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DU YACHTING A LA PLAISANCE OU L’HISTOIRE DE LA NAVIGATION DE LOISIR

A.3. L’apparition et la diffusion des yacht-clubs dans le monde

Nés au XVIIIe siècles, le Water Club de Cork et la Cumberland sailing society font figure de sociétés pionnières au sein des associations de yachting. L’apparition de telles structures se généralisera progressivement au XIXe accompagnant le premier véritable essor de la navigation de loisir lorsque les riches familles royales et princières sont rejointes par de nouvelles classes sociales enrichies par la révolution industrielle (négociants, armateurs, riches industriels) ainsi que par des officiers de marine attirés par cette forme récréative de navigation. On assiste alors à la première phase de diffusion du yachting qui reste toutefois le symbole évident d’une grande richesse. Cela s’est traduit par une croissance sans précédent du parc de navires : d’une cinquantaine de yachts britanniques répertoriés en 1800 on passera à plus de deux mille en 1881.92 Ces embarcations étant de grands voiliers souvent long de plus de 20 mètres, ils sont

parfois menés par des équipages professionnels de grande compétence93 qui se mesurent entre eux au cours de régates de plus en plus nombreuses et au niveau de plus en plus relevé. Certains propriétaires de yachts n’hésitent pas à côtoyer ponctuellement des gens de catégories sociales bien plus modestes que les leurs en faisant appel à des

90 LE CARRER Olivier, Un siècle de voile, 2003.

91 SAVARD Martin, Guide écologique du nautisme sur le Saint-Laurent, 2000.

92 AUGUSTINJean-Pierre,SocoaetleYacht-ClubBasque:berceaudesécolesdevoile(1935-1965), 1995.

professionnels de la mer (marins, charpentiers de marines, …) dans le but de s’assurer le navire et l’équipage les plus performants possibles. Il est vrai que, pour beaucoup, la pratique du yachting était plus une obligation mondaine qu’une passion. Certains avait d’ailleurs une très piètre connaissance des choses de la navigation. Le yacht était pour eux un objet qu’il fallait avoir au même titre que des toiles de maîtres ou du mobilier de prestige. Reste que d’autres étaient bel et bien passionnés et désireux d’être toujours plus performants d’entraînements en régates. Aussi les compétitions dopent-elles continuellement les innovations techniques réalisées dans les chantiers navals améliorant ainsi la maniabilité, les gréements ou bien encore les carènes des navires. La

multiplication des régates va rapidement créer le besoin de structures organisatrices et fédératrices94 pour les possesseurs de navires.

Les yacht-clubs vont donc se multiplier dans de nombreuses villes portuaires ou fluviale à travers le monde. La proximité des capitales nationales (Londres, Paris, Amsterdam…), régionales (Bordeaux, Cork…) et autres grands centres urbains jouera également un rôle prépondérant puisque c’est en ces lieux que l’on trouve les premiers adeptes de l’hédonisme nautique. Le 1er juin 1815, une quarantaine d’amateurs de voile, lassée par les traditionnels clubs londoniens se réunit et décide de créer une association correspondant aux aspirations de ses fondateurs. Le nom de cette nouvelle société s’imposera naturellement : « Le Yacht-Club ». On voit ici toute l’importance du déterminant « Le » : il ne s’agit donc pas d’un yacht-club quelconque. Selon certains auteurs, c’est la première fois que les deux mots sont associés.95 Mais là aussi les sources sont parfois divergentes puisque le Water club de Cork serait devenu le Cork

Yacht-Club96 dès 1800. Quoiqu’il en soit, le yacht-club anglais est assurément le plus actif en ce début de XIXe siècle et il reste le premier club organisateur officiel de

régates97 au monde. Bien que créé à Londres, il siègera rapidement à Cowes sur l’île de Wight et prendra le nom de Royal Yacht-Club de Cowes à partir de 1820 après l’adhésion de trois membres de la famille royale dont le roi lui même, puis celui définitif de Royal Yacht Squadron de Cowes un peu plus tard. Un autre yacht-club apparaîtra également en 1815 : celui de Chester (le Royal Dee Yacht-Club). Il n’aura cependant pas autant d’influence que celui de Cowes. Par la suite, de très nombreux

94 RETIÈRE Dorothée, Pratiques plaisancières : évolution et spatialisation dans le Solent

(Grande-Bretagne) et la baie de Quiberon (France), 2002.

