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PARTIE 3 : MESURES TARIFAIRES AVEC IMPACT POSITIF SUR LE PRIX

VI. Prix maximaux

VI.2 Considérations juridiques

VI.2.1 Législation belge sur les prix

Législation générale sur les prix

478. Parallèlement au principe de la libre formation des prix et sur pied d’égalité avec ce dernier, l’ordre juridique belge connaît une réglementation relative au contrôle public des prix, dont la pierre angulaire est la loi sur les prix du 22 janvier 1945.154 Cette législation, qui touche à l’ordre public, s’applique également à la vente d’électricité et de gaz naturel, étant toutefois entendu que les dérogations éventuelles stipulées dans une législation spécifique à un secteur primeront.

Interdiction de prix et de bénéfices anormaux

479. La loi sur les prix prévoit avant tout une interdiction de vente au-delà du prix normal.

En outre, un prix est également « illicite » s'il entraîne la réalisation d'un bénéfice anormal.155 Les infractions à ces dispositions seront sanctionnées pénalement. Leur évaluation incombera exclusivement aux cours et tribunaux. L’application de ces dispositions n’a jamais été très efficace et est dans la pratique de plus en plus rare.

154 Loi du 22 janvier sur la réglementation économique et les prix (M.B. du 24 janvier 1945)

155 Arrêté-loi du 14 mai 1946 renforçant le contrôle des prix (M.B. du 16 mai 1946)

Constatation de prix maxima et de marges bénéficiaires maximales

480. L’article 2 de la loi sur les prix habilite le ministre de l’Économie à fixer des prix maxima et/ou des bénéfices maximaux, après consultation de la Commission pour la Régulation des Prix. La réglementation autorise le cumul des niveaux maximaux (plafonnement du prix et de la marge bénéficiaire) et leur imposition dans toute la chaîne de valeur (des plafonds distincts pour les producteurs, les grossistes, la distribution, le commerce de détail, ...).

481. Cette dernière possibilité est pertinente dans des secteurs aussi morcelés que ceux du gaz et de l’électricité. Par ailleurs, la CREG a déjà insisté dans des études précédentes sur l’importance de cette problématique.156 Si les charges de la limitation du prix ne sont pas réparties sur toute la chaîne de valeur, mais sont par exemple concentrées sur le prix au détail, le principe constitutionnel de l'égalité risque d’être mis à mal.157

482. En principe, les prix maxima constatés ont une portée générale, mais la loi sur les prix permet aussi au ministre de fixer un prix maximal « individualisé » pour une ou plusieurs entreprises, pour autant qu’elles aient déposé une déclaration de hausse individuelle et que la durée de validité n’excède pas six mois.

Déclaration de hausse

483. La loi sur les prix fait sommairement référence à une déclaration de hausse. Il s’agit d’un mécanisme qui est mis en œuvre dans un contexte inflationniste et dont le champ qu’un prix maximal de fourniture de gaz naturel peut être imposé que tout le poids de la mesure prise doit être supporté par le fournisseur (en l’occurrence Electrabel Customer Solutions S.A. par exemple), et certainement pas si :

– le nœud du problème devait se situer en amont de la chaîne de valeur, par exemple au niveau de l’importateur de gaz naturel qui le revend par la suite. Si l’on devait observer, en amont, des pratiques telles que l’excessive pricing, le price squeezing ou la tarification discriminatoire, il conviendrait en effet de prendre des mesures adéquates à ce niveau.

– l’on souhaite attirer autant de fournisseurs concurrents que possible sur le marché belge. »

157 Pour obtenir de la jurisprudence établissant ce constat relatif aux prix du pétrole : voir Gand, 28 mai 1975, non publié, rendu dans la même affaire que Trib. Corr. de Courtrai, 26 juin 1974 ; contre : Conseil d’État, 19 avril 1978, n° 18.916).

158 Bureau Fédéral du Plan, La régulation des prix en Belgique, 2005 (Document de travail 19-05, disponible sur http://www.plan.be/admin/uploaded/200605091448120.WP0519nl.pdf).

d'application a été ramené à une quinzaine de secteurs159 et, depuis lors, ce nombre a été systématiquement revu à la baisse.

484. Le système consiste en la notification préalable des demandes de hausse de prix envisagées à l'Inspection générale des Prix, accompagnées de la nécessaire justification chiffrée de la hausse des éléments du prix de revient. Après l’avis de la Commission pour la Régulation des Prix, le ministre de l’Économie peut octroyer la hausse, la refuser ou la limiter.

485. De nos jours, cette réglementation est toujours d’application « au gaz et à l’électricité soumis à la tarification nationale ». Toutefois, dans la pratique, cette procédure n’est plus suivie, ni sur les éléments libéralisés du marché, ni par les entreprises régulées. On peut aussi assurément admettre que l'expression « tarification nationale » renvoyait au marché captif intégré, qui a été dans l'intervalle supprimé.160

Contrat-programme

486. Les contrats-programmes créés en 1969 constituent un dernier instrument dans l’arsenal législatif régissant les prix. De tels contrats sont conclus entre le ministre de l’économie et une ou plusieurs entreprises (habituellement regroupées au sein d’une association sectorielle). L’objectif est de régler l’évolution des prix en fonction de certains paramètres (prix des matières premières, charges salariales, etc.).

