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Le meilleur intérêt de l’enfant : points de convergence et de divergence entre les

3. Examen critique de la littérature

3.4 Protection de la jeunesse et intervention interculturelle

3.4.2 Le meilleur intérêt de l’enfant : points de convergence et de divergence entre les

Il existe une multitude de variantes quant aux manières d’élever un enfant dans le monde ainsi que des différences culturelles dans la compréhension, l’acceptabilité et la désirabilité de certaines tâches et comportements liés à l’exercice du rôle parental (Hassan et Rousseau, 2007; Maiter, Alaggia et Trocmé, 2004; Raman et Hodes, 2012; Rivlis, 1998). Il est donc attendu que les familles immigrantes amènent avec elles des pratiques parentales et des croyances relatives à l’éducation des enfants qui peuvent différer, voire entrer en conflit avec les lois et pratiques locales (Chand et Thoburn, 2006; Hughes, 2006; Korbin, 2002; Maiter et al., 2004). Au Québec, la LPJ reflète une certaine définition des notions de maltraitance et « d’intérêt supérieur de l’enfant » (Chamberland et Clément, 2009; Christensen, 1989). Depuis son instauration, elle a été amendée à trois reprises, intégrant notamment les notions de mauvais traitements psychologiques et de risque de maltraitance. Ces changements témoignent de la nature évolutive de notre conception de la protection de la jeunesse et rendent compte de la possibilité d’une construction sociale de la maltraitance qui est définie différemment à travers les cultures, les sociétés et les époques. Conséquemment, un des enjeux majeurs de l’évaluation en contexte interculturel en protection de la jeunesse est d’interpréter de manière juste les actes parentaux et de juger leurs conséquences sur les enfants en tenant pour acquis que, dans la majorité des cas, l’intervenant et l’usager ne partagent pas le même bagage culturel (Hill, 2004; Miller et al., 2012).

Les professionnelles qui sont appelées à évaluer les situations de maltraitance appartiennent elles-mêmes à un contexte socioculturel qui porte son lot d’idées préconçues quant à la façon d’élever un enfant. Dans leur recherche, Chan, Elliott, Chow et Thomas (2002) n’ont trouvé aucune preuve que les professionnelles appelées à intervenir auprès des familles en protection de l’enfance diffèrent du public en général dans leurs perceptions d’un grand nombre de manifestations d’abus et de négligence. Comme l’indiquent les auteurs, « les professionnelles sont des membres de leur culture et il est nécessaire que leur travail tienne compte des aspects implicites et explicites associés à ces connaissances culturelles, mais c’est aussi leur devoir d’être sensibilisés aux possibles changements se répercutant sur ces connaissances » (traduction

libre, Chan et al., 2002, p. 377). Le manque de consensus, surtout en ce qui a trait aux formes les moins graves de maltraitance, pose problème pour les familles qui sont signalées et évaluées, car il y a risque qu’une intervention soit basée sur une vision étroite, voire biaisée sur la façon appropriée d’élever ou de corriger un enfant.

S’il n’existe pas de consensus par rapport aux standards associés à l’éducation des enfants ni même par rapport aux définitions de la maltraitance, il est difficile d’adopter une perspective interculturelle dans la reconnaissance de l’abus ou de la négligence dans le cas d’enfants racisés (Raman et Hodes, 2012). D’une part, le manque de perspective interculturelle peut contribuer à ce que la vision et les valeurs culturelles propres au groupe dominant servent de base aux décisions des professionnelles. En ce sens, certains auteurs affirment que les différences dans la façon d’élever les enfants de certaines familles racisées sont souvent pathologisées et dévalorisées par les professionnelles (Chand, 2000; Dominelli, 2002). De l’autre, certains auteurs mettent en garde contre une lecture culturaliste des formes de maltraitance pouvant résulter en des manquements au devoir de protéger des enfants maltraités ou en un traitement différentiel non justifié (Korbin, 2002; Webb, Maddocks et Bongilli, 2002). Ainsi, les approches culturalistes peuvent mener à un double standard, notamment si les professionnelles manquent de connaissances sur les aspects culturels ou religieux et par cela se sentent moins légitimées de poser un jugement (Webb et al., 2002).

Bien qu’il y ait toujours débat autour de la définition et la reconnaissance de ce qui constitue une conduite inacceptable, les formes extrêmes d’inconduite parentale telles que l’abus physique, sexuel et psychologique ainsi que la négligence envers les enfants se heurtent dans l’ensemble des cultures à la réprobation sociale et même légale (Ferrari, 2002; Fontes, 2002; Maiter et al., 2004; Maiter et Stalker, 2011). Par exemple, l’utilisation de vignettes cliniques a permis de démontrer qu’il n’y avait pas de différence significative entre des parents d’héritages culturels variés dans leur évaluation de la sévérité de situations d’abus (Ferrari, 2002). Une étude en contexte canadien a aussi démontré que les familles sud-asiatiques jugeaient les situations d’abus et de négligence de manière très similaire à celle établie dans la loi (Maiter et al., 2004). Ainsi, la considération des particularités interculturelles ne vise pas à remettre en doute la légitimité de l’intervention de la DPJ chez les familles racisées. La maltraitance infantile est

sérieuse et dramatique, peu importe l’origine des victimes ou des agresseurs. La protection des enfants les plus vulnérables d’une société renvoie à des conceptions éthiques de la justice qu’il est important de mettre de l’avant dans la recherche de sens associée à l’évaluation en contexte interculturel (Keddell, 2014). Par contre, la normativité de l’intervention sociale, pensée et menée par des membres du groupe dominant et qui plus est, dans un contexte d’autorité, impose certaines réflexions pour assurer une intervention juste pour tous les usagers, qu’ils soient racisés ou non.

