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LES TROIS SOPHISMES DE L’« ECONOMIE DU FEU »

2.2 Le deuxième sophisme de l’Economie du feu : la monétarisation des impacts du feu

2.2.1 Mise en contexte

C’est au cours des années 1990 qu’ont lieu la plupart des débats autour des limites des évaluations monétaires de l’environnement et que sont publiés bon nombre des articles scientifiques à ce sujet (Vatn 2000 : 498). Aujourd’hui, les débats académiques autour de cette question sont en effet devenus plus rares (l’étude TEEB18 -à l’échelon international- et le « Rapport Chevassus-au-Louis » -à l’échelle nationale- ont tout de même relancé les débats en les focalisant plus concrètement sur la question de la monétarisation de la biodiversité). Aux yeux des économistes plus orthodoxes, ces débats ne sont plus pertinents ; pour les hétérodoxes, ils constituent un obstacle sempiternel au développement de nouvelles écoles autonomes de l’Economie Environnementale. Certains auteurs minoritaires perçoivent cependant cette évolution comme une preuve de la domination (scientifique et politique) du regard orthodoxe sur la question de l’évaluation environnementale.

18 The Economics of Ecosystems and Biodiversity.

Sous-section 2.2.3 : LES CRITIQUES SOCIO-INSTITUTIONNELLES (adressées aux hypothèses établies

par l’Economie du feu vis-à-vis des préférences des individus sur les enjeux exposés au feu)

2.2.3. 1 L’influenc e de l’a nalyste (et du ca dre théorique do nt il s’inspire) da ns la formation des préf érenc es des indiv idus sur les enj eux expo sés a u f eu :

- 1e r tem ps : Impo sitio n ex ante d’ une seule a ppréhension po ssible de

l’environnement et des m otivations que c elui-c i peut susciter chez les indiv idus (mo nisme)

- 2e tem ps : Influence exerc ée par les c hoix méthodologiques opérés par

l’ana ly ste a u mom ent de co ncevo ir l’enquête

- 3e tem ps : I nfluenc e de l’ informa tio n (et plus concrètement de sa gestio n par

l’ana ly ste) a u mom ent de réaliser l’enquête

2.2.3. 2 L’influenc e du co ntexte soc ial et culturel da ns la formation de c es préf érences 2.2.3. 3 L’essence forc ém ent politique de l’exercic e d’ évalua tion ( ra pports de po uvoir

et enjeux de distribution sous-j acents à l’ évalua tio n monétaire des enj eux expo sés au f eu) .

Sous-section 2.2.4 : LES CRITIQUES MATERIELLES (axées sur les caractéristiques de l’objet évalué et

sur l’adéquation de l’attirail méthodologique déployé par l’économiste du feu)

2.2.4. 1 Lim ites du « processus d’ indiv idua lisation » 2.2.4. 2 Lim ites du « processus d’a bstrac tio n »

Sous-section 2.2.5 : LES CRITIQUES PHILOSOPHIQUES (focalisées sur l’éthique sous-jacente à

l’approche économique de la problématique du feu)

2.2.5. 1 L’éthique conséquentialiste

2.2.5. 2 L’utilitarism e des préférences comm e critère de définition du bien-être

C h a p it re 2

La plupart des économistes du feu ont conscience des nombreux et divers problèmes que la monétarisation de la nature entraîne et y font référence de façon plus ou moins explicite. Cela n’implique pas pour autant un changement de cap significatif dans leurs travaux de recherches. Les propos de Román et al. (2012 : 159) à ce propos sont particulièrement illustratifs : selon ces auteurs, en effet, « malgré les limitations des méthodes d’évaluation monétaire, nous adoptons cette approche afin d’estimer les dommages potentiels du feu. Ses résultats sont en effet facilement compréhensibles par les parties prenantes et peuvent intégrer une multitude d’éléments différents dans un cadre global cohérent »19. Bref, comme dans bien d’autres domaines, les économistes du feu admettent les limites de leur démarche chrématistique tout en intensifiant leur quête de valeurs monétaires. A ce sujet, les analyses les plus « hétérodoxes » que nous avons répertoriées sont l’Analyse Coût-Efficacité (ACE) proposée par Rideout et al. (1999 : 224) (sous-section 1.2.3.3) et les apports qualitatifs introduits par Winter & Fried (1999) dans leurs évaluations monétaires appliquées aux IFH (sous-section 1.3.4.2).

