trappeurs et les équipages de canots d’écorce à l’époque de la traite des

fourrures : les voyageurs y trouvaient l’occasion de faire valoir leur habileté et en particulier d’exhiber leur adresse devant des employeurs potentiels.91