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PARTIE 3 : MESURES TARIFAIRES AVEC IMPACT POSITIF SUR LE PRIX

VI. Prix maximaux

VI.2 Considérations juridiques

VI.2.2 Droit européen

Droit de la concurrence

Interdiction des conventions restreignant la concurrence

500. Les accords tarifaires entre entreprises sont interdits par l’article 101 TFUE et par l’article 2 de la loi sur la concurrence.170 Cette interdiction ne vise pas uniquement les

167 Les droits de la défense doivent être en l’espèce respectés.

168 Rapport final « Évaluation et modernisation de la législation économique » disponible sur http://economie.fgov.be/nl/binaries/report_nl_tcm325-81424.pdf.

169 Nous sommes confrontés à un regroupement de législations diffuses (lois ordinaires, diverses lois particulières, etc.) consignées dans un code articulé autour de 13 livres. Ce code doit faire table rase des divergences et moderniser les textes de loi en vigueur.

170 Loi sur la protection de la concurrence économique, coordonnée le 15 septembre 2006 (M.B. du 29 septembre 2006).

accords formels de cartel, mais aussi le rapprochement des tarifs appliqués dans la pratique.

Ces règles concernent principalement les contrats-programmes. Si toutefois ces accords sont imposés par une décision politique impérative, ils ne seront pas constitutifs d’une infraction à l’interdiction de cartel.171

Aide d’état

501. Les règles du traité européen interdisent aux États membres de favoriser des entreprises en leur octroyant des mesures d'appui qui faussent la concurrence et faussent le commerce entre États membres.172 Même si, eu égard aux particuliers, la fixation d’un prix maximal ne peut pas relever de cette interdiction, il n’en va pas de même en ce qui concerne les entreprises. Si un prix maximal était instauré au bénéfice des PME, il conviendrait d’examiner si cette mesure ne constitue pas une aide d’État interdite.

502. Un prix maximal ne constitue pas en soi une aide d’État aussi longtemps qu’il n’implique aucun transfert de ressources d’État ; toutefois, dès que sont prises des mesures d’accompagnement (dont la constitution d’un fonds de compensation ou l’imposition de contributions), l’évaluation pourra s’inverser.173

503. Par ailleurs, l’article 107 (3) TFUE prévoit un certain nombre de motifs d’exception susceptibles de justifier l’octroi d’une aide d’État dans certaines circonstances.

Marché intérieur : restrictions à l’importation

504. Des prescriptions tarifaires nationales peuvent fausser le marché intérieur, car elles considèrent un fonctionnement analogue comme des restrictions quantitatives à l’importation.174 Dans ce cas, elles sont contraires à l’article 34 TFUE. Un prix maximal qui est applicable sans distinction aux produits domestiques et aux produits importés pourra notamment être constitutif d’une mesure d’effet équivalent interdite lorsque ce prix est

171 D. VANDERMEERSCH, De Mededingingswet, 2007, p. 123.

172 Article 107 TFUE.

173 W. VANDENBERGHE, “Maximumprijzen in de energiesector: een mededingingsrechtelijke analyse”, T.B.M. 2008, Vol. 4, p. 27 (avec un bref examen du TaRTAM français, un tarif régulé en vertu duquel un avantage concurrentiel déloyal serait octroyé aux entreprises grandes consommatrices d’énergie).

174 A propos des régimes commerciaux constitutifs d’une entrave à la libre circulation : Cour de Justice, 11 juillet 1974, Dassonville, n° 8/74.

maintenu à un niveau tellement faible qu’au vu de la situation générale des produits importés par rapport à ces produits domestiques, les commerçants désireux d’importer le produit dans l’État membre concerné ne pourraient le faire qu’en enregistrant une perte 175 ou sans bénéfice raisonnable176.

505. Étant donné que la Belgique n'extrait pas de gaz naturel, cette problématique concerne essentiellement l’électricité. En ce qui concerne le gaz naturel, un recours à l’article 34 TFUE ne serait envisageable que si le prix était fixé à un niveau tellement bas que l’importation de gaz en serait compromise.

