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PARTIE 3 : MESURES TARIFAIRES AVEC IMPACT POSITIF SUR LE PRIX

XI. DIVERS

598. Dans ce dernier chapitre, nous aborderons encore plusieurs sujets spécifiques qui méritent l’attention. Il s’agit notamment de la séparation (unbundling) entre producteur et fournisseurs, du droit de superficie pour les éoliennes onshore et du Fonds en faveur des clients protégés.

XI.1 Unbundling producteur /fournisseur

599. L’une des interventions structurelles que la CREG recommande vivement est le découplage (‘unbundling’) des activités de producteur et de fournisseur, car le dossier de la rente nucléaire a très clairement démontré que le producteur d’énergie nucléaire dispose lui-même d’une quote-part élevée de la rente nucléaire en octroyant toutes sortes d’avantages tarifaires qui restent durablement hors de portée des concurrents. Si aucune taxe nucléaire d’un montant substantiel ne peut être imposée et si aucun découplage des activités de producteur et de fournisseur n’est effectué, aucune concurrence ne verra le jour en Belgique.

XI.2 Fonds en faveur des clients protégés

600. Actuellement, l’article 20, §2, de la loi électricité autorise le ministre qui a l’Economie dans ses attributions à fixer après délibération en Conseil des ministres des prix maximaux par KWh, valables pour l’ensemble du territoire, pour la fourniture d’électricité à des clients protégés résidentiels à revenus modestes ou à situation précaire. En contrepartie de cette obligation de service public, la loi électricité prévoit que la cotisation fédérale est notamment affectée au financement du coût réel net résultant de l’application des prix maximaux pour la fourniture d’électricité aux clients protégés résidentiels (art. 21bis, § 1er, al. 4, 5°). Un fonds géré par la CREG est constitué à cet effet.

601. En clair, la cotisation fédérale est notamment destinée à compenser la différence supportée au départ par chaque fournisseur, entre le prix normal pratiqué pour les clients résidentiels et le prix maximum imposé par arrêté ministériel. Il pourrait être envisagé de supprimer la prise en charge de cette compensation par la cotisation fédérale.

602. A priori, les obligations de service public imposées par un Etat membre aux entreprises actives dans les secteurs du gaz et de l’électricité, ne doivent pas nécessairement faire l’objet d’une compensation (financière). L’article 3, § 6, des directives 2009/72/CE et 2009/73/CE impose d’ailleurs uniquement que « lors qu’une compensation financière, d’autres formes de compensation ou des droits exclusifs offerts par un Etat membre pour l’accomplissement des obligation visées aux paragraphes 2 et 3 sont octroyés, c’est fait d’une manière non discriminatoire et transparente ». Un certain nombre d’obligations de service public, imposées aux fournisseurs notamment par les Régions, ne sont ainsi nullement compensées financièrement et sont donc à la charge des fournisseurs220.

603. Les fournisseurs pourraient être peu enclins à conclure et à renouveler des contrats avec les clients protégés221. Certes, un obligations légale de fourniture pourrait être instaurée – elle existe d’ailleurs déjà dans certaines régions222.

604. Il s’avère à cet égard qu’en cas de suppression du fonds « clients protégés » les fournisseurs subiront différemment la mesure, en fonction de leur assise financière et des régions dans lesquelles ils ont constitué leur clientèle. Toutefois, cette différence n’est pas de celle qui pourrait être sanctionnée en droit européen, dans la mesure où elle résulte uniquement de l’application des conditions d’un marché libéralisé, dans lequel toutes les entreprises ne se trouvent par définition pas sur pied d’égalité.

220 P. BOUCQUEY, « L’énergie du service public aux obligations de service public » dans Le service public passé, présent et avenir », Bruxelles, La Charte, 2009, pp. 358-359.

221 Surtout si la mesure est liée à d’autres mesures en matière de limitation des prix.

222 Voy. R.P.D.B., Compl., t. X, v « Electricité et gaz », n° 1055.

XI.3 Droit de superficie

605. Une des causes du prix élevé de l’électricité produite par l’énergie éolienne vient de la surenchère faite par les propriétaires de terrains disponibles, en matière de redevances de superficie consentie aux exploitants d’éoliennes on-shore. Logiquement, le montant de ces redevances, qui constitue un coût pour le producteur éolien, est répercuté dans le prix de l’électricité.

606. Il pourrait dès lors être envisagé d’imposer, par voie d’autorité, un plafond au rendement des terrains affectés à l’exploitation des parcs éoliens, et ce, sur l’ensemble du territoire belge.

607. Une première question se pose de savoir si c’est bien l’Etat fédéral qui est compétent pour adopter une telle mesure. Il est supposé ici que, dans l’immense majorité des cas, c’est la figure juridique de la superficie – droit réel institué par la loi du 10 janvier 1824 – qui est utilisée en vue de l’érection et de l’exploitation d’un parc d’éoliennes.

