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LA PARTIE IMMERGÉE DE L’ICEBERG « PLAISANCE » : LA FILIÈRE NAUTIQUE

A.4. La filière nautique en Bretagne

A.4.1. Les structures d’apprentissage et de pratique de la voile

Bien qu’elles dégagent un chiffre d’affaires bien inférieur à celui des entreprises de l’industrie nautique, les passer sous silence reviendrait à ignorer un facteur explicatif majeur du succès de la plaisance régionale. Dans le monde du nautisme, tout est en effet lié : les gens découvrent la navigation et s’initient dans les structures d’apprentissage (centres nautiques, écoles de voile…). Beaucoup deviennent ensuite des pratiquants réguliers, investissant dans l’industrie nautique en achetant des bateaux, en assurant leur entretien et en louant des places dans les ports de plaisance. En Bretagne, on dénombre près de 170 structures, essentiellement associatives, assurant l’apprentissage et la pratique de la voile pour tous niveaux, et localisées sur le littoral maritime pour une immense majorité. Il s’agit de centres nautiques et d’écoles de voile pour la plupart. Ils

248 Carte mer : titre permettant au personnes âgées de 16 ans ou plus de piloter un navire à moteur d’une puissance comprise entre 6 et 50 chevaux vapeur. La carte mer ne permet, ni de naviguer au delà de 5 miles nautiques, ni la navigation de nuit.

249 Permis mer côtier : titre autorisant le pilotage, de jour comme de nuit, de navires motorisés de toutes puissances à moins de 5 miles nautiques d’un abri.

Permis mer hauturier : il offre les mêmes caractéristiques que le permis côtier, mais sans limitations de distance.

proposent des activités de voiles légères (optimists, petits catamarans, dériveurs légers…) ou de voile habitable (parfois les deux).

Parallèlement, un peu plus d’une cinquantaine d’organismes permettent de pratiquer la navigation pour les non débutants, notamment en voile habitable. Il s’agit surtout des clubs nautiques, des yacht-clubs et des sociétés de régates qui organisent des compétitions nautiques et proposent à leurs adhérents des séances d’entraînements en mer en vue des régates.

Enfin, une trentaine de structures, pour la plupart associatives, organisent des sorties en mer sur de vieux gréements qui seront représentatifs du patrimoine maritime local (Bisquines sur la Côte d’Émeraude, Sinagots dans le golfe du Morbihan…). Ces embarcations sont, soit retapées, soit fabriquées de toutes pièces conformément au mode de construction des navires traditionnels (respect des techniques et des matériaux de construction).

L’étude réalisée en 2003 dans le Département des côtes d’Armor250 (données de 2002) a permis d’évaluer le poids probable de la filière nautique hors entreprises dans ce département : 57 structures (associations Loi 1901, clubs, organismes communaux ou intercommunaux…), 244 emplois ETP et un chiffre d’affaires de 10,5 millions d’euros. Cela correspondait à 27,5 % des établissements, 32 % des salariés et 9 % du chiffre d’affaires de l’ensemble de la filière nautique départementale.

A.4.2. Une industrie nautique bretonne entre artisanat et secteurs de pointe

La situation de l’industrie nautique bretonne est paradoxale. En effet, bien qu’elle totalise un peu plus de 1000 entreprises soit un gros tiers des établissements français du secteur pour près de 39 % du chiffre d’affaires national (584 millions d’euros), elle ne représente que 14 % des salariés de la filière (5600 emplois ETP). Autre paradoxe de la filière nautique bretonne : des industries de pointe parmi les plus performantes au monde qui cohabitent avec des entreprises artisanales parfois extrêmement polyvalentes.

a) Une myriade de très petites entreprises

A l’inverse de ses voisins vendéens et charentais, qui ont vu naître et fusionner les plus grands groupes français voire mondiaux de l’industrie nautique (Bénéteau, Jeanneau, Dufour…), la Bretagne, est caractérisée par une majorité de très petites entreprises,

250 Côtes d’Armor Développement, Conseil général des Côtes d’Armor, SONNIC Ewan, La plaisance en

notamment dans les Côtes d’Armor comme le confirme les résultats d’une étude réalisée en 2003251 dans l’optique de ce travail de recherche. Dans ce département, près de 96 % des entreprises employaient alors moins de 10 actifs ETP et 48 % d’entre elles ne faisaient vivre qu’une à deux personnes. Le plus gros employeur costarmoricain de ce secteur n’employait que 16 salariés en équivalent temps plein. En Bretagne sud, les entreprises nautiques seront moins modestes. Néanmoins, sauf rares exceptions (Plastimo avec plus de 200 salariés), les plus importantes n’emploient que quelques dizaines de personnes. Bien souvent, ces entreprises artisanales (généralement des chantiers navals) misent sur une spécialité : … la polyvalence. L’entretien et la réparation d’un seul et même bateau implique effectivement un savoir faire dans des domaines très divers (ferronnerie et chaudronnerie, plasturgie, menuiserie, mécanique, électricité…) et les plaisanciers apprécient de pouvoir trouver toutes ces compétences en un seul et même lieu.

