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Dans quelle mesure les institutions créent-elles de la rupture dans le parcours des jeunes ?

dans le cadre d’une recherche coopérative » Mémoire Emilie Caumes

DIRECTION GENERALE Directrice Générale : Marie-Odile SASSIER

2) Dans quelle mesure les institutions créent-elles de la rupture dans le parcours des jeunes ?

Trois points ressortent des échanges :

Le fait même du dispositif de Protection de l’Enfance : le placement qu’il soit accepté ou incompris provoque en lui-même une rupture, de la stigmatisation par rapport au monde ordinaire. La question des partenariats mis en œuvre et des différences de prise en charge peut augmenter ce risque et provoquer par ailleurs des incompréhensions, des injonctions paradoxales pour les jeunes accompagnés.

La question des multi placements qui engendrent des ruptures à répétition et des risques de maltraitance institutionnelle (contre toute intentionnalité).

La fin des dispositifs, des prises en charge ; l’arrivée à la majorité mais aussi les fins de contrats jeunes majeurs à l’initiative des jeunes eux-mêmes sont facteurs de rupture pour des jeunes qui n’y sont pas préparés.

Si la satisfaction exprimée des participants confirme l’intérêt de mettre autour d’une table des acteurs qui se méconnaissent mais ont des choses à se dire, la démarche ne s’arrête pas là. Ces premiers éléments de réflexion et points de vue doivent, à présent, être traités et analysés en profondeur. Nous continuerons à vous informer de l’avancée de la recherche dans les Brèves. Entretemps, nous vous invitons à prendre connaissance sur le site internet de la SEA 35 du document de cadrage de la recherche coopérative qui reprend et précise notre problématique ainsi que nos hypothèses d’investigation.

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Annexe 4 :

Compte rendu COMEX 2 (3 décembre 2014)

Le deuxième Comités d’Experts (COMEX 2) accompagnant la recherche coopérative sur les jeunes en rupture a eu lieu le mercredi 3 décembre. Il a rassemblé une vingtaine de personnes représentant les principaux champs d’intervention : Protection de l’Enfance, justice, insertion professionnelle, logement, Éducation Nationale, animation…

Après une brève introduction qui faisait le point sur l’avancée de la recherche, nous avons travaillé en deux groupes distincts. Cet écrit synthétise les propos tenus par les personnes présentes dans chacun des deux ateliers.

Lors du premier COMEX, qui s’est tenu le 27 mars 2014, les questionnements portaient sur la rupture et la protection. Ils s’appuyaient surtout sur le matériau d’enquête issu des ateliers de travail menés par l’équipe de recherche et sur des entretiens conduits auprès des professionnels de la SEA 35. La question mise au travail à l’occasion du deuxième COMEX a, quant à elle, émergé des nombreux entretiens réalisés depuis : vingt-cinq entretiens avec des professionnels, conduits majoritairement sous une forme collective, et une quinzaine d’entretiens avec des jeunes.

Au regard des éléments recueillis, nous avons identifié les thématiques suivantes : la question de l'affect dans la relation professionnel-jeune, d’une part, et la nécessité de « bricoler » dans l’accompagnement éducatif, d’autre part. Concernant cette seconde dimension, on remarque l’importance des relations interpersonnelles entre les professionnels pour « bricoler » ensemble et cela semble se faire plus ou moins en dehors du cadre de l’institution. Pour cette deuxième rencontre, les deux ateliers ont donc porté sur le thème du lien dans les relations éducatives et professionnelles. Il fut énoncé comme suit :

« Entre distance professionnelle et engagement interpersonnel,

jusqu’où va-t-on pour faire lien ? »

Nous avons décliné cette question initiale en quatre thématiques :

La première : « Peut-il y avoir relation d’aide sans personnalisation de la

relation ? Sans affectif ? Sans humanisation ? »

Il a été tout d’abord rappelé que l’Observatoire National de l’Enfance en Danger prend comme cadre de référence, la théorie de l’attachement et son pendant, la pathologie du lien. Plusieurs travaux ont d’ailleurs montré que les jeunes qui ont été accueillis dans des familles d’accueil et qui ont eu la possibilité de créer du lien, sont ceux qui s’en sortent le mieux du point de vue des trajectoires d’intégration.