95 LE CARRER Olivier, Un siècle de voile, 2003.

96ANONYMES, http://eurekaweb.free.fr/th3-voile.htm et http://www.ycaol.com/internat.htm

yacht-clubs se verront eux aussi attribuer le qualificatif de « Royal » après leurs premières années d’existence. Dans le sillage de ce premier très haut lieu de la voile sportive qui jouera un rôle majeur en faveur de compétitions internationales, les régates sont désormais de mieux en mieux organisées et encadrées. Citons par exemple la Cowes week, créée en 1826 et qui totalisera 80 bateaux inscrits en 1847. Entre autres clubs nautiques outre Manche, on peut aussi évoquer le Royal Western Yacht-Club de Plymouth créé en 1827, le Royal Irish Yacht-Club à Dublin en 1831, le Royal Southern Yacht-Club de Southampton (1837) ou encore le Royal Harwich Yacht-Club (1843). Les ports européens relativement proches des îles britanniques seront logiquement concernés par un développement précoce des yacht-clubs (carte 1) : Stockholm en 1830, Rotterdam en 1846, Amsterdam et Ostende en 1847, etc. Ces « cercles » nautiques plutôt que clubs, étant donné que la plupart des catégories sociales en sont exclues, apparaîtront en France à partir de 1838 par l’intermédiaire de la Société des régates du Havre (SRH). Notons au passage que les locaux de ces clubs étaient avant tout des lieux

voués aux mondanités.98 D’ailleurs, rien n’est laissé au hasard quand il s’agit d’accueillir de nouveaux membres, puisque les admissions se font à bulletin secret.99 Un an après la création de la SRH, les premières régates sont organisées. Il ne s’agit encore que de compétitions d’aviron et ce n’est que l’année suivante en 1840 que des voiliers concourrons. Même si la Société des Régates parisiennes voit le jour en 1858, la SRH n’est autre que le premier Yacht-club de la capitale, une ligne de chemin de fer

ayant relié assez tôt Paris à la baie de Seine. Elle organise au XIXe siècle de nombreuses régates, très suivies et particulièrement bien dotées en prix. Elle se verra confier l’organisation des épreuves nautiques des Jeux Olympiques de Paris en 1924100. D’une manière générale, là où il y a des anglo-saxons, les Yacht-Clubs bourgeonnent. Hors des îles britanniques, le premier sera celui de Singapour en 1826. La Méditerranée, en tant qu’aire de jeu à la fois relativement proche de la Grande Bretagne et climatiquement favorable, connaîtra également des yacht-clubs précoces : Gibraltar en 1829 puis Malte (1835). En Amérique du nord (carte 2), c’est Halifax qui ouvre le bal en 1837 avant la création du premier yacht-club étasunien à Détroit sur les rives du lac

98 LE CARRER Olivier, Un siècle de voile, 2003.

99 AUGUSTIN Jean-Pierre, Socoa et le Yacht-Club Basque : berceau des écoles de voile (1935-1965), 1995. D’après J. Thibault, Sociétés et clubs sportifs dans la société française avant 1901, in Sport et

société, Actes du colloque, 1981.

Erié en 1839. Quelques années plus tard, en 1844, naît celui de New York ainsi que celui de Hamilton aux Bermudes, une possession britannique.

Carte 1

Les principaux yacht-clubs européens au XIXe siècle

Océan Atlantique

Yacht-Club (année de création)

1 – Cork (1720) 17 – Poole (1865) 33 – Copenhague (1860) 48 – Nantes (1858)

2 – Dublin (1831) 18 – Cowes (1815) 34 – Kiel (1887) 49 – Bordeaux (1860)

3 – Belfast (1824) 19 – Ryde (1845) 35 – Hambourg (1855) 50 – Arcachon (1862) 4 – Anglesey (1885) 20 – Southampton (1837) 36 – Amsterdam (1847) 51 – San-Sebastian 5 – Douglas (1860) 21 – Porsmouth (1898) 37 – Dordrecht (1851) (18??) 6 – Oban (1861) 22 – Londres (1775) 38 – Rotterdam (1846) 52 – Bilbao (1855)

7 – Glasgow (1827) 23 – Douvres (18??) 39 – Anvers (1860) 53 – Lisbonne (1856)

8 – Dundee (1885) 24 – Harwich (1843) 40 – Gand (1867) 54 – Gibraltar (1829)

9 – Edimbourg (1835) 25 – Norwich (1859) 41 – Ostende (1860) 55 – Malaga (1878)

10 – Chester (1815) 26 – Oslo (1860) 42 – Paris (1858) 56 – Alicante (1889)

11 – Liverpool (1844) 27 – Goteborg (1860) 43 – Le Havre (1838) 57 – Barcelone (1881) 12 – Bridlington (1847) 28 – Stockholm (1830) 44 – Deauville (1878) 58 – Cannes (1860) 13 – Cornouailles (1871) 29 – Kokkola (1872) 45 – Îles Anglo-Normandes 59 – Genève (1872)

