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5.1 R v Barrie, 2014 ONCJ 43 (CanLII)

5.1.2 L’analyse ventriloque

Le raisonnement ou, du moins, une partie du raisonnement par lequel le juge en est venu à déterminer, selon son point de vue, que l’accusé a menti alors qu’il témoignait est détaillé dans la cinquième section (« Analysis of Law and Facts ») (paragr. 57 à 81) du jugement R. v. Barrie (2014). Je propose donc d’analyser de façon minutieuse et approfondie les trois sous-sections, soit « A. Has the Crown proven to the degree required that the statements made by Mr. Barrie were false? » (paragr. 61 à 69), « B. Has the Crown proven that Mr. Barrie in fact knew the statements were false? » (paragr. 70) et « C. Has the Crown proven to the degree required that Mr. Barrie made the statements he did with the intention to mislead the court when he made the statements? » (paragr. 71 à 81), lesquelles sont précédées d’une introduction (paragr. 57 à 60) et suivies de la sixième section (« Summary ») (paragr. 82).

5.1.2.1 Introduction

Dans l’introduction (paragr. 57 à 60) de la cinquième section (« Analysis of Law and Facts »), afin d’établir les fondations du jugement R. v. Barrie (2014), le juge met en scène, entre autres, la présomption d’innocence et les éléments qui doivent la respecter, ainsi que la

transcription de l’enquête sur remise en liberté de l’accusé.

Dans un premier temps, un regard informé notera que le juge mobilise implicitement, mais assez clairement, la présomption d’innocence, un principe central au droit criminel et pénal :

57 The charge before the court is a criminal charge and as with all criminal offences the accused in this case Mr. Barrie is presumed to be innocent until the Crown proves his guilt beyond a reasonable doubt. The burden or onus of proving the guilt of the accused rests with the Crown and it never shifts. The accused does not have to prove his

innocence and I am to presume that he is innocent throughout my deliberations. I can only find him guilty if after I consider all of the evidence I am satisfied the Crown has proven the case beyond a reasonable doubt.

Tel qu’il appert du paragraphe 57, la présomption d’innocence est présentée par le juge comme imposant un fardeau de la preuve hors de tout doute raisonnable. De plus, la présomption d’innocence est présentée par le juge comme imposant le fardeau de la preuve à la Couronne, lequel ne peut jamais se déplacer sur les épaules de l’accusé. Autrement dit, selon le principe central au droit criminel et pénal que le juge mobilise implicitement, mais assez clairement, l’accusé n’a pas à prouver son innocence.

Par ailleurs, le juge passe d’une ventriloquie générale (ce que le principe l’enjoint de faire, de façon plus générale) à une ventriloquie spécifique (ce que le principe l’enjoint de faire, de façon plus spécifique). En effet, la présomption d’innocence est présentée par le juge comme le contraignant dans son propre jugement. Lorsqu’il déclare que « I am to presume that Mr. Barrie is innocent throughout my deliberations », le juge se met en scène (« I am to presume ») et se place lui-même sous l’injonction de la présomption d’innocence qu’il s’oblige de respecter. Il en est de même lorsqu’il déclare que « I can only find him guilty if after I consider all of the evidence I am satisfied the Crown has proven the case beyond a reasonable doubt ». Autrement dit, la présomption d’innocence est présentée par le juge comme ne l’autorisant à déclarer l’accusé coupable de parjure qu’à deux conditions, soit qu’il ait considéré toute la preuve lors du procès pour parjure et qu’il soit satisfait qu’elle ait démontré, hors de tout doute raisonnable, la culpabilité de l’accusé.

De plus, dans un tel effet de ventriloquie, un regard informé pourrait identifier la Charte canadienne des droits et libertés (1982), la Déclaration universelle des droits de l’homme (1948) et la Cour suprême du Canada. En effet, bien qu’ils ne soient pas cités intégralement dans le jugement R. v. Barrie (2014), l’article 11(d) de la première stipule que « Tout inculpé a le droit d'être présumé innocent tant qu'il n'est pas déclaré coupable, conformément à la loi, par un tribunal indépendant et impartial à l'issue d'un procès public et équitable » alors que l’article 11(1) de la deuxième stipule que « Toute personne accusée d'un acte délictueux est présumée innocente jusqu'à ce que sa culpabilité ait été légalement établie au cours d'un procès public où toutes les garanties nécessaires à sa défense lui auront été assurées ». La Cour suprême du Canada, quant à elle, détaille les modalités d’application de la présomption d’innocence, notamment que la présomption d’innocence « exige à tout le moins que, premièrement, la culpabilité soit établie hors de tout doute raisonnable et, deuxièmement, que ce soit à l'état qu'incombe la charge de la preuve » (R. c. Oakes, 1986, paragr. 32)14. Autrement dit, même si elles ne sont pas invoquées explicitement, la Cour suprême du Canada, la Déclaration universelle des droits de l’homme (1948) et la Charte canadienne des droits et libertés (1982) s’expriment implicitement, mais assez clairement, à travers le jugement R. v. Barrie (2014).