3.4.2.1 Barrières de communication avec les familles immigrantes

Un des aspects fréquemment mentionnés comme affectant la relation entre les professionnelles et les familles racisées concerne les barrières de communication (Chand, 2000; Maiter et Stalker, 2011; Maiter, Stalker et Alaggia, 2009; Webb et al., 2002). Ces situations d’incompréhension créent une série de difficultés qui nécessitent du même coup de nouvelles prises de décision d’un point de vue clinique. À titre d’exemple, les professionnelles doivent décider si et quand recourir à un interprète ; quand accepter qu’un enfant traduise pour son parent ; comment gérer l’anxiété supplémentaire et la relation triangulaire créées par la présence de l’interprète, etc. Chand (2000) soulève d’ailleurs que les professionnelles se sentent souvent contraintes dans les situations où un interprète est nécessaire parce que cela crée une entrave à leur principal moyen d’intervention : l’échange au moyen du langage. Cet inconfort est augmenté lorsque l’on considère tous les facteurs de stress associés au contact avec la DPJ en contexte d’acculturation et d’immigration.

3.4.2.2 Barrières structurelles qui affectent les familles racisées

Outre les enjeux de communication, l’évaluation des enfants racisés est aussi influencée par des aspects qui agissent en amont et par-delà les services de PJ : les barrières structurelles et à l’intégration des personnes racisées. Ces barrières agissent de façon indépendante, mais non moins directement sur les déterminants évoqués précédemment comme étant associés à la prise en charge par les services de protection de la jeunesse (Bywaters et al., 2015; Dettlaff et Earner, 2012; Eid et al., 2011; Maiter et al., 2009). Elles renvoient aux obstacles et aux frontières dans

la structure sociale et politique du pays d’accueil qui empêchent les personnes racisées d’accéder aux mêmes ressources que celles des groupes majoritaires (Mullaly, 2010). D’un point de vue individuel et familial, l’ « érosion des ressources » (Maiter et al., 2009) associée au contexte migratoire, c’est-à-dire la perte des liens familiaux traditionnels, la déqualification professionnelle et sociale des parents, les barrières linguistiques, la pauvreté, la précarité socioéconomique et le racisme créent un impact direct sur les conditions matérielles des familles, mais aussi un impact indirect via les stress et dispositions affectives des parents qui contreviennent à leur capacité à prendre soin de leurs enfants (Bywaters et al., 2015; Euser et al., 2011; Maiter et al., 2009). À titre d’exemple, dans une étude visant à comprendre la perception des facteurs qui contribuent à la mise en contact avec les services de PJ, les parents racisés interrogés ont parlé du manque de soutien et de leur solitude, des impacts de l’insécurité financière et de l’accumulation d’emplois précaires, de la difficulté à apprendre la langue commune et, enfin, du sentiment de trahison ainsi que de la perte d’espoir associés à l’installation au Canada (Maiter et al., 2009). Ce que les auteurs invitent à retenir de ces thèmes est que les professionnelles et les agences de protection de l’enfance doivent développer une sensibilité à l’impact de ces facteurs de stress sur les familles immigrantes et mettre l’accent sur une pluralité de méthodes pour soutenir les familles dans la spirale de pertes qui y est associée. Pourtant, plusieurs études qualitatives ont démontré que les professionnelles des services de protection de la jeunesse tenaient peu ou pas compte de ces pertes dans leur évaluation de la situation des familles racisées (Clarke, 2011; Maiter et al., 2009; Miller et al., 2013;). Sans entrer dans une critique étendue des enjeux liés aux barrières structurelles et au rôle que jouent les services de PJ face à elles, cette section vise à mettre en lumière l’importance des enjeux liés à l’intégration et aux inégalités structurelles de la société, lesquelles créent des torts aux enfants et aux familles racisées. Que ces barrières soient la cause ou la conséquence de la maltraitance est l’objet d’autres intérêts, mais il convient de les considérer de façon critique dans la réflexion entourant les processus de prise de décision.

3.4.2.3 Particularités physiques et culturelles des enfants racisés

Enfin, des aspects plus techniques et éthiques associés à l’évaluation peuvent poser problème pour les professionnelles. Certains facteurs distinctifs associés aux marques et aux formes de maltraitance peuvent influencer les processus de prise de décision des professionnelles auprès

des enfants et familles racisées (Lamboley, Jimenez, Cousineau et Wemmers, 2013; Webb et al., 2002). Les caractéristiques physiques des enfants racisés, entre autres la question des marques physiques sur une peau noire et la difficulté pour certaines professionnelles à identifier les ecchymoses sur ces enfants, ont été relevées comme interférant avec le processus de prise de décision (Webb et al., 2002). Certains auteurs ont aussi indiqué les enjeux associés à l’excision, aux mutilations génitales féminines, aux mariages forcés, aux soins et au traitement culturel chez certaines familles immigrantes des enfants handicapés ou ayant des problèmes de santé mentale, lesquels soulèvent des problèmes éthiques et physiques particuliers (Hassan et al., 2011; Lamboley et al., 2013; Webb et al., 2002). Selon les auteurs, tous ces aspects peuvent complexifier les jugements cliniques pour les professionnelles issues du groupe majoritaire.

3.5 LPJ, interculturel et prises de décision : beaucoup de questions

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