Les critiques à la monétarisation de la nature sont multiples et variées selon leur objet, la discipline mobilisée, le positionnement épistémologique, etc. Il est par ailleurs possible de trouver dans la littérature scientifique plusieurs typologies différentes à ce sujet. Dans ce travail de recherche, nous proposons de structurer notre argumentation à travers une dichotomie basique distinguant les critiques « internes » des critiques « externes » (Bromley 1990 : 87 ; Jacobs [1991] 1997 : 342 ; Gregory et al. 1993 : 177 ; Blamey et al. 1995 : 266 ; O’Connor 1997 : 154 ; Aldred 2006 : 146 ; Stagl 2007 : 12 ; Spash 2008b : 261 ; etc.)20 :

i) les critiques internes englobent les différents biais qui peuvent exister dans les méthodes d’évaluation monétaire de l’environnement et notamment dans la Méthode d’Evaluation Contingente (MEC). En principe, il est possible de corriger ces problèmes (ou biais) grâce au raffinement des techniques communément employées par l’Economie standard. Cette catégorie de critiques invoque donc des questions ayant trait à la validité logique des diverses techniques utilisées par les économistes et ce, bien entendu, aux yeux de l’idéologie sous-jacente à la discipline scientifique en question (l’Economie)21. Les critiques internes se réfèrent donc à la consistance et à la cohérence internes des méthodes d’évaluation utilisées.

ii) les critiques externes (ou de principe) ont en commun le fait de mettre en cause la pertinence globale du processus de monétarisation. Il ne s’agit plus de problèmes pouvant être résolus à travers une analyse plus affinée, mais plutôt de problèmes de fond exigeant un cadre d’analyse alternatif. Ces critiques renvoient à la question de la concordance, autrement dit, au degré de correspondance entre un modèle ou une théorie et la réalité qu’il ou elle prétend expliquer.

Bref, alors que le premier groupe de critiques se focalise sur la plus ou moins grande précision des valeurs monétaires attachées à l’environnement, le deuxième groupe, lui, met en question le sens global d’une telle valorisation chrématistique.

19 Traduit par l’auteur.

20 Bien que les termes « internes » et « externes » ne soient employés ni pas Jacobs ([1991] 1997) ni par Gregory et al. (1993), leur raisonnement correspond à celui décrit dans cette dichotomie.

21 Le concept d’idéologie doit être compris comme un système commun de significations et de compréhensions permettant de typifier certains comportements (Bromley 1990 : 87).

Etant donné l’importance de la Méthode de l’Evaluation Contingente (MEC) parmi les évaluations monétaires appliquées à la problématique des feux de forêt (voir section 2.3), nous faisons le choix dans cette section de focaliser la majorité des critiques sur cet outil d’évaluation particulier. Par ailleurs, nous proposons de classer les critiques « externes » à la monétarisation des impacts du feu en trois catégories principales que nous avons répertoriées dans la littérature scientifique (voir figure 2.5 ; page 82). Une telle structuration ne découle donc pas directement d’un auteur en particulier, mais s’inspire de l’ensemble des publications répertoriées et étudiées dans le cadre de ce travail de recherche. La typologie proposée vise donc à articuler et à illustrer les arguments les plus pertinents vis-à-vis de la problématique du feu. Il s’agit d’une structuration possible parmi d’autres, pas forcément exhaustive et admettant des ponts aussi bien thématiques que logiques entre les différentes catégories identifiées.