Dans un deuxième temps, le juge précise les éléments qui doivent faire l’objet d’une preuve hors de tout doute raisonnable, et qui, par conséquent, doivent respecter la présomption d’innocence :

58 In order to find Mr. Barrie guilty of the charge before the court the Crown must prove beyond a reasonable doubt the following elements :

1. That Mr. Barrie is the person who committed the alleged offence and that the offence occurred at the time and place set out in the count. These elements are acknowledged by the defence.

2. That statements made by Mr. Barrie were made under oath or solemn affirmation during the course of a judicial proceeding, ie. a bail hearing as set out in the count. Again, the defence acknowledges that this element has been proven to the degree required.

3. That the statements were in fact false and Mr. Barrie at the time he made the statements knew the statements were false.

4. That the accused intended that the false statement or statements made would mislead the court.

Comme nous le constatons, le juge rappelle l’admission de l’accusé à l’effet qu’il a témoigné lors de son enquête sur remise en liberté alors qu’il avait prêté serment de dire la vérité, toute la vérité et rien que la vérité. Autrement dit, le juge rappelle que l’accusé a admis les deux premiers éléments de la liste. Par conséquent, le juge doit considérer toute la preuve lors du procès pour parjure et être satisfait qu’elle a démontré, hors de tout doute raisonnable, les deux derniers éléments de la liste, soit que la déclaration de l’accusé était fausse, qu’il savait que sa déclaration était fausse et qu’il avait l’intention de tromper le tribunal.

Pour un regard informé, même s’il n’est pas invoqué explicitement, le Code criminel du Canada (1985) s’exprime implicitement, mais assez clairement, là aussi, à travers le jugement R. v. Barrie (2014). Le juge devient, en quelque sorte, le porte-parole du Code criminel du Canada (1985). En effet, comme je l’ai précisé plus tôt, l’article 131(1) du Code criminel du Canada (1985) prévoit les trois composantes du parjure :

131(1) ... commet un parjure quiconque fait, avec l’intention de tromper, une fausse déclaration après avoir prêté serment ou fait une affirmation solennelle, dans un affidavit, une déclaration solennelle, un témoignage écrit ou verbal devant une personne autorisée par la loi à permettre que cette déclaration soit faite devant elle, en sachant que sa déclaration est fausse.

Dans un troisième temps, le juge invoque explicitement la transcription de l’enquête sur remise en liberté de l’accusé :

59 Marked as Exhibit 1 is a transcript of the proceedings at the bail hearing conducted on April 5, 2013. During the course of that bail hearing Mr. Barrie gave evidence on his own behalf. Facts were read in by the Crown with respect to an incident on February 19, 2013 when he was charged with various highway traffic offences including drive while under suspension and resist arrest. He had been released apparently on those charges and on March 20, 2013 had been arrested for breach of recognizance as well as driving while under suspension. It appears at the time there were several charges outstanding involving Mr. Barrie and the proceeding was a reverse onus situation. 60 During that bail hearing Mr. Barrie was affirmed and gave evidence. During the course

of giving that evidence he stated while affirmed that effectively the allegations with respect to driving while under suspension relating to various dates in 2012 were erroneous and in fact on three of those occasions his twin brother had been operating his motor vehicle and on the fourth occasion it was a friend operating the motor vehicle.

Tel qu’il appert de cet extrait du jugement, la transcription permet au juge de rappeler que lors de l’enquête sur remise en liberté de l’accusé, la Couronne a affirmé, entre autres, que l’agent Edwards a arrêté l’accusé le 19 février 2013, mais qu’après l’avoir libéré le 20 mars 2013, l’accusé a été arrêté pour bris de condition et conduite avec un permis suspendu. De plus, la transcription permet au juge de rappeler que lors de son enquête sur remise en liberté, l’accusé avait le fardeau de la preuve, c’est-à-dire le fardeau de prouver que sa détention n’était pas nécessaire. En effet, comme le juge le précise, « it appears at the time there were several charges outstanding involving Mr. Barrie and the proceeding was a reverse onus situation » (paragr. 59). Une telle mise en scène n’est pas anodine. Comme nous le verrons dans la troisième sous-section « C. Has the Crown proven to the degree required that Mr. Barrie made the statements he did with the intention to mislead the court when he made the statements? » (paragr. 71 à 81), elle permettra au juge de tenter d’inférer la stratégie de l’accusé.

