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Chapitre 2: RECENSION DES ÉCRITS

2.3. INSÉCURITÉ ALIMENTAIRE

2.3.3. MESURE DE L’INSÉCURITÉ ALIMENTAIRE

La mesure de l’IA représente un défi à cause de la complexité des facteurs qui lui sont associés (Webb et al., 2006), soit la disponibilité, l’accessibilité et l’utilisation des aliments (Power, 2005). Swindale et Bilinsky (2006) ne différencient pratiquement pas l’IA des ménages et le manque d’accès aux aliments. Dans le même ordre d’idées, Delisle (1995) résume l’insécurité alimentaire des ménages en un défaut d’accès à des approvisionnements alimentaires adéquats pour soutenir une vie active et saine. Selon elle, la notion d’accès aux aliments recouperait celle des disponibilités alimentaires - qualitatives et quantitatives - surtout en milieu rural, et l’accent devrait donc être mis sur l’accès économique durable aux vivres, l’adéquation continue de la consommation aux besoins nutritionnels, ou encore la sécurité alimentaire tel qu’appréciée par les individus eux-mêmes (Delisle et Shaw, 1998).

Selon Wolfe et Frongillo (2001), bien que les mesures des apports alimentaires permettent d’évaluer certains aspects de l’IA comme l’insuffisance énergétique et l’inadéquation des apports en nutriments, elles ne permettent pas d’évaluer d’autres aspects comme l’incertitude (anxiété), l’acceptabilité et la durabilité. Pour Webb et al. (2006), il n’existerait aucun outil parfait couvrant tous les aspects de l’IA.

Parmi les instruments de mesure de l’IA disponibles, Keenan et al. (2001) distingue deux grands groupes d’indicateurs: les indicateurs simples, utilisés pour mesurer la sécurité alimentaire au niveau des ménages et visant des réponses à une question simple sur l’IA des ménages, et les échelles d’IA, utilisées dans les programmes d’évaluation pour mesurer la sévérité de l’insécurité alimentaire et de la faim à des niveaux individuel et du ménage.

Parmi les indicateurs simples, on pourrait citer: 1) la question « USDA food sufficiency », soit “Laquelle des déclarations suivantes décrit le mieux la nourriture consommée dans votre ménage? (Which of the following statements best describes the food eaten in your household?); 2) la question «Expanded Food and Nutrition Education Program Evaluating/Reporting system», soit « Combien de fois vous retrouvez-vous en rupture de denrées alimentaires avant la fin du mois » ? (How often do you run out of food before the end of the month?); et 3) la question « Concern about food security» soit « Dans les trente derniers jours, avez-vous été inquiet de ne pas avoir assez de nourriture au sein de votre famille ” (In the past 30 days, have you been concerned about having enough food for you or your family?).

Parmi les échelles, les trois exemples suivants pourraient être cités. Premièrement, la « Community Childhood Hunger Identification Project (CCHIP) hunger Index » comprenant huit questions visant à déterminer si l’insuffisance alimentaire des enfants et des adultes dans le ménage serait due à des contraintes dans les ressources. Il s’agit de

compter le nombre de réponses positives aux questions et de comparer aux lignes directrices fournies. Deuxièmement, la « Radimer/Cornell measures of hunger and food insecurity », comprenant 13 items destinés à mesurer la faim et l’IA dans les ménages avec enfants. Trois niveaux sont décrits, correspondant à l’IA des ménages, l’IA et la faim chez les femmes, et la faim chez les enfants. Et troisièmement, la «US Household Food Security Scale», comprenant 18 items destinés à mesurer le niveau de sévérité de l’IA et de la faim dans des ménages). Quatre niveaux d’IA sont décrits à savoir l’état de sécurité alimentaire, l’insécurité alimentaire sans faim, l’insécurité alimentaire avec faim modérée, et l’insécurité alimentaire avec faim sévère.

D’autres outils à échelle d’IA existent. Il s’agit notamment du « US Food Security Survey Model Questionnaire » (HFSSM) développé par le département de l’Agriculture des États-Unis et comprenant 18 items permettant de mesurer l’accessibilité financière des ménages (Bickel et al., 2000). On citerait aussi le « Household Food Insecurity Access Scale » développé par FANTA, basé sur le concept que l’IA (ici, accès aux aliments) est une expérience mesurable permettant de catégoriser les ménages en fonction du niveau d’IA ou d’accès; cet outil utilise deux indicateurs complémentaires à savoir le score de diversité alimentaire des ménages et le nombre de mois couverts par un approvisionnement du ménage en vivres (Swindale et Bilinsky, 2006).

