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DU YACHTING A LA PLAISANCE OU L’HISTOIRE DE LA NAVIGATION DE LOISIR

B.1. Les acteurs de la formation à la navigation,…

B.1.3. L’Union Nautique Française (UNF)

L’UNF, qui récupèrera les bateaux de l’un des quatre centres d’apprentissage de la voile établis sous l’occupation, en l’occurrence celui d’Annecy, participera également à la démocratisation de la navigation de loisir. Elle favorisera notamment la construction de nombreuses embarcations nouvelles imaginées par une nouvelle génération d’architectes navals. Elle fusionnera en 1965 avec une autre structure chargée de développer les pratiques sportives après la Libération : l’Union Nationale des centres de Montagne (UNCM), formant ainsi l’UCPA (Union nationale des Centres de Plein Air), une association à but non lucratif cogérée par le ministère de la jeunesse et des sports qui existe toujours aujourd’hui.

B.2. … des architectes navals…

La crainte légitime du commandant Rocq qui évoquait, dans le contexte d’une démocratisation future de la voile, la possibilité d’une croissance insuffisante du nombre de bateaux réservés à l’apprentissage, était t-elle partagée ? Il semblerait que oui au regard de la multiplication soudaine des dériveurs légers. A l’origine de cette augmentation du nombre d’embarcations : une nouvelle génération d’architectes navals qui ont eux aussi joué un rôle essentiel pour que la navigation de loisir puisse enfin se démocratiser. Ils disposaient désormais de matériaux plus économiques (panneaux de bois collé, contreplaqué, polyester…). Ces matériaux permettant la construction de coques bien plus légères qu’avant guerre, les voiles sont alors réduites sans pour autant rendre les bateaux moins performants, bien au contraire. Là encore, des économies sont réalisées. Jean-Jacques Herbulot, un des membres fondateurs du centre des Glénans lancera plusieurs prototypes célèbres : le Vaurien créé en 1951 et présenté au salon nautique de Paris en 1952, la Caravelle l’année suivante, le Corsaire en 1954… L’un des objectifs essentiels de J-J.Herbulot ainsi que d’Hélène et Philippe Viannay, était de permettre au plus grand nombre d’acquérir une embarcation et de naviguer. C’est pourquoi la réalisation d’un Vaurien, une appellation de circonstance, ne devait-elle pas excéder le coût de fabrication de deux vélos. Aussi sa longueur de coque ne devait-elle rien au hasard (4,08 m) puisque par souci d’économie, elle devait correspondre à la taille maximale des feuilles disponibles de contreplaqué (4,10 m). Pari gagné puisque son prix de vente était de 55.000 francs de l’époque soit, rapporté au pouvoir d’achat actuel, environ 915 euros. Cela correspondait, comme convenu au prix de deux vélos et au quart de celui du dériveur alors le moins cher : le Sharpie, un solitaire de 9 mètres.

Au début des années 1950, une telle embarcation était pourtant encore loin d’être accessible à toutes les bourses et la référence au coût d’une bicyclette est à resituer dans son contexte : si le prix d’un vélo est alors deux fois inférieur à celui d’un vaurien, il sera trente fois moindre quarante ans plus tard. La petite reine qui coûtait la moitié d’un vaurien constituait à ce titre un objet onéreux ou tout du moins peu accessible à une époque (en 1950) où se nourrir absorbait encore 40 % du budget des ménages131 ! Autre architecte majeur de l’époque, Eugène Cornu qui, bien qu’ayant plutôt imaginé des navires habitables pour la croisière et la course, dessina un dériveur de premier plan : le 470. Quant à Christian Maury, il fut à l’origine du non moins célèbre 420, premier dériveur léger de série en polyester (1960). Dès lors, utiliser un yacht n’est plus une obligation si l’on veut pratiquer la voile. Ces petites embarcations sont alors de plus en plus nombreuses dans les ports bretons auprès des bateaux de pêche et de commerce. Le succès du Vaurien est révélateur : 200 bateaux construits l’année de sa création en 1952. Fin 1958, la série compte déjà 3500 unités, chiffre jamais atteint, et de loin, par

aucune autre série 132 à cette date. Herbulot était alors convaincu que la réduction du

coût de construction passait par la production en série. Cela semblait être une idée farfelue à l’époque. D’ailleurs, la fabrication de 200 unités dès la première année constituait un chiffre hors norme au début des années 1950 à une époque où les bateaux étaient très souvent construits à l’unité. Un peu plus tard, la diffusion du 420 fut elle aussi remarquable : 35.000 unités en 1977. Vaurien et 420 furent longtemps les dériveurs les plus utilisés dans les centres nautiques français.