608. La loi spécial du 8 août 1980 de réformes institutionnelles ne prévoit rien pour ce qui concerne, de manière générale, le droit des biens. Dans ces conditions, conformément aux principes qui régissent la répartition des compétences entre l’Etat fédéral, les Régions et les Communautés, c’est l’Etat fédéral qui est resté compétent en matière de droit réel sans préjudice de la possibilité, pour les Régions, de modifier de manière incidente les dispositions du Code civil en la matière, si cela s’avère nécessaire dans l’exercice d’une compétence qu’elles se sont vues expressément attribuée223.

609. En tout état de cause, donc l’Etat fédéral doit être considéré comme compétent pour apporter des limitations à la libre disposition des biens, dès lors que cette limitation s’avère nécessaire, dans le cadre de la politique fédérale en matière de production d’électricité et du prix de celle-ci224, de même qu’en matière de protection des consommateurs225.

610. Une autre question est de savoir si une telle limitation ne porterait pas une atteinte excessive au droit à la protection des biens, garantie par l’article 1er du Premier Protocole à la Convention européenne des droits de l’homme226. Cette disposition encadre d’une part

223 Voy., par exemple, Cour const., arrêt n° 69/2005n du 20 avril 2005.

224 Loi spéciale de réformes institutionnelles, art. 6, § 1er, VII, al. 3, c et d.

225 Loi spéciale de réformes institutionnelles, art. 6, § 1er, VI, al 4, 2°.

226 Si le mesure envisagée se contente de fixer un plafond à la rentabilité escomptée par les propriétaires de terrains de la location de ces terrains aux exploitants d’éoliennes, elle ne peut

toute privation de liberté et la soumet à certaines conditions strictes, et confère d’autre part aux Etats le pouvoir de réglementer l’usage des biens conformément à l’intérêt général227. Selon la Cour européenne des droits de l’homme, tout ingérence dans le droit de propriété doit en outre être proportionnée :

« La Cour doit rechercher si un juste équilibre a été maintenu entre les exigences de l’intérêt général de la communauté et les impératifs de la sauvegarde des droits fondamentaux de l’individu ».

611. Pour respecter les garanties offertes par l’article 1er du Premier Protocole, toute réglementation de l’usage des biens doit se justifier en référence à l’intérêt général. A cet égard, l’argument de la nécessité de fixer un plafond au rendement des terrains affectés à l’exploitation des parcs éoliens, en vue de limiter la hausse des prix de l’énergie peut évidemment être invoqué, à condition d’établir avec suffisamment de certitude un lien entre le montant de la redevance de superficie et le prix final de l’électricité. La Cour européenne des droits de l’homme reconnaît à cet égard une large marge d’appréciation aux Etats dans le cadre des mesures réglementant l’usage des biens et du choix des politiques à mettre en œuvre.

612. S’agissant du respect du principe de proportionnalité, il conviendra d’éviter que la fixation du plafond ne supprime purement et simplement le rendement que le propriétaire du terrain peut attendre de la location de celui-ci à un producteur d’électricité éolienne. Par ailleurs, il conviendra de tenir compte du fait que, dans le mécanisme envisagé, rien n’empêchera le propriétaire d’aliéner son bien, ni de l’affecter à un autre usage, jugé plus rémunérateur.

613. Eu égard à la jurisprudence de la Cour constitutionnelle228, il semble qu’une telle limitation du rendement d’un terrain affecté à une activité bien spécifique soit acceptable.

614. Enfin, un dernier point doit retenir l’attention, à savoir la possibilité, pour la mesure envisagée, de s’appliquer également aux contrats de superficie déjà conclus avant l’entrée en vigueur de la mesure. A l’analyse, une telle portée serait problématique au regard de la sécurité juridique puisqu’il porterait atteinte aux attentes légitimes des propriétaires des terrains, nées de la conclusion de contrats antérieurement à l’entrée en vigueur de la

s’analyser en une mesure d’expropriation. Dès lors, l’article 16 de la Constitution n’est pas applicable en l’espèce.

227 Cour eur. D.h., arrêt Sporrong et Lönroth c. Suède, du 23 septembre 1982.

228 Voy. Par exemple l’arrêt n° 62/2007 du 18 avril 2007.

mesure. Un lien peut être fait à cet égard avec l’arrêt prononcé par la Cour européenne des droits de l’homme le 28 octobre 1995, constatant que l’adoption par l’Etat belge d’une loi empêchant, à titre rétroactif, des armateurs d’obtenir le dédommagement d’un préjudice matériel subi par la faute de pilotes sous la responsabilité de l’Etat ne respectait pas le juste équilibre entre l’intérêt général et les droits des sociétés en cause.

615. La mesure envisagée, si elle est adoptée, ne devrait donc valoir que pour l’avenir.