• Aucun résultat trouvé

Le portrait qui précède n’a rien d’encourageant pour l’amélioration de la capacité des juges à distinguer le vrai du faux lors des témoignages. Tendances comportementales des

menteurs peu fiables, nouvelles techniques pour détecter les mensonges a priori d’aucune utilité, conclusions discutables des travaux sur la détection des témoignages mensongers par les juges lors de procès et croyances sur le comportement humain dommageables. Les juges sont plutôt mal équipés pour la détection des témoignages mensongers lors de procès.

Par ailleurs, la littérature scientifique sur la détection du mensonge apparait peu informative quant à la manière dont les juges le détectent lors de véritables procès. En effet, depuis les années 1960, les chercheurs s’intéressent principalement à la détection du mensonge lors d’interrogatoires policiers reproduits en laboratoire (Granhag et Strömwall, 2004; Vrij, 2008) et les aspects pris en considération par l’importante tradition de recherche visant à trouver des indicateurs comportementaux de mensonge sont restreints :

Past theory and research on deception has been characterized by a myopic focus on the internal psychological states and corresponding nonverbal behaviors of liars and has failed to adequately consider the situation and context in which truths and lies are told. As a result, deception research has been looking for cues to deception in the wrong places and the existing literature presents a distorted view of people’s ability to correctly assess if others are lying. (Blair, Levine et Shaw, 2010, p. 423)

Par exemple, les expérimentations en laboratoire ignorent plusieurs attributs des systèmes de justice accusatoires (p. ex., les procédures judiciaires, les éléments de preuve incriminante, les déclarations assermentées, les interrogatoires, les contre-interrogatoires et les plaidoiries)

(Denault, Dunbar et Plusquellec, 2019; Denault et Jupe, 2018; Denault, Jupe, Dodier et Rochat, 2017; Leach et al., 2016; Snook, McCardle, Fahmy et House, 2017; Vrij et Turgeon, 2018).

En outre, comme Nortje et Tredoux (2018) le rappellent, « part of the problem in devising good methods for detecting deception is the absence of a sound understanding of deception in

human lives » (p. 491). Autrement dit, l’importance accordée aux expérimentations en laboratoire depuis les années 1960, aux dépens des travaux de type explicatif, analytique et descriptif

expliquerait en partie les limites de la littérature scientifique sur la détection du mensonge : Early researchers created experimental designs that appear to have excluded important types of information. Subsequent researchers systematically built upon earlier designs such that an entire literature developed around variations in a single basic design.

Although this literature has certainly advanced knowledge, this knowledge may be much more limited than it might have been. Had early studies started with descriptive work, the literature may well have progressed differently and more efficiently. (Park, Levine, McCornack, Morrison et Ferrara, 2002, p. 155)

En somme, avant de tester des hypothèses visant l’amélioration de la capacité des juges à distinguer le vrai du faux lors des témoignages, des travaux de type descriptif, analytique et explicatif s’imposent (Denault et Dunbar, 2019; Denault, Jupe, Dodier et Rochat, 2017; Rozin, 2009; Serota, Levine et Boster, 2010), et ce d’autant plus que les travaux sur la détection des témoignages mensongers par les juges lors de procès sont presque inexistants (Denault et Jupe, 2017a; Denault, Larivière, Talwar et Plusquellec, 2020; Fawcett, 2014; Vrij, 2008). En effet, comme Asch (1952) l’écrivait, « before we inquire into origins and functional relations, it is necessary to know the thing we are trying to explain » (p. 65; voir aussi Park, Levine, McCornack, Morrison et Ferrara, 2002; Rozin, 2001).

Par conséquent, en vue d’apporter des éléments de réponse à ma question de recherche, je présente un travail de type descriptif, analytique et explicatif pour observer et mieux comprendre le raisonnement ou, du moins, une partie du raisonnement par lequel des juges, en contexte naturel, en sont venus à déterminer, selon leur point de vue, que des témoins ont menti alors

qu’ils témoignaient, mais aussi pour produire des connaissances pertinentes afin de bonifier la validité écologique des expérimentations en laboratoire et de s’attaquer plus adéquatement à la problématique des mensonges lors de procès, laquelle est plutôt bien documentée, comme nous le verrons dans le prochain chapitre.

CHAPITRE 2

Problématique : Le mensonge lors de procès

Le mensonge lors de procès est une problématique assez bien documentée. Par exemple, en 1994, la Commission Mollen, mise en place par le maire de New York afin d’enquêter sur la corruption au sein des forces de l’ordre, levait le voile sur le « testilying », un euphémisme du mensonge qui, selon des policiers, serait moralement acceptable, par exemple lors de procès afin que des éléments de preuve incriminante ne soient pas exclus et que des accusés ne soient pas acquittés (Baer et Armao, 1995; Cunningham, 1999; Dorfman, 1999; Simon-Kerr, 2015). Selon la Commission Mollen (1994), « this is probably the most common form of police corruption facing the criminal justice system, particularly in connection with arrests for possession of narcotics and guns » (p. 36).

Discuté depuis des décennies (Capers, 2008; Cloud, 1994; Moran, 2018; Slobogin, 1996), le « testilying » est toujours d’actualité, malgré l’omniprésence des caméras de cellulaire et de sécurité (et des caméras corporelles des policiers). Par exemple, dans un dossier du New York Times, Goldstein (2018) mentionnait qu’à plus de 25 reprises depuis 2015, des policiers de New York auraient menti sur des aspects cruciaux de leur témoignage. Toutefois, puisque la plupart des dossiers se terminent avant un procès, après la négociation d’un plaidoyer de culpabilité, il ne s’agirait que d’une fraction des cas de « testilying » au sein des forces de l’ordre. Bien entendu, des témoins (autres que des policiers) et des avocats se livrent au mensonge (Bell, Villalobos et Davis, 2014; Fawcett, 2014).

Ainsi, dans ce deuxième chapitre de ma thèse, j’expose le mensonge lors de procès, la problématique à laquelle je souhaite m’attaquer par mon travail de recherche. Je définis d’abord le mensonge et je détaille les stratagèmes pour mentir, à la suite de quoi j’explique pourquoi et

comment des témoins et des avocats se livrent au mensonge. Il est ensuite question des

conséquences du mensonge lors de procès et de l’accusation criminelle de parjure. Je termine ce chapitre en décrivant plus en détail l’objectif de ma thèse, lequel résulte de trois constats, soit (1) que les mensonges lors de procès sont une menace substantielle au bon fonctionnement du système de justice, (2) que les mensonges lors de procès sont omniprésents, et (3) que les juges sont plutôt mal équipés pour la détection des témoignages mensongers lors de procès.