B.3. … et des navigateurs de renom

En 1960, les constructions nautiques françaises et italiennes étaient sensiblement sur le même plan ; huit ans plus tard, alors que les Italiens construisaient 3778 bateaux, les Français en produisaient 28.363. Les médias français étaient passé par là, la France s’était découverte ce que l’Italie n’eut jamais : un héros qui passionnait les foules, Eric Tabarly.133 Quoiqu’il en dît (cf. Introduction générale, page 4), ce dernier a bel et bien joué un rôle fondamental en faveur de la navigation de plaisance. Ceci sera mis en évidence jusque dans la bande dessinée (illustration 4). Lorsqu’il remporte la seconde transat en solitaire et sans escale en accostant à Newport le 22 juin 1964, la France le découvre : il est alors à la Une des quotidiens français tandis que plusieurs magazines

131 CHARLES Daniel, Histoire du yachting, 1997.

132 Ibidem.

lui consacrent de grands reportages et qu’il reçoit la légion d’honneur. Très vite, le musée Grévin l’ajoutera à sa collection. Le grand public est d’autant plus surpris qu’une victoire face aux Anglo-Saxons était jusqu’alors inimaginable dans un sport ou leur domination était sans partage dans le monde. Son port d’attache de la Trinité-sur-Mer s’affirme naturellement comme La Mecque de la plaisance de la côte atlantique en France. La désormais célèbre station balnéaire devient soudain incontournable au point d’être mise à l’honneur philatéliquement parlant quelques années plus tard (illustration 5). La légende des Penduick est née et la Transat devient la leur. Outre sa première victoire à bord de Penduick II, Tabarly remportera sa seconde transat sur Penduick VI en 1976, victoire à la suite de laquelle il descendit triomphalement les Champs-Élysées. Entre temps, Penduick IV (qui passera ensuite à la postérité après avoir été rebaptisé

Manureva), racheté et skippé par Alain Colas, franchira le premier la ligne d’arrivée

lors de la quatrième édition en 1972.

L’industrie nautique ne s’y est pas trompée en récupérant l’événement de cette première grande victoire comme le soulignent certaines publicités de l’époque (illustration 6). La construction nautique, dans le contexte favorable des 30 glorieuses, peut désormais être qualifiée d’industrielle.

Illustration 4

Eric Tabarly et Penduick II en bande dessinée

In Histoire de la Bretagne, tome 8, planche 11, case 5, R. SÉCHER, R. LE HONZEC, 1998.

Illustration 5

Reconnaissance philatélique de La Trinité-sur-Mer

Imprimerie des postes de Périgueux, n° 1585 (numérotation Yvert et Tellier), 1969

Format réel : 40 x 29,6 mm.

Cette émission philatélique est révélatrice d’une époque : des navires taillés pour la course au large, derrière la digue, au second plan, côtoient des voiliers non habitables et des dériveurs au premier plan.

Dans le sillage de Tabarly, d’autres célèbres skippers ont eux aussi fait leurs armes aux large des côtes bretonnes : De Kersauzon, Riguidel, Caradec, Poupon, Jeantot, etc. Certains tels qu’Eric Loizeau, Serge Madec ou Jean-Luc Van den Heede se sont d’ailleurs formés aux Glénans. Par les courses au large toujours plus nombreuses et autres records de traversées de tous ces navigateurs, la plaisance française, et notamment bretonne, bénéficie dès lors d’une importante vitrine médiatique134 engendrant un réel engouement auprès du public. Beaucoup seront ainsi invités à l’exploit (la course transatlantique Lorient – Saint-Barthélemy ou encore la solitaire du Figaro permettent par exemple à des navigateurs anonymes de se mesurer aux plus célèbres sur des embarcations identiques), encore plus nombreux seront ceux attirés par la plaisance pratiquée pour le simple loisir.

Illustration 6

Publicité des années 1960 dans la presse nautique

La campagne publicitaire ci-contre laisse entrevoir les prémices d’une nouvelle ère toujours omniprésente aujourd’hui : celle du sponsoring où les industriels s’affichant sur les voiles ou les coques, profitent largement de la médiatisation grandissante des courses au large qui perdent ainsi une part de leur authenticité. Les appellations Penduick ou Gipsy

moth135 ont effectivement cédé leur

place à celles de marques

généralement indissociables de leur skipper respectif : Banque populaire, Bonduelle, Groupama et autre Primagaz, des noms assurément moins porteurs de rêve, d’évasion ou de légèreté.

134 Dans L’imaginaire marin des français (M. Roux, 1997), il est rappelé que sur les 11 grandes courses en solitaire ou en double créées entre 1968 et 1994, sept sont d’initiative française et cinq concernent directement la Bretagne : La Route du Rhum depuis 1977 (Saint-Malo – Pointe à Pitre), la Transat Le

Point-Europe 1 depuis 1979 (Lorient – Bermudes – Lorient), la Course des Amaldives (La Baule – Dakar) créée en 1981, la transat Québec – Malo depuis 1984 et la transat AG2R (Lorient –

Saint-Barthélémy – Lorient) créée en 1992.

135 Gipsy Moth (zig zag en français) : lignée de voiliers britanniques. Gipsy moth III, skippée par Sir Francis Chichester, a notamment remporté la première transat en solitaire en 1960.

in Images de voile. 100 ans de plaisance en Bretagne, F. PUGET, 2000.

C) CONCLUSION DU PREMIER CHAPITRE : ESSOR ET