b) Des niches de production

Région pilote dans la construction de plaisance en contreplaqué dans les années soixante, la Bretagne a ensuite raté le virage du polyester252. Pour combler ce retard et se positionner avantageusement au sein du secteur nautique, de nombreuses petites entreprises ont misé sur des savoirs faire originaux, occupant ainsi des créneaux laissés libres par les grands constructeurs français ou internationaux. Elles se sont spécialisés dans des secteurs allant de la construction de navires traditionnels à celle des voiliers de compétition. Plusieurs sont aujourd’hui parmi les premières entreprises françaises, européennes ou mondiales dans leur domaine respectif parmi lesquels on peut citer : la voile légère, la construction d’annexes et de barque de pêche ou encore l’accastillage. Il s’agit là de créneaux directement liés à la plaisance, au contraire de quelques autres où les entreprises bretonnes sont tout aussi performantes253 (planche à voile, kayak de mer, char à voile…), mais sur lesquels nous ne nous attarderons pas davantage au risque de dévier de notre sujet.

Des chantiers navals sont spécialisés dans la construction de navires traditionnels (navires de travail, yachts de belle plaisance). Ils réalisent ou retapent sur commande des vieux gréements. Le défi « un bateau pour chaque port », lancé en 1989 dans le

251 Ibidem.

252 BACHY Laure, BRETAGNE ÉCONOMIQUE, Niches et sports modernes pour la Bretagne, 2002.

253 Le numéro 1 mondial de la planche à voile est breton, le leader mondial de la fabrication du char à voile également, tout comme le numéro 1 européen de la fabrication de yoles et skiffs de mer, ou encore le premier constructeur français de kayak de mer.

cadre du concours « Bateaux des côtes de France » et incitant la construction ou la remise en état de navires traditionnels, ainsi que les fêtes maritimes de plus en plus nombreuses, sont synonymes de commandes nombreuses pour des chantiers navals tels que celui du Guip. Né à l’Île aux Moines en 1976, puis doublé d’un second site à Brest, ce chantier a construit ou restauré de nombreux bateaux traditionnels dont certains sont classés « Monuments historiques » (Notre-Dame de Rumengol, Fleur de Lampaul,

Corbeau des mers, Les trois frères). De ses ateliers, est également sorti l’un des vieux

gréements les plus emblématiques des côtes Française : La Recouvrance.

Parmi les fleurons de l’industrie nautique bretonne, quelques entreprises assurent la conception et la réalisation de matériels de compétition (monocoques, multicoques, mâts, voiles…). Elles se caractérisent par la combinaison architecte(s) naval(s) / chantier. Marc Van Peteghem et Vincent Lauriot-Prévost sont indissociables du chantier CDK Technologies à La Forêt-Fouesnant qui a réalisé entièrement ou en partie plusieurs multicoques parmi les plus médiatisés (Brocéliande, Banque Populaire II et

III, Sergio Tacchini, Groupama, Fujicolor…), Gilles Ollier, aidé de quelques autres

architectes navals, dirige le chantier Multiplast à Vannes, l’un des seuls chantiers internationaux associant chantier naval et bureau d’études en un même lieu. Il affiche l’un des palmarès les plus impressionnants au monde : nombreuses victoires en transat, plusieurs fois détenteur du Trophée Jules Verne (dont le dernier en date -lorsque sont rédigées ces lignes-, réalisé par Bruno Peyron sur Orange 2 en mars 2005), conception et réalisation de quatre des six catamarans géants de The Race en 2001 dont les trois premiers du classement (Club Med, Innovation explorer et Team Adventure), conception et réalisation de plusieurs défis français pour la coupe de l’America dont les derniers en date (Ville de Paris, 6e sens et Areva), multiples records de vitesse ou de

traversée, etc. Les premiers faits d’armes de ce chantier remontent aux années quatre-vingt (construction de la série des Jet Services I, II, IV et V). D’autres navires sont ensuite sortis de ses ateliers : Elf Aquitaine II et III, Commodore Explorer, Région

Haute-Normandie, La Trinitaine II. En Loire Atlantique, on peut évoquer Lagoon, le

chantier nantais du vendéen Bénéteau qui a réalisé lui aussi quelques multicoques notoires : Pierre Ier de Florence Arthaud ou Fleury Michon de Philippe Poupon.

Depuis Tabarly, les industriels ont pris conscience du formidable impact médiatique des courses à la voile et des grandes compétions nautiques. Les sponsors cités précédemment le soulignent. Certes, on est loin de la plaisance de masse, caractérisée

par le seul loisir et non par la compétition de haut niveau. Mais cette dernière est également jugée porteuse par bien des collectivités. Sans philanthropie particulière, elles soutiennent la plaisance et le nautisme comme le démontre la suite de ce chapitre.