• Aucun résultat trouvé

Bien (1) que les mensonges lors de procès soient une menace substantielle au bon

fonctionnement du système de justice, (2) que les mensonges lors de procès soient omniprésents, et (3) que les juges soient plutôt mal équipés pour la détection des témoignages mensongers lors de procès, les travaux sur la détection des témoignages mensongers par des juges lors de procès sont presque inexistants (Denault et Jupe, 2017a; Denault, Larivière, Talwar et Plusquellec, 2020; Fawcett, 2014; Vrij, 2008).

Devant un tel constat, des expérimentations en laboratoire pourraient tester des hypothèses visant l’amélioration de la capacité des juges à distinguer le vrai du faux lors des témoignages. Toutefois, tel qu’Asch (1952) le rappelle, « If there must be principles of scientific method, then surely the first to claim our attention is that one should describe phenomena

faithfully and allow them to guide the choice of problems and procedures » (p. xv). Autrement dit, avant de tester des hypothèses visant l’amélioration de la capacité des juges à distinguer le vrai du faux lors des témoignages, des travaux de type descriptif, analytique et explicatif s’imposent afin de bonifier la validité écologique des expérimentations en laboratoire et de s’attaquer plus adéquatement à la problématique des mensonges lors de procès (Denault et Dunbar, 2019; Denault, Jupe, Dodier et Rochat, 2017; Rozin, 2009; Serota, Levine et Boster, 2010).

Par conséquent, pour observer et mieux comprendre le raisonnement ou, du moins, une partie du raisonnement par lequel des juges, en contexte naturel, en sont venus à déterminer, selon leur point de vue, que des témoins ont menti alors qu’ils témoignaient, j’ai fait le choix de mobiliser l’approche ventriloque de la communication (Cooren, 2013), laquelle a été

précédemment utilisée tant en contexte organisationnel qu’en contexte juridique, mais aussi pour reconstruire la trajectoire de matérialisation d’une idée, comme nous le verrons dans le prochain chapitre.

CHAPITRE 3

Cadre théorique : L’approche ventriloque de la communication

Comme Kuhn, Ashcraft et Cooren (2017; voir aussi Cooren, 2015b) le rappellent, la manière dont les chercheurs en communication conçoivent leur objet oppose généralement deux camps. Essentiellement, nous retrouvons, d’un côté, ceux qui conçoivent la communication comme un acte de transmission et, de l’autre, ceux qui la conçoivent comme un processus de co- construction dialogique (Peters, 1999). La première conception—la communication vue comme un acte de transmission—est généralement associée au modèle mathématique de la

communication proposé par le mathématicien et ingénieur américain Claude Elwood Shannon (1948a, 1948b).

Selon ce modèle, une source d’information transmet des « messages » à un émetteur qui les code en signaux. Les signaux sont ensuite envoyés à travers un canal. Enfin, le récepteur décode les signaux et transmet les « messages » au destinataire. Autrement dit, la première conception de la communication s’intéresse essentiellement à la dimension technique de la communication. Elle ne s’intéresse pas à l’interprétation des messages ni à leurs effets que Shannon associe respectivement à la dimension sémantique et pragmatique de la communication. Même si elle a été beaucoup critiquée, la communication vue comme un acte de transmission a influencé plusieurs théories de la communication, notamment celle de Schramm (1954) où l’individu est décrit comme un interprète des messages qu’il code et décode simultanément (Nicotera, 2009).

La deuxième conception—la communication vue comme un processus de co-construction dialogique—s’intéresse plutôt à l’interprétation des messages et à leurs effets, à la manière dont les personnes co-construisent des situations en interagissant, à la manière dont le sens des mots

est à la fois négocié par des personnes qui interagissent et cadré dans un contexte social et

historique distinct. Autrement dit, le sens des mots résulte de ce qui a lieu pendant les interactions (Cooren, 2015b; Kuhn, Ashcraft et Cooren, 2017). Toutefois, la prémisse de la deuxième

conception semble être la même que celle de la première : la communication a lieu entre des personnes.

Pourtant, la communication peut aussi être conçue comme « the way by which various aspects of the world come to express themselves, more or less, in and through interaction » (Cooren, 2015b, p. 3). Autrement dit, des agents autres qu’humains (p. ex., des bâtiments, des outils, des technologies et des textes) peuvent véhiculer ou exprimer des choses (p. ex., des valeurs, des émotions, des passions et des idées) qui, à leur tour, peuvent jouer sur le

déroulement, l’issue et donc la définition même d’une situation donnée. L’approche ventriloque de la communication (Cooren, 2013) propose de les considérer. Autrement dit, elle propose d’ouvrir la « boite noire » et de décentrer l’analyse afin de prêter attention à tout ce qui semble agir et faire une différence dans une situation donnée (Cooren, 2013; Cooren et Martine, 2016).

Ainsi, dans ce troisième chapitre de ma thèse, je présente l’approche ventriloque de la communication (Cooren, 2013), une approche contemporaine d’analyse du discours s’inscrivant dans les travaux de l’École de Montréal. Plus spécifiquement, j’explique le contexte de son développement et ses caractéristiques, à la suite de quoi je rends compte de la manière dont elle a été précédemment utilisée tant en contexte organisationnel qu’en contexte juridique, mais aussi pour reconstruire la trajectoire de matérialisation d’une idée. Je termine ce chapitre en détaillant comment les usages précédents ont informé la manière dont j’ai mobilisé l’approche ventriloque dans le cadre de ma thèse afin de décrire, analyser et expliquer de façon minutieuse et

approfondie les mécanismes communicationnels sous-jacents aux déclarations de culpabilité pour parjure.