• Aucun résultat trouvé

Afin de mieux y répondre

2.1 Agir auprès et avec l’usager

a) La prise en compte de l’environnement élargi des jeunes

La notion de famille se limite, dans le secteur social, mais aussi dans l’inconscient collectif de notre société, majoritairement à la sphère la plus restreinte : parents/fratrie. Pourtant, quand un problème, plus ou moins important, vient en perturber le fonctionnement, le jeune concerné va souvent naturellement chercher les ressources qui lui manquent dans son environnement élargi. Il y

86 a un intérêt à favoriser cette possibilité. Pour ce faire, nous proposons d’élargir la focale des prises

en charge, de soutenir les aidants, et de travailler à la construction de compétences sociales.

L’accompagnement élargi devra ainsi mieux prendre en compte les oncles et tantes, les grands parents, les cousins… Au-delà de la famille élargie, il est nécessaire de prendre également en compte le milieu de vie, l’environnement du jeune, ses amis, d’autres jeunes ayant eu des parcours différents, ses voisins, les habitants, les associations d’anciens usagers.

L’utilisation des contrats de parrainages qui se développe au sein de l’ASE, et notamment à la SEA35, confirme l’intérêt de cette préconisation. Encore faut-il en faire évoluer le cadre pour que les parrains potentiels bénéficient d’un soutien adapté à leurs besoins. Les ressources sont donc à trouver dans le milieu du jeune, ce qui implique, pour les professionnels, une certaine mobilité : être là où sont les jeunes ; ne pas vouloir systématiquement sortir les jeunes de leur environnement, mais les accompagner à partir de là où ils sont.

L’autonomie du jeune est un des objectifs les plus importants de son parcours. Or, autonomie ne signifie pas isolement. C’est bien sa capacité à créer des liens, à trouver des soutiens qui lui permettra de se construire et d’agir en tant qu’individu dans la société.

b) Le droit à l’expérimentation et donc à l’erreur

Les jeunes, lors des entretiens, ont revendiqué le droit à l’erreur, rejoints en cela par les professionnels qui appellent de leurs vœux le droit à l’expérimentation. Chaque erreur de parcours vient fragiliser la relation éducative et risque d’engendrer la rupture. La pression de la réussite est beaucoup plus forte pour les jeunes suivis institutionnellement puisqu’elle engage souvent le maintien ou non dans un dispositif et donc le risque de rupture relationnelle avec les accompagnants, ce qui n’est pas le cas pour les jeunes qui vivent dans un milieu socio-affectif sécurisé. De leurs propres dires, cela génère une angoisse très forte à chaque nouvelle contractualisation. Beaucoup de jeunes jalousent le droit à l’erreur des « enfants normaux, qui vivent en famille » et ils le revendiquent aussi pour eux. Les professionnels les rejoignent sur ce constat et souhaitent plus de souplesse, la possibilité de faire des pauses, des allers-retours dans les suivis. En lien avec la référence personnalisée et en écho aux propos des professionnels rencontrés, nous

appelons donc à la construction de suivis sécurisés, capables de « plier sans rompre ». Ils doivent

fournir à l’usager un point d’ancrage, un repère vers lequel se retourner même après une expérience de rupture et surtout ne pas être conditionné à une réussite immédiate mais offrir, à l’usager comme au professionnel, le champ d’expérimentation incluant ce droit à l’erreur.

87

2.2 Agir sur le cadre institutionnel

En lien direct avec ce droit à l’erreur et à l’expérimentation, nous ouvrons une réflexion sur la notion de contrat et sur l’importance du sens de l’accompagnement.