De plus, la transcription permet au juge de rappeler que l’accusé a déclaré, lors de son contre-interrogatoire, qu’il n’était pas le conducteur que des agents de la Waterloo Regional Police avaient arrêté le 21 août 2012, le 22 novembre 2012, le 20 décembre 2012 et le 21 décembre 2012, mais que le conducteur était un ami le 21 décembre 2012 et un frère jumeau le 21 août 2012, le 22 novembre 2012 et le 20 décembre 2012.

La prochaine partie du travail porte sur le raisonnement ou, du moins, une partie du raisonnement par lequel le juge en est venu à déterminer, selon son point de vue, que la fausseté de la déclaration de l’accusé a bel et bien été prouvée.

5.1.2.2 Fausseté de la déclaration

Dans la première sous-section « A. Has the Crown proven to the degree required that the statements made by Mr. Barrie were false? » (paragr. 61 à 69) de la cinquième section

(« Analysis of Law and Facts »), afin de prouver la fausseté de la déclaration, le juge met en scène, entre autres, les réponses de l’accusé lors de son enquête sur remise en liberté, la preuve devant être faite lors du procès pour parjure pour établir la fausseté de la déclaration de l’accusé, ainsi que des caractéristiques et des aspects des témoignages des agents de la Waterloo Regional Police.

Dans un premier temps, le juge décrit les réponses de l’accusé lors de son enquête sur remise en liberté, d’abord celles lors de son interrogatoire :

61 The problematic areas for Mr. Barrie arise as a result of statements made during the cross-examination by the Crown during the course of the bail hearing. In examination in-chief the accused had been examined very briefly by his own counsel, but during that examination he had indicated he knew “absolutely” that he was not permitted to drive a vehicle and that it was a crime to drive while under suspension. He spoke in-chief briefly about the consequences of being incarcerated, that he understood the gravity of the matters before the court and he promised to obey any conditions that might be imposed upon his release from custody. As stated earlier, the examination in-chief of

the accused at the bail hearing was brief and focused on Mr. Barrie’s acknowledgement of the seriousness of operating a vehicle while under suspension and his commitment to comply with any conditions that might be imposed upon release.

Tel qu’il appert du paragraphe 61, les réponses de l’accusé lors son interrogatoire permettent au juge de rappeler que l’accusé a tenté de prouver que sa détention n’était pas nécessaire. Plus spécifiquement, elles lui permettent de rappeler que l’accusé a tenté de prouver qu’il savait « parfaitement » (« he knew “absolutely” … ») qu’il est interdit et criminel de conduire avec un permis suspendu, qu’il comprenait (« he understood … ») la gravité des accusations de bris de condition et de conduite avec un permis suspendu et qu’il promettait (« he promised … ») de respecter les conditions de remise en liberté qui pourraient lui être imposées. Une telle mise en scène n’est pas, là aussi, anodine.

En effet, le juge semble inférer la stratégie de l’accusé de sa connaissance des interdits, de sa compréhension de la gravité de la situation et de sa promesse de respecter les conditions de remise en liberté. De plus, comme nous le verrons dans la troisième sous-section « C. Has the Crown proven to the degree required that Mr. Barrie made the statements he did with the

intention to mislead the court when he made the statements? » (paragr. 71 à 81), la connaissance, la compréhension et la promesse de l’accusé seront présentées, en quelque sorte, comme le trahissant. Autrement dit, la connaissance, la compréhension et la promesse de l’accusé

permettront au juge de tenter d’anticiper un reproche qui pourrait lui être fait par la défense quant à la pertinence des questions de la Couronne et de tenter d’inférer, là aussi, la stratégie de

Par la suite, après avoir décrit les réponses de l’accusé lors de son interrogatoire, le juge reproduit le verbatim des questions de la Couronne et des réponses de l’accusé lors son contre- interrogatoire :

62 During cross-examination he was questioned by Crown counsel as to when he had “lost his licence” and was questioned as follows in that regard:

Q: Okay. That’s fine. I don’t know how much of it you paid but in any event, on March 22, 2012 you were suspended for not paying your fines. Your licence was suspended. Right?

A: I don’t think that was the date. It’s recently I knew I was suspended. Q: Well you certainly found out you were suspended when in August, August 21 you get pulled over and you’re charged with driving under suspension. Right?

