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La définition d’un mensonge peut varier d’un universitaire ou d’une discipline à l’autre. Toutefois, un mensonge renvoie généralement à une tentative intentionnelle de créer chez une ou plusieurs personnes une croyance que le menteur considère fausse (DePaulo et DePaulo, 1989; Masip, Garrido et Herrero, 2004; Vrij, 2008)4. Bien qu’elle soit empiriquement inaccessible (Galasinski, 2000), l’intention de tromper est généralement décrite comme l’élément central du mensonge (Mahon, 2008; Stel, van’t Veer et Hartgerink, 2014). Autrement dit, lorsque des personnes n’ayant pas l’intention de tromper leur interlocuteur tiennent des propos inexacts parce qu’elles croient à tort que leurs souvenirs sont exacts ou ne tiennent pas des propos exacts parce qu’elles croient à tort que leurs souvenirs sont inexacts, elles ne peuvent a priori être traitées de menteurs. À ce propos, rappelons qu’un mensonge peut être verbal (p. ex., tenir des propos inexacts ou ne pas tenir des propos exacts) ou non verbal (p. ex., neutraliser ou masquer des émotions que des menteurs éprouvent ou exhiber des émotions qu’ils n’éprouvent pas) (Masip, Garrido et Herrero, 2004).

4 Comme nous le verrons dans la Section 2.5, des composantes d’un mensonge, d’un point de vue scientifique, ont des similarités à celles d’un point de vue juridique, par exemple la deuxième et à la troisième composante du parjure, soit la connaissance de la fausseté et l’intention de tromper (Code criminel du Canada, 1985; Galasinski, 2000; pour un examen critique de ces similarités, voir Douglis, 2017).

La définition des stratagèmes pour mentir, comme celle d’un mensonge, peut varier d’un universitaire ou d’une discipline à l’autre. Par exemple, comme MacKinnon (2014b) le rappelle, diffuser de l’information que les menteurs croient inexacte (falsification) et ne pas diffuser de l’information qu’ils croient exacte (omission) sont les stratagèmes pour mentir les plus évidents. Dans les deux cas, l’intention de tromper est essentielle. Les menteurs peuvent, bien entendu, avoir recours à la fois à la falsification et à l’omission (Masip, Garrido et Herrero, 2004). Hormis la falsification et l’omission, Galasinzki (2000) suggère que des menteurs peuvent tenter

d’exagérer ou d’atténuer la portée de certains faits, par exemple en donnant plus ou moins d’information que ce qui est requis. De plus, les menteurs peuvent sortir des mots de leur contexte ou avoir recours à l’évasion, c’est-à-dire prétendre que leur réponse répond à une question alors qu’elle ne lui répond pas. McCornack (1992; voir aussi McCornack, Morrison, Paik, Wisner et Zhu, 2014) a suggéré un cadre conceptuel basé sur le principe de coopération de Grice (1975) qui permet de rendre compte des stratagèmes pour mentir : l’Information

Manipulation Theory (IMT; pour un examen critique de ce cadre conceptuel, voir Galasinzki, 2000) .

Essentiellement, selon Grice (1975), toute interaction repose a priori sur le respect des maximes conversationnelles de quantité, de qualité, de relation et de manière. Lorsque des énonciations violent de manière flagrante l’une ou l’autre de ces maximes, leur signification sera d’ordinaire déduite en fonction des attentes quant à la quantité, la véracité (qualité) et la

pertinence (relation) de l’information qu’elles devraient offrir (p. ex., à l’égard des propos

antérieurs) et quant à la manière dont les énonciations devraient être produits, notamment quant à leur degré d’ambiguïté5. Toutefois, lorsque des énonciations « quietly and unostentatiously

5 Par exemple, lorsqu’un individu affirme qu’il va à la banque après s’être fait demander s’il a de l’argent comptant, le principe de coopération de Grice (1975) permet d’inférer que l’individu n’en n’a pas (Davies, 2007).

violate a maxim » (Grice, 1975, p. 49), elles peuvent a priori être qualifiées de mensongères. Comme McCornack (1992) le precise,

The production and presentation of messages that are deceptive can be considered a phenomenon in which speakers exploit the belief on the part of listeners that they (i.e., speakers) are adhering to the principles governing cooperative exchanges. Deceptive messages are “deceptive” in that, while they constitute deviations from the principles underlying conversational understanding, they remain covert deviations. Listeners are misled by their belief that speakers are functioning in a cooperative fashion (i.e., actually adhering to the maxims). (p. 6)

Par exemple, selon la IMT, la falsification est une violation de la maxime de qualité et l’omission est une violation de la maxime de quantité, comme lorsque les menteurs donnent plus ou moins d’information que ce qui est requis. La maxime de relation peut être violée en sortant des mots de leur contexte ou en ayant recours à l’évasion (Clementson, 2018; Galasinski, 2000; Masip, Garrido et Herrero, 2004; McCornack, 1992). La maxime de manière, quant à elle, peut être violée par des propos volontairement imprécis (« equivocation »; Bavelas, Black, Chovil et Mullett, 1990; Burgoon, Buller, Guerrero, Afifi et Feldman, 1996) ou techniquement vrais (« paltering »; Rogers, Zeckhauser, Gino, Norton et Schweitzer, 2017; Pennebaker, 2011).

Par exemple, lors de son entrevue avec le journaliste américain Jim Lehrer (1998) au sujet de l’affaire Monica Lewinsky, Bill Clinton a utilisé des propos techniquement vrais :

Lehrer: No improper relationship. Define what you mean by that.

Clinton: Well, I think you know what it means. It means that there is not a sexual relationship, an improper sexual relationship, or any other kind of improper relationship.

Lehrer: You had no sexual relationship with this young woman? Clinton: There is not a sexual relationship. That is accurate.

Comme Rogers, Zeckhauser, Gino, Norton et Schweitzer (2017) le rappellent, Clinton avait eu une relation sexuelle avec Lewinski qui s’était terminée des mois auparavant. Il n’en avait pas au moment de l’entrevue (« There is not… »). Toutefois, bien que techniquement vrais, les propos de Clinton ont amené plusieurs téléspectateurs à conclure que Clinton n’avait pas eu une relation sexuelle avec Lewinski. En somme, tant lors de procès en droit criminel que lors de procès en droit administratif, civil ou familial, le mensonge peut contribuer à la mise en place de trames narratives qui embrouillent les faits que les juges devraient connaitre afin d’appliquer adéquatement le droit (Frankel, 1975; Gerber, 1987; Strier, 1994).