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MARITIMITÉ : LE PORT DE PLAISANCE

B) DU BASSIN AUX YACHTS AU PORT DE PLAISANCE

Bien que la présence d’un yacht-club entraîne généralement la création d’un port aux yachts par la suite, les origines du port de plaisance sont probablement hollandaises avant d’être britanniques. La raison de cette origine est somme toute logique : avec une flotte de 3500 navires de commerce totalisant environ 600.000 tonneaux en 1670 (soit deux fois plus que les flottes anglaises et françaises réunies), la Hollande ne pouvait faire fi, dès ce XVIIe siècle, au regard de sa modeste superficie, d’une organisation rationnelle de son espace. Aussi le stationnement des quelques dizaines de jachts d’apparat était déjà un sujet de préoccupation dans ce pays. En 1622 puis 1625, deux bassins furent expressément mis en service à Amsterdam. Chacun accueillait approximativement une quarantaine de jachts. Un troisième port de ce type, permettant le stationnement d’un soixantaine de navires, fut construit vers 1657.

Ailleurs, les premières concentrations significatives de navires destinés à la navigation de loisir, d’apparat ou sportive n’ont posé le problème de leur stationnement que bien plus tard. Même si les situations des pays voisins de la Hollande étaient moins extrêmes, c’est aussi la concentration de yachts au mouillage en certains lieux qui a incité à la réalisation de ports ou bassins leur étant réservés. Il a néanmoins fallu attendre encore deux siècles pour voir apparaître en dehors de Hollande, des structures comparables avec l’ouverture d’East Cowes Marina sur l’Île de Wight en 1856. Cependant, que se soit en Angleterre ou en France, les infrastructures portuaires spécialement destinées à l’accueil des navires de loisir resteront rares et seules quelques stations prestigieuses bénéficieront d’un tel équipement.

Ce sont donc principalement les yacht-clubs, de plus en plus nombreux, qui ont joué un rôle polarisant. C’est à proximité immédiate de ces structures que, dès le XVIIIe , mais surtout au XIXe siècle, se sont naturellement développées les premières zones de mouillage, créant ainsi les véritables premiers lieux d’attache de navire de plaisance.144

144 RETIÈRE Dorothée, Pratiques plaisancières : évolution et spatialisation dans le Solent (Grande-Bretagne) et la baie de Quiberon (France), 2002.

Ces zones de mouillage rassemblant parfois de nombreux yachts, ont généralement entraîné ensuite l’aménagement de structures d’accueil plus fonctionnelles.

Par la suite, au fur et à mesure de pérégrinations maritimes des yachtmen vers d’autres côtes que celles de la Manche ou de la Mer du Nord, certaines stations touristiques vont

réaliser très tôt l’intérêt de s’équiper d’un véritable port de plaisance ou plus exactement d’un « bassin des yachts », pour recevoir les navires luxueux de la clientèle fortunée qui les fréquente145. Les responsables de ces stations avaient sans doute plus l’oreille attentive qu’un véritable esprit visionnaire. En effet, de 1901 à 1912, la riche

clientèle de la principauté de Monaco obtint pour ses yachts, du Prince Albert, la construction d’un abri plus sûr que la rade foraine146. De telles structures voient donc le jour dès le début du XXe siècle dans plusieurs stations en vogue (Cannes, Deauville, Monaco…). En Bretagne, c’est d’abord la côte nord qui sera concernée grâce à la fréquentation des équipages britanniques en provenance d’outre-Manche. Un port aux yachts ouvre ainsi à Saint-Malo en 1936 sous l’impulsion de la Société nautique de la baie de Saint-Malo. Il connut immédiatement un franc succès au regard de sa fréquentation (graphique 5).

Graphique 5

Fréquentation du bassin aux yachts de Saint-Malo de 1937 à 1963 0 200 400 600 800 1000 1200 19 37 19 38 19 39 19 40 19 45 19 50 19 54 19 55 19 56 19 57 19 58 19 59 19 60 19 61 19 62 19 63 Années N om br e d' en tr ée s

Source : R. PÉTILLON, 1965 Réalisation : E. SONNIC, 2003

145 BERNARD Nicolas, Les ports de plaisance – Equipements structurants de l’espace littoral, 2000.

146 WACKERMAN Gabriel, Décollage des ports de plaisance dans les Alpes-Maritimes, in Géographie

humaine des littoraux maritimes, 1998.

Sous l’impulsion de la Société Nautique de la Baie de Saint-Malo, le bassin aux yachts de la cité cor-saire est créé dès 1936. Il connaît im-médiatement un réel succès. Mais sa des-truction par les bom-bardements au début de la seconde guerre mondiale réduira à néant son activité jusqu’à sa recons-truction dans la pre-mière moitié des années 1950. L’aug-mentation du trafic sera alors soutenue. Ce succès doit en grande partie à la fréquentation par des équipages étrangers, surtout britanniques, qui totalisent la moi-tié des 1026 entrées de l’année 1963.