487. Grâce au contrat, les entreprises concernées sont soustraites aux règles relatives aux prix habituels, aux prix maximaux et aux hausses de prix. Le contrat prévoit un dédommagement en cas de non-respect, ainsi qu’une possibilité de résiliation. La plupart du temps, son contenu n’est cependant pas publié.

159 Arrêté ministériel du 20 avril 1993 portant dispositions particulières en matière de prix (M.B. du 28 avril 1993). Cet arrêté stipulait aussi en son article 2 une procédure assouplie de notification ; toutefois, cet article a été annulé par le Conseil d'État dans son arrêt n° 128.621 du 1er mars 2004 (Denkavit).

160 Il n'en reste cependant pas moins étrange que le gaz et l’électricité aient survécu aux érosions répétées du champ d'application. En toute hypothèse, la réglementation n’a a aucun moment été remise en cause lors de la récente instauration du filet de sécurité, dont l’inspiration est cependant analogue.

488. L’exemple le plus connu est incontestablement la contrat-programme relatif aux produits pétroliers161, qui a même reçu un fondement légal distinct dans la loi sur les prix. Il a été conclu pour la première fois en 1974, car le système de déclarations de hausse appliqué jusqu'à ce moment était trop rigide pour pouvoir suivre les hausses rapides sur le marché pétrolier et l’évolution des cours de change, ce qui avait causé un chaos sur le marché belge et une pénurie en produits pétroliers.

Clauses d’augmentation de prix par rapport aux consommateurs

489. L’article 74, 2° et 3° de la LPM 162 interdit les clauses contractuelles qui permettent aux entreprises d'augmenter unilatéralement leur prix au détriment du consommateur sur la base d'éléments qui dépendent de leur seule volonté. Cette interdiction ne concerne cependant pas les clauses d'indexation de prix pour autant qu'elles ne soient pas illicites (voir par exemple le point suivant) et que le mode d'adaptation du prix soit explicitement décrit dans le contrat. En ce qui concerne les contrats à durée indéterminée, l’augmentation unilatérale des prix est cependant autorisée si le consommateur a la possibilité de mettre fin au contrat sans frais avant l’entrée en vigueur de cette hausse.

Clauses de révision des prix

490. La loi de redressement de 1976 impose un cadre strict aux clauses de révision des prix insérées dans des « contrats commerciaux et industriels » :163

- la clause ne peut s'appliquer qu’au prix final demandé à l’acheteur ;

- la clause doit être basée sur des paramètres représentant les coûts réels (salaires, énergie,…), chaque paramètre étant uniquement applicable à la partie

161 Pour une évaluation critique : voir Conseil de la Concurrence, Avis du 17 décembre 2001 sur le contrat-programme relatif à un régime des prix de vente des produits pétroliers, Rapport annuel 2001, p. 362-372.

162 Loi du 6 avril 2010 relative aux pratiques du marché et à la protection du consommateur (M.B. du 12 avril 2010).

163 Cette règlementation quelque peu oubliée figure à l’article 57 de la Loi du 30 mars 1976 relative aux mesures de redressement économique (M.B. du 1er avril 1976). Cet article ne s'applique pas aux conventions présentant un élément d'extranéité, sauf si celles-ci se rapportent à des prestations à effectuer en Belgique et si elles ont en outre été passées par des personnes résidant en Belgique.

du prix correspondant au coût qu'il représente ; une liaison à des indices généraux sans lien avec le type de coût concerné est interdite ;

- la clause doit contenir un terme fixe représentant à tout le moins 20% du prix final.

491. Les clauses ne répondant pas à ces conditions sont nulles de plein droit. Le Ministre de l’économie peut néanmoins accorder des dérogations et en a effectivement fait usage, notamment dans des secteurs où la structure des coûts est presque exclusivement variable.

Législation sectorielle sur les prix

Prix maxima

492. Une réglementation spécifique s’applique au gaz et à l’électricité ; 164 elle se fonde sur les règles générales extraites de la loi sur les prix. Les principales particularités en termes de gaz et d’électricité concernent la nécessité d’un avis préalable fourni par la CREG au ministre de l’économie et l’imposition d’un ensemble de critères divers auxquels doivent répondre les prix maxima :

164 Article 15/10 de la loi sur le gaz et article 20 de la loi relative à l'électricité.

Loi relative à l'électricité :

1° éviter des subsides croisés entre catégories de clients ;

2° assurer qu'une partie équitable des gains de productivité résultant de l'ouverture du marché de l’électricité reviennent de manière équilibrée aux clients résidentiels et professionnels, dont les petites et moyennes entreprises, sous forme d'une baisse des tarifs ;

3° orienter progressivement les tarifs appliqués aux clients visés au 2° sur les meilleures du gaz naturel à la concurrence, la continuité des avantages sociaux applicables à certaines catégories de consommateurs résidentiels en matière de raccordement et en matière tarifaire ; 5° veiller à ce que les consommateurs finaux bénéficient des avantages qui résulteront de la politique d'amortissement pratiquée dans le système régulé ;

6° assurer la transparence des termes tarifaires et favoriser les comportements de consommation rationnels.