506. L’article 36 TFUE stipule un certain nombre d’objectifs susceptibles de justifier l’imposition de restrictions à l'importation ou de mesures analogues ; toutefois, en l’espèce, le recours à l’un de ces motifs semble tout sauf évident. La Cour de Justice a cependant étendu ces motifs de justification dans sa jurisprudence pour y englober notamment la protection des consommateurs.177 Les conditions en vertu desquelles cette rule of reason peut être appliquée sont cependant assez strictes.178 Cela revient dès lors à fixer un niveau du prix tel qu’il n’entrave pas le fonctionnement du marché par-delà les frontières nationales.

Droit sectoriel

507. Au niveau européen, l’organisation des marchés de l’électricité et du gaz naturel est à l'heure actuelle régie par le troisième paquet énergie. L’idée maîtresse est identique à celle sous-tendant les paquets antérieurs, à savoir une libre formation des prix sous-tendue par l’offre et la demande. La Commission européenne s’est toujours montrée très critique face à l'existence de multiples formes de contrôle des prix dans de nombreux États membres.179 Le groupe de régulateurs ERGEG est sur la même longueur d’ondes.180 La réglementation européenne en matière d’énergie laisse cependant une marge de manœuvre pour certaines formes d’intervention tarifaire par les pouvoirs publics.

175 Cour de Justice, .26 février 1976 (Tasca), n° 65/75.

176 Cour de Justice, 19 mars 1991 (Commission / Belgique), T.B.H. 1992, p. 115, note M. DONY (dans cette affaire, la déclaration de hausse afférente à des produits pharmaceutiques a en définitive été considérée comme une mesure interdite pour une autre raison (au motif que la procédure était plus complexe pour les non-investisseurs)).

177 Cour de Justice, 20 février 1979 (Rewe-Zentral), n° 120/78.

178 W. VANDENBERGHE, “Maximumprijzen in de energiesector: een mededingingsrechtelijke analyse”, T.B.M. 2008, Vol. 4, p. 28-29.

179 Commission européenne, DG Competition Energy Sector Enquiry, SEC(2006)1724, 10 janvier 2007, p. 202 et suivantes.

180 ERGEG, Status Review of End-User Price Regulation as of 1 January 2010 (disponible sur www.energy-regulators.eu)

508. Dans l’affaire Federutility, la Cour de Justice de l’Union européenne a été interrogée sur le point de savoir si le système italien de fixation de prix de référence pour la livraison de gaz naturel aux consommateurs par le régulateur AEEG était conforme, après l’ouverture du marché, à la deuxième directive sur le gaz.181 La Cour en a conclu que la directive ne prescrit certes pas expressément que le prix de fourniture doit être exclusivement déterminé par le jeu de l’offre et de la demande, mais que cette exigence découle de l’objectif et de la conception générale de la directive. Les interventions publiques dans la formation des prix sont cependant possibles, pour autant qu’elles répondent aux conditions décrites à l’article 3 de la directive.

509. En vertu de cet article, les États membres peuvent, dans l’intérêt économique général, imposer aux entreprises du secteur du gaz naturel ou de l’électricité des obligations relatives à la prestation de services publique. Ces obligations peuvent concerner le prix des livraisons et doivent être « clairement définies, transparentes, non discriminatoires et contrôlables et garantir aux entreprises d’électricité de l’Union européenne un égal accès aux consommateurs nationaux ». En outre, les dispositions de l’article 106 TFUE doivent être respectées, en ce compris le test de proportionnalité qui y figure.

510. En application du principe de proportionnalité, la Cour affirme qu’il ne peut être porté atteinte à la libre fixation du prix de fourniture du gaz naturel que « dans la seule mesure nécessaire à la réalisation d’un tel objectif d’intérêt économique général et, par conséquent, durant une période nécessairement limitée dans le temps ». En résumé, la Cour n’autorise un contrôle des prix que dans la mesure où :

 il est justifié par l’intérêt économique général consistant à maintenir le prix de fourniture du gaz naturel au consommateur final à un niveau raisonnable ;

 le principe de la proportionnalité est respecté en :

- limitant la durée du régime à ce qui est strictement nécessaire : même en cas de mesure temporaire, des mécanismes doivent être prévus afin que l’administration « se conforme, en vertu du droit national applicable, à une obligation de réexamen périodique, à des périodes rapprochées, de la