Quant au port de plaisance contemporain, prévu pour l’accueil en nombre de navires de tailles plus modestes, il n’a pas encore fait son apparition. Les premiers d’entre-eux ne verront véritablement le jour qu’au milieu des années cinquante au sud de l’Angleterre puis à l’aube des années 1960 en France.

Les premiers ports modernes furent finalement étasuniens. Il est vrai qu’à l’issue de la deuxième guerre mondiale, l’Amérique du Nord n’était pas exsangue au contraire des pays européens qui ont connu des années de pénuries avant de bénéficier des vingt dernières années des « trente glorieuses ».

Après la seconde guerre mondiale, les mouillages individuels installés par les premiers plaisanciers et les infrastructures portuaires traditionnelles (pêche, commerce) suffisaient donc amplement à l’accueil des premiers navires de plaisance de gabarit moindre (photographie 2). Cependant, l’essor du parc de bateaux fut ensuite si important et si soudain qu’il a bien fallu l’accompagner. Notamment soutenu par les collectivités territoriales, le dernier né des ports fait alors son apparition : le port de plaisance. Le succès mondial de la Marina Del Rey à Los Angeles a stimulé les

initiatives147.

Photographie 2

Le port de Pornic quelques années après la seconde guerre mondiale

Photographie particulière. Anonyme

C’est donc une évolution progressive qui a conduit à l’apparition de ports de plaisance à l’instar de celui de Concarneau (photographie 3). Ce sont bien les bateaux qui ont d’abord appelé les pontons et non l’inverse. Généralement, quelques voiliers élisaient domicile dans certains secteurs abrités (anses, abers, criques, …) parfois parmi les bateaux de travail dans des ports de pêche ou de commerce. Puis, ils sont rejoints par de nouvelles embarcations de loisir au fil des saisons. Lorsque leur nombre devient significatif ou gênant pour les activités traditionnelles, on organise plus rationnellement

147 WACKERMAN Gabriel, Décollage des ports de plaisance dans les Alpes-Maritimes, in Géographie

humaine des littoraux maritimes, 1998.

Le port de Pornic entre 1945 et le début des années 1950 : quelques uns des premiers bateaux de plaisance, au centre de la prise de vue, apparaissent dans le bassin du port jusqu’alors uniquement réservé aux activités de pêche et de commerce.

le domaine public maritime (DPM) en affectant à chaque secteur une activité déterminée. Des secteurs exclusivement réservés à la plaisance accueillent alors leurs premiers pontons.

Photographie 3

Concarneau au début des années 1960

En France, le littoral Méditerranéen fait partie de ceux qui ouvrent le bal. Certaines photographies font preuve de l’existence de tels équipements dès le début des années 1960. La plupart du temps, on habilite à la plaisance des espaces portuaires déjà existants : on les organise plus rationnellement, notamment par la mise en place d’appontements. L’exemple français, voire européen, le plus spectaculaire de l’époque du fait de la grande dimension du bassin originel étant très certainement celui de la cité phocéenne (photographie 4). Parmi les premiers équipements bretons de ce type, on peut évoquer Concarneau en 1965, Douarnenez-Tréboul et Binic en 1967, Port-Vauban (aux portes de la ville close à Saint-Malo) ou encore Perros-Guirec en 1969.

Mais les aménagements les plus spectaculaires concerneront des extensions de ports existants ou des créations ex-nihilo, dans des sites vierges d’installation portuaire. Les premiers se réapproprient la petite infrastructure portuaire d’une activité vivotante ou révolue, le plus souvent de pêche ou de commerce, la Trinité-sur-Mer (1964), Port-Haliguen II (1966) qui totalisent respectivement 1280 et 1068 places à flot en 2004. Le site originel devient alors rapidement méconnaissable au contact immédiat, voire noyé au milieu d’une forêt de mâts. Les ports ex-nihilo, sont parfois encore plus impressionnants : jusqu’à 3300 anneaux au port des Minimes de La Rochelle. En Au début des années 1960, les premiers

ba-teaux de plaisance (au centre de la photo) ont pris place dans l’avant port de Concarneau correspondant à l’emplacement de l’ancien port de pêche. Les navires de pêche ont dès lors émigré dans l’arrière port au delà de la ville close qui occupe l’île fortifiée.

Lorsque cette photographie est prise (vrai-semblablement avant 1962 si l’on se fie à la date d’édition de l’ouvrage dont elle est ex-traite), il semble qu’une vingtaine de ba-teaux de plaisance mouillent déjà dans l’a-vant port. Sont-ils tous présents ? probable-ment pas. Certaines sources (R. Pétillon, 1965) font état pour l’avant port de 50 mouil-lages en 1962 et de 60 en 1963. En 1965, les premiers pontons y seront installés.

Photo IGN, in Cours de géographie 1ère, P. GOUROU et L. PAPY, éd. Hachette, 1962

Bretagne ceux du Crouesty à Arzon (1432 places) et, dans une moindre mesure, des Bas-Sablons à Saint-Malo (1216), de Pornichet (1150) ou de Port-la-Forêt sur la commune de La Forêt-Fouesnant (1016 postes) font également partie des plus grosses structures depuis leur ouverture.