Loi sur le gaz :

1° éviter des subsides croisés entre catégories de clients ;

2° assurer qu'une partie équitable des gains de productivité résultant de l'ouverture du marché du gaz naturel reviennent de manière équilibrée aux clients résidentiels et professionnels, dont les petites et moyennes entreprises, sous forme d'une baisse des tarifs ;

3° maintenir les tarifs appliqués aux clients visés au 2° au niveau des meilleures pratiques du gaz naturel à la concurrence, la continuité des avantages sociaux applicables à certaines catégories de consommateurs résidentiels en matière de raccordement et en matière tarifaire ; 6° veiller à ce que les consommateurs finaux bénéficient des avantages qui résulteront de la politique d'amortissement pratiquée dans le système régulé ;

7° assurer la transparence des termes tarifaires et favoriser les comportements de consommation rationnels.

493. Pour le surplus, la loi générale sur les prix est déclarée applicable, sauf en ce qui concerne l’intervention de la commission de régulation des prix et la fermeture provisoire de l'établissement des contrevenants. Le Ministre de l’économie a, en 2001, fait usage pour la première fois de cette disposition lui permettant de fixer des prix maxima pour les clients captifs.165

Filet de sécurité

494. Le filet de sécurité récemment instauré166 prévoit un certain nombre de mécanismes de protection de petits clients de gaz et d’électricité (ménages et PME) qui ont conclu un contrat à prix variable. D'une part, le nombre d’indexations est limité à quatre par année et l’application correcte des indexations (et leur évolution) est contrôlée par la CREG. D'autre part, les hausses de prix hors indexation – qui impliquent donc une modification de la formule – doivent être soumises à l’approbation de la CREG (la Banque nationale de Belgique jouant un rôle consultatif). Lors de son évaluation, la CREG doit utiliser des

« paramètres objectifs », même si, concrètement, la loi ne prévoit qu’une comparaison avec la moyenne de la composante énergétique dans la « zone d'Europe du Nord-Ouest ».

495. La CREG reviendra sur les dispositions juridiques actuelles régissant le fonctionnement du filet de sécurité au Chapitre VII, Régulation comme filet de sécurité.

Évaluation par la CREG du rapport entre coûts et prix

496. L’article 23ter de la loi relative à l'électricité donne la mission suivante à la CREG :

« Les prix offerts par une entreprise d'électricité doivent être objectivement justifiés par rapport aux coûts de l'entreprise. La Commission apprécie cette relation en comparant notamment les coûts et les prix de ladite entreprise avec les coûts et les prix des entreprises comparables si possible également au plan international. »

165 Arrêtés ministériels du 12 décembre 2001 portant fixation de prix maximaux pour la fourniture de gaz naturel et d'électricité (M.B. du 15 décembre 2001). Ces arrêtés ont encore été actualisés jusque fin 2004. En dépit de la libéralisation du marché (qui a dans l’intervalle été achevée), ils n’ont pas encore été formellement abrogés. À défaut de « clients non éligibles », ces textes sont donc dormants.

166 Insertion dans la loi du 8 janvier 2012 (M.B. du 11 janvier 2012) d’un nouvel article 15/10bis dans la loi sur le gaz et d’un nouvel article 20bis dans la loi relative à l'électricité.

497. Si la CREG constate qu'il n'existe pas de relation objectivement justifiée, elle adresse d'initiative au ministre de l’énergie un rapport reprenant ses constatations et les mesures qu'elle recommande. Elle doit en outre dénoncer les infractions présumées au Conseil de la concurrence.

498. Cette disposition, qui figure également à l’article 15/14ter de la loi sur le gaz, pose désormais des difficultés à la suite de l’instauration du filet de sécurité. Dans ces deux cas, la CREG doit en effet évaluer les prix des fournisseurs, de sorte qu’il est pratiquement inévitable que les deux procédures (filet de sécurité et art 23ter de la Loi relative à l'électricité et 15/14ter de la loi sur le gaz) s’entrecroiseront167. Dans la mesure où la CREG pourrait être encline à anticiper ses propres décisions, elle risque d’agir en méconnaissance des principes de bonne administration.

Conclusion

499. Il existe une multitude d’instruments dont les possibilités d'utilisation ne sont pas toujours claires et qui semblent, à tout le moins partiellement, se chevaucher et se contredire. Cette conclusion avait du reste déjà été tirée en 2008 au terme d'une table ronde organisée par le SPF Économie.168 Si de nouvelles mesures tarifaires étaient instaurées, il serait fortement recommandé de rationnaliser dans le même temps l’arsenal existant 169.