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Lorsque la vérité est un obstacle à l’atteinte de leur objectif, des personnes se livrent au mensonge, notamment pour se protéger ou se promouvoir, afin d’éviter ou d’obtenir quelque chose, pour protéger ou promouvoir d’autres personnes, voire pour leur nuire (Levine, Ali, Dean, Abdulla et Garcia-Ruano, 2016; Levine, Kim et Hamel, 2010; MacKinnon, 2014a). Il en est sans doute de même tant lors de procès en droit criminel que lors de procès en droit administratif, civil ou familial. En effet, bien qu’ils prêtent serment de dire la vérité, toute la vérité et rien que la vérité, des témoins se livrent au mensonge, notamment afin d’obtenir des bénéfices financiers, psychologiques ou sociaux (Fawcett, 2014). Par exemple, dans des dossiers de nature médicale, des justiciables se livrent à la simulation :

La caractéristique essentielle de la simulation est la production intentionnelle de symptômes physiques ou psychologiques inauthentiques ou grossièrement exagérés, motivés par des incitations extérieures telles qu’éviter les obligations militaires, éviter de

travailler, obtenir des compensations financières, éviter des poursuites judiciaires ou obtenir des drogues. (American Psychiatric Association, 2015, p. 947)

Bien qu’il soit impossible de déterminer exactement le pourcentage des personnes qui simulent, Mittenberg, Patton, Canyock et Condit (2002) estiment que, dépendamment de la nature des dossiers (p. ex., l’indemnisation à la suite d’une maladie, d’un acte criminel ou d’un accident de travail ou de la route), entre 8% et 30% des patients exagèreraient possiblement leurs symptômes. Un autre exemple est celui des dossiers d’agression sexuelle où environ 5% des allégations seraient fausses (Ferguson et Malouff, 2016; pour un examen critique de la littérature sur les fausses allégations d’agression sexuelle, voir Weiser, 2017), alors que, selon la croyance erronée, les fausses allégations d’agression sexuelle seraient assez courantes (Edwards, Turchik, Dardis, Reynolds et Gidycz, 2011; Gavey et Gow, 2001; Kahlor et Eastin, 2011; McGee,

O'Higgins, Garavan et Conroy, 2011; O’Hara, 2012). Par exemple, selon Ask (2010; voir aussi Allard-Gaudreau et Cyr, 2020), des policiers croient qu’environ 16% à 25% des allégations d’agression sexuelle seraient fausses.

Par ailleurs, comme Denault et Dunbar (2019; voir aussi MacKinnon, 2014a) le rappellent, lorsque la vérité est un obstacle à l’atteinte de leur objectif, les témoins intéressés, c’est-à-dire les témoins affectés financièrement, psychologiquement ou socialement par le déroulement et l’issue d’un procès, pourraient être tentés de mentir. De plus, lorsque les

inconvénients potentiels de perdre sa cause sont plus importants que les inconvénients potentiels en cas d’échec du mensonge, les témoins intéressés pourraient être encore plus tentés de mentir. De plus, des témoins désintéressés, c’est-à-dire ceux qui n’ont rien à gagner ou à perdre du déroulement et de l’issue d’un procès peuvent, eux aussi, se livrer au mensonge, par exemple s’ils

font l’objet d’intimidation, ce qui, selon Fawcett (2014), serait une importante cause des témoignages mensongers lors de procès.

Par exemple, dans des dossiers en droit criminel, des accusés et des membres de leurs familles et leurs amis peuvent tenter d’intimider des témoins. L’intimidation peut prendre la forme d’insultes et de menaces à l’endroit des témoins et des membres de leur famille et leurs amis, y compris sur les médias sociaux (Browning, 2014). Plus rarement, des témoins peuvent être agressés physiquement et leurs biens peuvent être endommagés (Connick et Davis, 1983; Fawcett, 2014; Tarling, Dowds et Budd, 2000).

L’objectif de l’intimidation peut être d’importuner les témoins, voire de les dissuader de témoigner. Toutefois, l’intimidation des témoins ne se passe pas qu’au tribunal (p. ex. dans les aires d’attente ou les salles de cour). En effet, dès que des crimes sont commis, des témoins peuvent être intimidés afin qu’ils soient dissuadés de les dénoncer aux forces de l’ordre. Par ailleurs, l’intimidation peut être en lien ou non avec un dossier spécifique. Dans certaines

communautés ou certains quartiers, l’objectif de l’intimidation peut être de créer une atmosphère visant à décourager, de façon plus générale, la collaboration avec les forces de l’ordre (Elliott, 1998; Maynard, 1994; Tarling, Dowds et Budd, 2000). Par exemple, le bureau du procureur général de Philadelphie a décrit l’intimidation comme un problème quasi épidémique dans les quartiers violents de la ville (McCorry, 2013). L’intimidation lors d’enquêtes et de procès pour des crimes graves (p. ex., le crime organisé), quant à elle, peut mener à la mise en place de programmes afin de protéger des témoins (Fyfe et McKay, 2000; Kim, 2016; Kramer, 2011; United Nations Office on Drugs and Crime, 2008).

Finalement, lors de procès, lorsqu’ils se livrent au mensonge, les témoins peuvent notamment avoir recours à la falsification et à l’omission (Green, 2001; Kane, 2007; Schwelb,

1989). Dans les deux cas, l’intention de tromper est essentielle. En effet, des témoins qui ne tiennent pas des propos exacts peuvent ne pas les tenir parce qu’ils croient à tort que leurs souvenirs sont inexacts, alors que leurs souvenirs renvoient à des évènements qu’ils ont vécus. Des témoins qui tiennent des propos inexacts peuvent les tenir parce qu’ils croient à tort que leurs souvenirs sont exacts, alors que leurs souvenirs renvoient à des évènements qu’ils n’ont pas vécus (Fawcett, 2014; Howe et Knott, 2015; Lacy et Stark, 2013). Dans ces deux cas, les témoins ne peuvent a priori être traités de menteurs6.

Par ailleurs, la falsification est sans doute le moins utilisé des stratagèmes pour mentir parce qu’il expose plus les témoins à une accusation criminelle de parjure. En effet, l’article 131(1) du Code criminel du Canada (1985) s’applique en présence d’une fausse déclaration (Denault et Dunbar, 2019; Farmer et Hancock, 2014). L’omission est sans doute le plus utilisé des stratagèmes pour mentir parce qu’il expose moins les témoins à une accusation criminelle de parjure, mais aussi parce que « adversarial adjudication encourages people actively to cover up facts that could lead to a more accurate portrayal of truth » (Sward, 1989, p. 317)7. En effet, les parties au litige ont une importante latitude afin de choisir les éléments de preuve qu’elles présentent et la façon dont elles les présentent. De plus, les parties au litige n’ont généralement pas l’obligation de dévoiler les éléments de preuve qui pourraient leur nuire. Dans le cas

contraire, les éléments de preuve exigés par la loi doivent être dévoilés (Denault et Dunbar, 2019; Strier, 1994; Summers, 1999).

6 Malgré l’absence de l’intention de tromper, les conséquences de propos inexacts peuvent être substantielles. Les erreurs d’identification de suspects, par exemple, représentent la plus importante source de condamnations erronées (Campbell, 2018; Innocence Project, 2017).

7 À ce propos, il est néanmoins possible, voire probable, que des témoins malhonnêtes se tournent davantage vers la falsification considérant que certaines omissions peuvent facilement être démasquées lors d’un contre-interrogatoire.