Photographie 4

Le vieux port de Marseille au début des années 1960

Photo Spirale in Cours de géographie 1ère, P. GOUROU et L. PAPY, éd. Hachette, 1962.

Plus que les autres, ces ports sont réalisés selon un modèle standard : le port « lourd » à

flot comportant un bassin protégé par des ouvrages maritimes et un terre-plein, souvent gagné sur la mer, accueillant services et équipements.148 Quoique n’étant pas les plus nombreux, ils sont le symbole de l’infrastructure portuaire de plaisance depuis le milieu des années soixante jusqu’au début des années 1980. Bien que construits au compte goutte depuis, ils correspondent encore à l’archétype du port de plaisance pour une part importante de l’opinion publique. Le graphique suivant (graphique 6), concernant les plus grandes infrastructures portuaires de plaisance, illustre cette évolution.

Graphique 6

Les créations des principaux ports de plaisance en France de 1960 à 2000 0 20 40 60 1960-1970 1970-1980 1980-1990 1990-2000 N om br e de c at io ns

Source : ACT-OUEST, 2000 Réalisation: E. SONNIC, 2004

148 MICHEL Patrick, L’étude d’impact des ports de plaisance, 1988.

Les premières apparitions de grands ports de plaisance datent du milieu des années 1960, mais c’est dans la décennie suivante qu’elles seront à leur paroxysme. Plusieurs facteurs expliquent la diminution progressive des créations nouvelles à partir du milieu des années quatre-vingt. Par-mi les principaux on peut citer le vote de la loi Littoral en janvier 1986, la mise en œuvre difficile de procédures de planification de type SMVM (Schéma de Mise en Valeur de la Mer), la forte baisse des marchés im-mobiliers et commerciaux à partir de 1990, et des montages financiers qui deviennent plus difficiles.

Marseille, au début des années 1960. Tandis que les activités portuaires traditionnelles sont déplacées et étendues vers le nord de la ville, on équipe le vieux port pour l’accueil des navires de plaisance comme l’indique la prise de vue ci contre. On remarque aux premier et second plan, de part et d’autre du bassin, des rangées de bateaux disposées le long des pontons.

Ces grands ports sont principalement aménagés de deux façons : soit en avant du trait de côte (photographie 5) grâce à d’imposantes digues de protection généralement constituées d’enrochements et pénétrant la mer sur plusieurs centaines de mètres parfois (La Noëveillard à Pornic, Saint-Quay-Port d’Armor à Saint-Quay-Portrieux, Le Moulin-Blanc à Brest ou encore Port-Haliguen II à Quiberon), soit en retrait du trait de côte sur d’anciens marais littoraux naturellement mieux protégés (photographies 6 et 7). Ces derniers, souvent accompagnés de complexes immobiliers, sont couramment désignés sous le terme de marina. En France, c’est sur les côtes méditerranéennes qu’elles sont les plus nombreuses (Camargue, La Grande-Motte, Marina-Baie des Anges, Port-Grimaud, etc.). Le port du Crouesty, qui accueille ses premiers bateaux en 1973, constitue par définition la seule véritable marina bretonne.

Photographie 5

Le port de plaisance de Port-Haliguen II

Entre les reconversions de friches portuaires, les extensions de plus ou moins grande importance et les créations portuaires nouvelles, près de 200 ports de plaisance vont voir le jour sur l’ensemble du littoral français depuis les années soixante. Ils sont surtout apparus au cours de cette période de construction intense, s’achevant au début des années quatre-vingt, et qui accompagne l’augmentation du parc de bateau. Ce chiffre ne tient pas compte des équipements de plaisance intégrés au sein des ports de pêche ou de commerce d’intérêt départemental, national ou des ports autonomes qui porteraient à environ 470 le nombre d’équipements ou installations de plaisance sur le littoral français (essentiellement métropolitain). Au total, les équipements et installations de plaisance de France métropolitaine accueillent environ 170.000 navires de plaisance sur ponton ou sur bouées. Comme le confirme la carte en page suivante (carte 7), certains Port-Haliguen II (Quiberon) est l’archétype du port de plaisance réalisé en avant du trait de côte. D’imposantes digues assurent la protection de vastes bassins situés de part et d’autres du port originel (Port-Haliguen I), un ancien port de pêche créé en 1850, accueillant lui aussi des bateaux de plaisance et que l’on peut distinguer en arrière du bassin de gauche.

secteurs littoraux (Méditerranée, Bretagne sud, côte charentaise…) présentent des concentrations portuaires de plaisance particulièrement importantes.

Photographies 6 et 6 bis

De l’anse du Croisty au port du Crouesty

Crédit photographique : J. LE DOARÉ (extrait de GEO n°161)

Crédit photographique : SAGEMOR, Y. BOËLLE