A: It’s my twin brother who was in the car. It wasn’t me. Q: Oh, it wasn’t you? A: It wasn’t me.

Q: So the cops made a mistake and they charged you. A: Yes.

Q: Right. And the same thing happened oh, your twin brother. Was that the evidence? Okay. That also happened on November 22? Also your twin brother?

A: Although the transcript indicates no audible response the tape of the hearing indicates the answer appears to have been “Yes.”

Q: And on December 20 also your twin brother? A: Yes.

Q: And on December 21 also your twin brother? A: It was a friend.

Q: Oh it was a friend on December 21?

63 The answers to these questions morphed into further questioning with respect to “the brother and the friend” and those questions and answers are set out in the transcript filed.

Tel qu’il appert de cet extrait du jugement, le juge opère un effet d’auto-effacement, typique d’une situation ventriloque, lequel permet aux questions de la Couronne et aux réponses de l’accusé lors son contre-interrogatoire d’aspirer à une certaine autonomie/objectivité. En effet,

plutôt que de les décrire, d’en parler indirectement, le juge reproduit leur verbatim, mais aussi, et peut-être surtout, l’origine de l’accusation criminelle de parjure. Tout se passe donc comme si le juge tentait de s’effacer derrière les questions de la Couronne et les réponses de l’accusé lors de son contre-interrogatoire, comme s’il les laissait parler d’elles-mêmes, dans la mesure où leur lecture, à elle seule, serait censée démontrer que la déclaration de l’accusé, qui aurait été prononcée et qui serait incriminante, a été véritablement prononcée et est véritablement incriminante.

Dans un deuxième temps, le juge rappelle la preuve devant être faite lors du procès pour parjure pour établir la fausseté de la déclaration de l’accusé :

64 The question then is has the Crown proven the statements made by Mr. Barrie as to who was actually operating the motor vehicle on the dates noted were in fact false. I find the Crown has proven this essential element well beyond a reasonable doubt. It is clear the Crown has to prove the statements were false. That does not necessarily mean that the Crown has to prove Mr. Barrie did not have a twin brother or a friend. That was one option that was approached by the calling of the evidence of the roommate, the

immigration official and the aunt. The Crown itself notes the evidence is not strong or at least may not be sufficient to satisfy the court to the degree required that Mr. Barrie does not have a twin brother although I strongly suspect he does not.

65 However, as I stated I find it was not necessary for the Crown to prove the absence of a twin brother or friend in order to show the statements were false. The Crown has also elicited evidence from various police officers and that evidence in my view clearly establishes it was Mr. Barrie who was operating the motor vehicle when it was stopped by police on the various dates set out.

Comme nous le constatons, le juge rappelle que la preuve doit démontrer, hors de tout doute raisonnable, que l’accusé était le conducteur que des agents de la Waterloo Regional Police avaient arrêté le 21 août 2012, le 22 novembre 2012, le 20 décembre 2012 et le 21 décembre 2012. Autrement dit, le juge opère un effet de progression. Il passe petit à petit d’un élément devant faire l’objet d’une preuve hors de tout doute raisonnable par la Couronne, lequel est

énoncé au paragraphe 58 (« the Crown must prove beyond a reasonable doubt … That the

statements were in fact false »), à un enjeu plus précis, un enjeu présenté comme s’il transcendait, d’une manière presque autonome, les questions de la Couronne et les réponses de l’accusé, lequel est énoncé au paragraphe 64 (« The question then is has the Crown proven the statements made by Mr. Barrie … were in fact false »). Par la suite, le juge déclare avoir trouvé que la Couronne a bel et bien prouvé la fausseté de la déclaration de l’accusé : « I find the Crown has proven this element well beyond a reasonable doubt » (paragr. 64), ce qui, par conséquent, revient à mettre en scène sa propre contribution (« I find ») à la progression du jugement.

De plus, le juge semble anticiper un reproche qui pourrait lui être fait par la défense quant à la fausseté de la déclaration : la preuve lors du procès pour parjure n’aurait pas démontré, hors de tout doute raisonnable, que l’ami et le frère jumeau n’existaient pas. De plus, le juge renforce le reproche potentiel en faisant parler la Couronne (« The Crown itself notes the evidence is not strong or at least may not be sufficient to satisfy the court to the degree required that Mr. Barrie does not have a twin brother », paragr. 64), ce qui, par conséquent, pourrait lui ajouter un poids supplémentaire. Toutefois, cela n’empêche pas le juge de se mettre en scène pour communiquer