a) Un vocabulaire et des outils qui doivent avoir du sens pour tout à chacun

Nous ouvrons cet axe de réflexion sur le besoin d’adapter la notion de contrat, garantie sérieuse pour les institutions mais porteuse d’autres représentations pour certains jeunes en rupture, dans l’incapacité de se projeter. Nos entretiens confirment que nous sommes loin de l’idée d’égalité et de liberté de choix des contractants, incluse dans ce concept. Le contrat utilisé lors de périodes d’échec scolaire, d’inscription dans des dispositifs, des placements, véhicule davantage l’idée de l’adaptation du jeune à l’institution, alors que, nous l’avons vu précédemment, la stratégie la plus pertinente auprès des jeunes en ruptures multiples, est de s’adapter à eux, la restauration du lien social étant un préalable indispensable à l’accompagnement éducatif. Il est préférable alors de parler de faire

alliance avec le jeune, de passer un pacte où les conditions de l’accompagnement sont à élaborer

ensemble, où l’adulte tient bon, même quand le jeune n’est pas dans le cadre prévu.

De plus, la notion de contrat impose une lecture binaire en termes de réussite ou d’échec, alors que la réalité est toujours plus nuancée. L’idée d’échec devrait être intégrée bien en amont et l’échec ne devrait pas rendre caduque le contrat car le fait d’échouer, parfois, permet d’avancer. Le sentiment d’avoir un accompagnement solide, capable d’énoncer et affronter avec lui les difficultés du parcours, sera plus sécurisant pour les jeunes qui vivent souvent la signature d’un « papier » comme une protection de l’institution contre eux-mêmes, à l’inverse de l’engagement recherché. Cet engagement de l’adulte permettra de valoriser la difficulté, qu’il ne faut pas occulter. Elle est la base sur laquelle bâtir la compréhension et donc l’appropriation de l’accompagnement.

Par ailleurs à divers endroits des entretiens menés auprès des jeunes et des professionnels, le besoin

de donner davantage de sens aux mesures d’accompagnements est apparu comme une nécessité.

Souvent ces mesures, malgré les efforts d’explication des uns et des autres, ne sont pas ou mal comprises par les usagers et leur famille. Les professionnels souhaitent pouvoir dédier une plus grande part de leur temps à la mise en place de ce travail pédagogique sur le pourquoi et le comment de l’accompagnement ; expliquant la relation aux professionnels et à l’institution ainsi que la coordination des acteurs. Il est nécessaire de travailler sa capacité à se détacher du jargon professionnel, à rendre son discours accessible, la finalité de ceci étant l’appropriation des mesures par les jeunes et leur famille.

88

b) L’innovation souhaitable et envisageable

Il a été noté que l’injonction à intégrer le plus tôt possible le monde du travail n’est plus opérante aujourd’hui au regard du contexte social. Des projets d’insertion, enrichissants et formateurs, restent cependant possibles. Nous pourrions par exemple envisager d’accompagner des jeunes dans

l’engagement bénévole, voire vers l’intégration d’ONG. Les expériences de woofing (voyage-travail)

ne sont pas réservées qu’à une certaine catégorie sociale de jeunes. Il faut mener une réflexion sur les possibilités d’adaptation de l’accompagnement pour que les jeunes suivis puissent en bénéficier.

c) Un travail partenarial efficient

Nous avons déjà pointé le fait que les jeunes qui cumulent de nombreuses ruptures dans divers domaines nécessitent le plus souvent un accompagnement de plusieurs acteurs, aucune structure n’étant en capacité de répondre seule aux problématiques multiples. Mais, si tous les acteurs rencontrés lors de cette recherche sont d’accord pour souligner l’importance de travailler ensemble, ils sont aussi unanimes pour dire que le travail partenarial ne va pas de soi. Les jeunes et les professionnels relèvent des difficultés dans le travail partenarial que nous pouvons regrouper en deux thèmes principaux : le morcellement des suivis, d’une part, et les différences culturelles des métiers et des structures, d’autre part. L’institution d’une référence unique préconisée plus haut dans cet écrit est une tentative de réponse à ce morcellement des suivis.

Les différences culturelles des métiers et des institutions avec leurs temporalités différentes sont vécues comme un frein important. Elles influent sur la communication entre structures, sur la confiance, voire sur la compréhension entre travailleurs sociaux. Elles génèrent donc un manque de cohérence dans les accompagnements.