14 – Plymouth (1827) 30 – Pori (1856) (1862) 60 – Gênes (1879)

15 – Burnham (1895) 31 – Turku (1865) 46 – Saint-Malo (1880) 61 – Naples (1883) 16 – Bournemouth (1875) 32 – Helsinki (1861) 47 – Brest (1847) 62 – Malte (1835)

Au XIXe siècle, le déve-loppement du yachting peut être illustré par la prolifération des yacht-clubs. Après les îles britanniques (plus de 40 % des principaux yacht-clubs européens en 1899), ces derniers sont d’abord apparus dans les autres pays bordés par la Manche et la Mer du Nord (de la France à la Scandinavie), entre les années 1840 et 1860 pour la plupart. En Méditerranée, excepté dans les possessions britanniques (Gibraltar et Malte), l’essor des yacht-clubs fut plus tardif et la majorité d’entre-eux datent du

dernier quart du XIXe

siècle.

Sources diverses Conception, réalisation : Ewan Sonnic, 2004

Comme en Europe, l’industrialisation précoce ainsi que les régions aux plus fortes populations favorisent le développement des yacht-clubs : sur la côte atlantique, les villes portuaires du Canada, de la Manufacturing belt, ainsi que celles de la région des Grands lacs accueillent les premiers, essentiellement entre la fin des années 1830 et les années 1870. Plus au sud, les yacht-clubs notoires seront plus rares. Outre le Yacht-club de Kingston en 1884, on peut citer ceux de Tigré et de Buenos Aires (1876 et 1883). Il faudra, attendre le siècle suivant avant la création de quelques autres importantes structures, notamment dans les îles de l’arc antillais. Les côtes pacifiques d’Amérique du nord connaîtrons elles aussi un essor assez tardif. Les premiers yacht-clubs apparaîtront plutôt pendant la décennie 1890 avant de rattraper partiellement leur

retard au cours de la première moitié du XXe siècle.

Carte 2 et 3

Les principaux yacht-clubs américains au XIXe siècle

Outre pacifique et dans l’océan indien, l’essor des yacht-clubs sera plus évident (carte 4). En Asie, après Singapour, c’est à Canton (1837) puis à Bombay et Hong Kong, respectivement en 1846 et 1847, qu’ils apparaîtront à l’initiative de colons britanniques. En Océanie, c’est Hobart sur l’île de Tasmanie (1838), Auckland (1840) puis Perth (1841) qui accueilleront les premiers. Sur les côtes pacifiques nord américaines, exception faite du Victoria Yacht-Club sur l’Île de Vancouver au Canada, le développement sera plus tardif : Santa Barbara en 1872, Seattle en 1892. Il faudra même attendre le XXe siècle pour la plupart d’entre eux : Los Angeles en 1901, Vancouver en 1905, San Diego et Oakland en 1913 et seulement 1927 pour San Francisco.

300 km

300 km

Sources diverses

Carte 4

Les principaux yacht-clubs d’Asie, d’Océanie et d’Afrique au XIXe siècle

Sources diverses

Conception, réalisation : E. Sonnic, 2004

En Afrique, la mise en place de yacht-clubs sera plus timide, excepté dans les secteurs où la présence européenne est importante et permanente comme en Afrique du sud (carte 4). Le Royal Yacht-Club du Natal verra ainsi le jour en 1856. Mais il faudra attendre le XXe siècle pour qu’un second yacht club d’envergure comparable voit le jour au Cap en 1905.

Un peu plus tard, avec l’organisation de nouvelles grandes courses et la confirmation d’épreuves telle que La coupe de l’América, de hauts lieux de la régate vont progressivement s’affirmer sous l’impulsion de certains yacht-clubs. Qu’ils soient apparus au XIXe siècle (Auckland, Québec, Plymouth, Le Havre…) ou un peu plus tard au début du XXe (San Diego), beaucoup sont encore aujourd’hui incontournables.

Sans surprise, les yacht-clubs de l’océan Indien et du Pacifique sud sont globalement un peu plus précoces dans les possessions britanniques d’Asie du Sud-Est que dans les Etats

nouvellement indépendant de l’hémisphère sud. En effet, ils datent du second quart du XIXe

siècle en Asie, alors que la plupart des premiers yacht-clubs océaniens ou sud-africain sont postérieurs à 1850. Mais ces derniers seront rapidement majoritaires dans cette partie du monde et l’Australie totalisera même la moitié des principaux yacht-clubs de cette région.