181 Cour de Justice, 20 avril 2010 (Federutility), n° C-265/08. Cet arrêt concernait la deuxième directive sur le gaz ; toutefois, ses enseignements peuvent être étendus, d'une part, au secteur de l'électricité et, d'autre part, au troisième paquet. Les dispositions concernées sont pour l’essentiel concordantes.

nécessité et des modalités de son intervention en fonction de l’évolution du secteur […] » ;

- (ii) limitant la méthode appliquée à ce qui est strictement nécessaire ;

Sur ce point, le Conseil d'État formule une réserve importante lors du contrôle ex ante des hausses des prix de l'énergie variables pour les clients ménagers et les PME (deuxième volet de la régulation du filet de sécurité) :

« Se pose en outre la question de savoir si ce contrôle des prix vise pour l’essentiel la limitation des conséquences des hausses de prix sur les marchés internationaux, comme cela était le cas pour la règlementation qui a été abordée dans l’arrêt Federutility. La mesure concerne principalement le mode de fonctionnement des fournisseurs d’électricité, alors qu’un mode de fonctionnement inefficace ou inapproprié devra en principe être compensé par le libre marché » […].”182

- (iii) tenant compte de différences objectives entre bénéficiaires (distinction entre particuliers et entreprises et aussi entre entreprises réciproquement)183;

 il est clairement défini, transparent, non discriminatoire, contrôlable, et garantit aux entreprises de gaz de l’Union européenne un égal accès aux consommateurs. Le Conseil d'État a précisé à cet égard : « Même si la fixation de prix de référence pour tous les fournisseurs s’applique de la même manière, la réglementation conçue ne peut pas être discriminatoire, puisque sa charge financière touche essentiellement certains fournisseurs.”184

511. Les mesures prévues en matière de contrôle d’autres hausses des prix sont en revanche considérées comme venant en appui de la réglementation élaborée à propos de la limitation de l'application de l’indexation des prix et de son contrôle. Se pose en outre la question de savoir si ce contrôle des prix vise par excellence la limitation des conséquences des hausses de prix sur les marchés internationaux, comme cela était le cas pour la naturel […] profite également aux particuliers et aux entreprises ».

184 Avis n° 49.570/3 du Conseil d'État du 31 mai 2011, Doc. Parl. 2010-2011, Doc. 53 1725/001, p.

301.

règlementation qui a été abordée dans l’arrêt Federutility 185. La mesure concerne essentiellement le mode de fonctionnement des fournisseurs d’électricité, alors qu’un mode de fonctionnement inefficace ou inapproprié devra en principe être compensé par le libre marché, plutôt que par des hausses de prix à soumettre en règle générale à l’approbation des pouvoirs publics. S’agissant de cet élément, le Conseil d'État estime aussi devoir s’interroger quant à la proportionnalité de la mesure envisagée.

Protection des investisseurs étrangers

512. L’instauration de prix maxima pourrait être potentiellement contrecarrée par le risque que l’État belge fasse l’objet de demandes d’indemnisation de groupes internationaux fondées sur des règles en matière de protection des investissements inscrites dans des traités. Nous songeons à cet égard avant tout à la Charte de l'Énergie.186

513. Une telle action serait sous-tendue par le fait que la Belgique ait attiré des investisseurs en leur faisant miroiter la libre formation des prix et que le soudain revirement de cap politique constitue une atteinte à leurs attentes légitimes.187

514. Il peut être argué, face aux chances de succès de telles demandes d'indemnisation, que la législation sur l’énergie prévoit, tant au niveau belge qu’européen, la possibilité de procéder à des interventions tarifaires (voir exposé ci-dessus). Le fait que de telles mesures n’aient pas été effectivement mises en œuvre ne peut pas être assimilé au renoncement, dans le chef des pouvoirs publics, à les actionner un jour.

185 Ibid., point 37.

186 Traité du 17 décembre 1994 sur la Charte de l'Énergie, entré en vigueur en Belgique le 6 août 1998. N.B. : ce traité n’a pas (encore) été ratifié par la France.

187 Pour une discussion détaillée, voir A. BOUTE, “Challenging the Re-regulation of Liberalized Electricity Prices Under Investment Arbitration”, Energy Law Journal 2011, Vol. 32, p. 497-539.