L’outil le plus largement validé pour mesurer l’IA est le HFSSM ou module d’enquête sur la sécurité alimentaire des ménages (MESAM) (Lawn et Harvey, 2003). Selon Frongillo et al. (1997), ce questionnaire de 18 items aurait une bonne spécificité et une bonne sensitivité permettant de classer les ménages en fonction de leur statut d’IA, tel que déterminé par un score dépendant du nombre de réponses affirmatives valides à chaque question (Carlson et al., 1999; Lawn et Harvey, 2003). Le HFSSM intègre les caractéristiques de la sécurité alimentaire liées à l’incapacité financière des ménages à accéder à une alimentation adéquate (Santé Canada, 2007). Cet outil a été utilisé aux

États-Unis dans le « National Health and Nutrition Examination Survey » 1999-2002, une enquête qui fournit des informations concernant la consommation d’aliments et de nutriments, des données compréhensives sur la santé, ainsi que sur les caractéristiques démographiques et socioéconomiques de la population des États-Unis. Cet outil permet de distinguer quatre niveaux d’IA à savoir: l’état de sécurité alimentaire, la sécurité alimentaire marginale, l’insécurité alimentaire sans expérience de faim et l’insécurité alimentaire avec expérience de faim (Zizza et al., 2008). A plus petite échelle, le HFSSM a été utilisé entre autres par Stuff et al. (2004) pour étudier l’association entre l’insécurité alimentaire et l’état sanitaire des adultes américains, et par Champagne et al. (2007) pour évaluer le niveau de sécurité alimentaire dans le delta du Bas-Mississipi, aux États-Unis. Ils distinguent trois niveaux de sécurité alimentaire ; il s’agit de l’état de sécurité alimentaire, ne montrant aucune évidence ou montrant une évidence mineure d’IA, l’IA sans expérience de faim, ayant une IA évidente mais avec des ajustements dans la gestion alimentaire incluant la réduction de la QA, et l’IA avec expérience de faim, où la consommation d’aliments des adultes et des enfants a été réduite à tel point qu’ils éprouvent de manière répétée des sensations physiques de faim.

Au Canada, une version modifiée de cet outil a été utilisée dans les Enquêtes sur la Santé dans les Communautés Canadiennes (ESCC), intitulé « Module d’enquête sur la sécurité alimentaire des ménages » (MESAM) (Santé Canada, 2007). Elle a été adaptée pour mesurer l’IA chez les Autochtones, notamment à Kugaaruk (Lawn et Harvey, 2003) et à Fort Severn (Lawn et Harvey, 2004).

Radimer et al. (1990) et Nord et Hopwood (2007) recommandent de mesurer séparément les dimensions de l’IA au niveau des ménages, des femmes et des enfants, car l’IA s’exprimerait différemment parmi les membres d’un même ménage. De son côté, Delisle (1998) propose d’intégrer la notion de « Sécurité alimentaire qualitative », dont les caractéristiques seraient une variété suffisante pour répondre aux besoins en divers

nutriments, un choix suffisant pour une alimentation équilibrée et une information appropriée sur les produits et leur utilisation. Coates et al. (2006) évoquent comme faiblesse dans l’opérationnalisation de l’IA, des différences culturelles et contextuelles dans la mesure de l’IA, ainsi que la difficulté à définir les phases transitionnelles entre les différents niveaux d’IA.

Power (2008) propose que lors de la conceptualisation et la mesure de la sécurité alimentaire chez les Autochtones, contrairement aux tendances actuelles, on devrait tenir compte du contexte autochtone, incluant les pratiques alimentaires traditionnelles. Ceci serait conforme au « Plan d’Action Canadien pour la Sécurité Alimentaire, 1998 » (Power, 2008), reconnaissant que le peuple autochtone endure tous ou presque tous les aspects de l’IA et que les méthodes d’acquisition des aliments traditionnels par les communautés autochtones est l’une des priorités. Selon Power (2008), cela aurait des implications sur la réussite des politiques et des programmes de santé publique visant l’IA. En effet, les aliments traditionnels constitueraient un lien entre l’environnement et la santé humaine, et la base de l’activité, de la cohésion et l’intégration sociales (Duhaime et Godmaire, 2002; Willows, 2005); ils auraient pour de nombreux autochtones, une valeur symbolique et spirituelle, centrale à l’identité personnelle et au maintien de la culture (Guyot et al., 2006). Notons que certaines études partagent déjà ces réflexions de Power, notamment celle de Lambden et al. (2007) traitant de l’accès aux aliments commerciaux et traditionnels dans l’Arctique canadien.