La question du lien est centrale. Les enfants ont besoin que l’on s’occupe d’eux, a fortiori ceux qui sont à la Protection de l’Enfance. Les enfants ont besoin d’un adulte qui adopte une posture signifiante (Winnicott). Il est important pour eux de nourrir le lien, de retrouver les personnes avec qui ils ont partagé un temps fort. Pour ces jeunes, c’est une histoire de « rencontre » et il est parfois difficile pour le professionnel de se dégager de cette relation. L’engagement va au-delà de

105 l’institutionnel. Les jeunes, eux, ne comprennent pas la distance professionnelle. Ce qui compte, c’est la relation avec celui ou celle qui leur a témoigné de l’empathie, c’est d’être reconnu par celui ou celle qui a pu les accompagner. Les professionnels doivent avoir une certaine capacité à interagir avec les jeunes, à aller vers eux.

Dans les années 1980, le travailleur social était présenté comme un technicien de la relation, il était

censé savoir doser la relation, trouver la bonne distance. Aujourd’hui, il est davantage question de trouver la bonne proximité.

Une recherche sur les jeunes en rupture est amenée à réfléchir sur la notion d’attachement, sur le lien. Peut-on imaginer un accompagnement dans la rupture sans forcément reconstruire du lien ? À

chercher la reconstruction du lien à tout prix, n’est-on pas dans le vouloir à la place de l’autre ?

Nous sommes tous en recherche de reconnaissance. On ne peut se passer de l’affectivité dans la relation et de la nécessité de s’en servir comme outil. Quand des jeunes expriment une demande d’humanité là où il n’est pas prévu qu’elle s’exprime, comment les professionnels et les institutions réagissent-ils ? Dans quelle mesure ces situations ne présentent-elles par un risque de violence potentielle ? Les jeunes ne choisissent pas vraiment d’être en rupture ; sans doute serait-il plus juste de parler de choix contraint. Le lien humain est bien une valeur essentielle, un support indispensable au développement de l’être humain et l’objectif, la mission des structures d’aide est bien de restaurer l’humanité.

À l’opposé, certains jeunes, compte tenu d’expériences douloureuses, évitent les relations affectives qui peuvent être perçues comme un vrai danger. Certains participants expriment l’idée que les relations humaines ne sont pas forcément chargées d’affect. Reconnaître l’autre dans sa dignité, dans ce qu’il a comme ressources, capacités, potentiels ne passe pas obligatoirement par une relation affective.

Toutefois, la question centrale du point de vue du jeune semble être : « est-ce que je compte pour

toi ? »

Il ressort des échanges que le lien humain est un moteur de la relation et non un objectif en soi, qu’il consiste à favoriser la reconnaissance des personnes dans leurs potentiels avant de pointer leurs défaillances. D’où la nécessité de bien distinguer individualisation et personnalisation. L’individualisation place davantage le professionnel dans le rôle d’agent socialisateur (inculquer des normes dans la forme et la tenue du logement, dans le choix d’un emploi adapté aux capacités supposées…), alors que la personnalisation de la relation situe le professionnel dans l’acceptation d’aller vers l’inconnu, de travailler sur des parcours de « capabilités », de progresser dans son rapport à l’autre, à la cité, à la société. Reconnaître la possibilité de progresser s’oppose à l’assignation, c'est-à-dire au fait de dicter à l’individu d’être là où on lui dit d’être. La

personnalisation de la relation fait partie intégrante du travail d’accompagnement ; il s’agit de

reconnaître l’autre en tant qu’individu. Cela suppose aussi que la personne accompagnée s’approprie elle-même la démarche, que les professionnels ne pensent pas et n’agissent pas à sa place, ce qui, face à l’urgence d’insérer posée par les dispositifs, constitue une prise de risque fondamentale, mais indispensable, pour permettre à l‘individu d’être acteur de son parcours.

106 La question de la fin de l’accompagnement a également été soulevée. Il y aurait une difficulté pour les professionnels à gérer la séparation, un certain désarroi au moment d’arrêter l’accompagnement. Ce n’est peut-être d’ailleurs pas un désarroi mais plutôt une crainte. Une crainte d’enlever un soutien, un étayage au jeune, une peur de l’effondrement pour les plus fragiles si l’accompagnement s’arrête.

Quand les jeunes sont accompagnés durant une longue période il est, en outre, difficile de réduire la relation au strict mandat légal ; ils souhaitent souvent que le lien perdure au-delà du contrat initial. Dans ce contexte, il faut penser à préparer la fin de l’accompagnement (qui correspond souvent au passage à la majorité) bien en amont.

Les professionnels doivent accepter une distanciation progressive. Ils ne sont pas les parents de ces jeunes.

Un point de vigilance est cependant soulevé quant à la personnalisation de la relation : elle peut devenir périlleuse quand elle est sous-terraine, d’où l’importance de la validation et de la reconnaissance des pratiques créatives dans ce domaine par l’institution.

Le deuxième thème questionne la personnalisation de la relation comme