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SUR L’INTERET GENERAL

A. L ES APPRENTISSAGES DE LA TERRITORIALISATION

1. A MENAGEMENT DU TERRITOIRE

ET DEVELOPPEMENT DES TERRITOIRES

La thématique de l’aménagement du territoire occupe une place particulière en France dans la mesure où elle évoque une période de croissance et de modernisation qui marque les fondations intellectuelles de la Vème République. Le modèle n’a pas vraiment d’équivalent en Europe, jusque dans la terminologie

aménagiste qui ne possède pas de traduction satisfaisante dans les pays voisins. Des stigmates de cet élan réformateur singulier se répercutent même dans les structures de recherche en sciences sociales : c’est ainsi par exemple que le premier laboratoire de recherche de l’Institut d’Etudes Politiques de Grenoble, le CERAT, a été créé dans les années 60 pour étudier la modernité publique potentiellement incarnée par la politique d’aménagement du territoire initiée par la DATAR. Quarante ans plus tard, ces liaisons dangereuses entre le savoir et le pouvoir restent d’actualité lorsque l’Institut d’Etudes Politiques de Paris crée un Institut des Hautes Etudes en Aménagement du Territoire (et ce alors même que le Commissariat au Plan est marginalisé et que l’Union européenne refuse sans ambiguïté le modèle polycentrique proposé par la DATAR à grand renfort d’expertises universitaires…). La thématique de l’aménagement du territoire permet sans doute de mesurer l’étonnante permanence de la conception territoriale de l’action publique dans les cercles gouvernementaux et intellectuels en France. Elle nous informe en même temps sur le fossé qui se creuse avec la problématique européenne du développement des régions et des grandes villes. Ce grand écart idéologique est riche en enseignements dans la mesure où il permet de mieux comprendre les problèmes de déphasage que la lecture républicaine entraîne sur la question territoriale. Un bref retour sur des recherches que nous avons menées ces dernières années dans ce domaine permet d’avancer quatre propositions.

Premièrement, l’État ne parvient plus à produire du sens sur la question de l’aménagement du territoire. L’analyse de la consultation nationale engagée en 1994 par le ministre de l’Intérieur pour dessiner la France de demain et relancer la politique d’aménagement du territoire met par exemple en évidence une démarche d’écoute et d’échange qui débouche sur des messages controversés et brouillés5. Au terme de trois mois de suivi des colloques universitaires et des réunions publiques décentralisées en Rhône-Alpes, nous avons pu dresser un bilan soulignant combien le retour de l’État aménageur butait sur des problèmes non résolus d’interministérialité et de stratégie territoriale. Nous retiendrons de ces

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Faure (A), mars 1996, “ L'aménagement du territoire en débats. Vers un nouveau compromis entre l'État et les collectivités locales ? ”, Annales des Ponts-et-Chaussées, n° 77, p. 10-16

travaux d’une part que les administrations ne parviennent à poser un problème que de façon sectorielle et professionnalisée, et d’autre part que l’État ne semble plus en mesure de produire une philosophie globale d’action, même lorsque les collectivités locales sont explicitement dans l’attente de cadres d’interprétation, principalement sur leurs marges de manœuvre pour les dossiers sensibles de concurrence avec les territoires voisins.

Deuxièmement, les deux lois sur l’aménagement du territoire votées successivement par une majorité de droite et par une majorité de gauche (en 1994 et en 1999) produisent une pensée d’État qui achoppe à chaque fois sur des diagnostics européens pour le moins divergents6. Les financements européens concernent des territoires de projet là où le modèle français continue à raisonner en entités administratives et en secteurs d’activités. À titre d’exemple, la réforme agricole consacrée aux contrats territoriaux d’exploitation illustre le malentendu profond qui sépare la France des autres pays membres de l’Union européenne. Jusque sur les termes utilisés dans la loi, la conception française du territoire reste toujours attachée aux conditions catégorielles de localisation des activités, sur l’idée bien française qu’un accord n’existe que s’il énonce des négociations engagées entre une profession et un grand corps administratif.

Troisièmement, l’action publique reste appréhendée à partir de schémas d’essence nationale qui confèrent aux régions une fonction de médiation mal ajustée avec les priorités nationales. L’expertise que nous avons réalisée pour la DATAR sur le schéma des services collectifs culturels7 montre par exemple le contraste saisissant qui oppose d’un côté les plaidoyers d’excellence avancés par le ministère de la Culture et ses directions régionales, et de l’autre les appels à l’expérimentation et à la différenciation formulés unanimement par les acteurs de terrain (professionnels, collectivités, associations).

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Faure (A), 1999, “ Réformes en cours et indices de territorialité. Vers une action publique plus subsidiaire ? ”, Montagnes

Méditerranéennes, n° 9, p. 17-21

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Quatrièmement enfin, la focalisation des lois sur le nouvel échelon administratif du pays rural conforte l’impression anachronique de l’exception française en matière d’aménagement. Nos recherches sur les politiques du développement rural8 ont montré que le discours sur les pays superposait depuis quarante ans plusieurs visions du monde (le militantisme identitaire, le référentiel du développement local, la communication territoriale…). Sous couvert de performance et d’aménagement du territoire, le gouvernement a durablement brouillé ce mouvement d’apprentissage en réduisant la dynamique des pays aux seules négociations politiques et techniques inscrites dans le maillage administratif que la loi suggère.

2. L

ES RECONCILIATIONS CULTURELLES