Plusieurs professionnels ont alors suggéré d’instituer des lieux de réflexion, des lieux de paroles,

entre professionnels de divers horizons afin de décloisonner les approches et de favoriser l’interconnaissance qui est indispensable à un véritable travail partenarial efficace. Ces temps de

rencontres interinstitutionnelles permettraient de s’accorder et de clarifier les objectifs, les enjeux et la répartition des tâches. Ils offriraient également l’opportunité de bien connaître les limites de sa mission, comme celle des partenaires, et de s’appliquer à combattre les idées reçues, les représentations. Ces temps favoriseraient aussi la simplification des procédures et la mutualisation des moyens. Mais il a été bien précisé toutefois que chaque structure devait garder sa spécificité.

d) L’évaluation nécessaire

La première critique relevée concernant l’évaluation vise la prégnance de la dimension individuelle dans sa mise en œuvre. Les professionnels de tous horizons réclament une prise en compte

89 beaucoup plus importante de la dimension collective dans les accompagnements. L’acquisition de l’autonomie passe par celle de la capacité à interagir au sein d’un collectif, et par conséquent faire et être dans la société. Il faudrait donc intégrer dans la démarche d’évaluation, une dimension qui

prenne fortement en compte tout ce qui est approche collective et dynamique de groupe, ce qui

suppose de développer cette approche dans les institutions et dans les centres de formation. Il nous est apparu, au cours des travaux, capital de redonner sa place à la solidarité et à ses valeurs dans l’accompagnement éducatif.

Cette dimension collective se retrouve dans le travail interinstitutionnel qui n’est que trop peu valorisé alors qu’il est l’endroit de toutes les innovations. Les professionnels déplorent une énonciation trop parcellaire des nouveaux dispositifs, comme si chaque institution se suffisait à elle- même pour résoudre un problème donné. Or, l’expérience montre que c’est plus souvent par la combinaison de différents éléments du système que passe la réussite. Nous défendons donc avec eux cette idée de rendre plus visible, plus lisible et de communiquer sur ce qui se fait déjà : les

institutions qui permettent et qui favorisent des « bricolages lumineux ». Il faut écrire sur le travail

pluridisciplinaire, décrire ce système qui travaille ensemble et ceci passe aussi par une mise en commun de certains éléments de communication.

La seconde réflexion découle de la première : poser des indicateurs d’évaluation communs à toutes

les institutions participant à une même prise en charge. Ce point s’avère incontournable si l’on veut

pouvoir valoriser cette créativité aujourd’hui souterraine.

Une vision à trop court terme, induite par la logique de contrat, est en outre reprochée au système d’évaluation actuel. Sortir de la logique de contrat c’est également sortir de la logique de l’injonction de résultats immédiats. Il faut cependant être en mesure de proposer des contre modèles. Une vision à plus long terme devrait prendre en compte le devenir des jeunes accompagnés, au-delà du contrat

institutionnel. C’est un défi qu’il faut relever si nous voulons mieux appréhender les parcours des

jeunes dans leur globalité, et notamment les fins d’accompagnement, et enrailler ainsi les reproductions des phénomènes de rupture.

Enfin, à cause sans doute de la judiciarisation commune à bien des secteurs, l’évaluation ne prend pas suffisamment en compte la prise de risque, or sans elle, il n’y a pas d’expérimentation. Actuellement marginales et confidentielles, il est nécessaire de mettre en lumière dans les processus d’évaluation des expériences éducatives autorisant des prises de risque. Par exemple : des suivis par entretiens téléphoniques pour les fugueurs, des séjours poussant les limites physiques ou des jeunes confiés à un groupe d’artistes ambulants n’ayant pas les habilitations légales. Le caractère alternatif

90 suscite l’intérêt des professionnels car il ouvre de nouvelles perspectives, a fortiori lorsque les démarches classiques ont atteint leurs limites.

2.3 Agir sur la formation des travailleurs sociaux : enseigner la notion de lien