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5. Résultats — Chapitre 1

5.3 La forme de maltraitance mise en cause

5.3.2 Les méthodes éducatives inadéquates

En contraste avec les processus d’évaluation associés aux cas soupçonnés de VBH, les situations impliquant des méthodes éducatives déraisonnables ont semblé nettement moins sensibles et assez faciles à évaluer au dire des intervenantes rencontrées. Pour expliquer cette différence, elles évoquent entre autres le motif derrière cette forme de maltraitance. En effet, les professionnelles mentionnent que, bien que leurs façons de faire soient inappropriées, les parents qui utilisent la punition corporelle agissent dans le but d’éduquer et non de terroriser leurs enfants. Cette distinction fondamentale, d’ailleurs inscrite dans la LPJ, conduit à un processus d’évaluation au cœur duquel le questionnement sur l’intention du parent est central, comme en témoigne l’extrait qui suit :

Parce que c’est clair qu’un coup de ceinturon, ça a un impact au niveau de la sécurité et du développement de l’enfant. Sauf que je trouve que ce qui fait la différence, c’est si l’intention n’est pas de faire mal ou blesser. Si c’est vraiment dans un but éducatif. L’idée, c’est rapidement de pouvoir outiller la maman pour, éventuellement, fermer le dossier. Avec des engagements que ça ne se reproduira pas… (Julia)

Les analyses ont révélé que, chez les professionnelles, ces situations mènent généralement à des prises de décision similaires, soit de ne pas retenir le cas pour une application de mesures. De fait, ces situations sont souvent résolues par une intervention dite « terminale », laquelle consiste à mettre en place des services éducatifs pour soutenir les parents dans l’adoption de méthodes

éducatives alternatives. Par ailleurs, la fréquence de ce genre de situation dans les services de la PJ a permis de développer un certain sentiment d’expertise qui émerge du discours des professionnelles, qui semblent en mesure de déployer rapidement les bonnes ressources pour arriver aux termes de leur intervention. Dans l’extrait qui suit, Stéphanie raconte le déroulement typique de ce type d’évaluation et l’habitude qu’elle en a prise :

C’est sûr qu’on voit beaucoup de méthodes éducatives inadéquates. Ça, on en rencontre beaucoup en interculturel. Je les fais souvent avec une intervention IRI justement ou en intervention terminale. Alors, soit c’est une fermeture… la majorité, la grosse majorité s’aligne vers une fermeture ou vers une intervention terminale. C’est souvent une difficulté d’adaptation [qui en est la cause]. (Stéphanie)

L’intervenante fait référence à des interventions qui permettront d’orienter les familles racisées vers des ressources communautaires. Elle fait aussi allusion à la difficulté d’adaptation qui peut expliquer l’origine de ces comportements, laquelle est d’ailleurs explicitement associée au contexte culturel dans l’extrait qui suit :

Intervenante : Par exemple, dans des situations d’abus physiques ou de méthodes éducatives déraisonnables, il y a beaucoup de choses, de facteurs [tels que] « Ouais, mais dans leur culture, c’est accepté. » Alors, on a fait une intervention et ils ont trouvé d’autres moyens. Versus les Québécois, de dire : « Bien là, vous le savez… » Tu sais, c’est peut-être qu’on donne une chance de plus. Peut-être qu’on est plus tolérants, qu’on est plus [hésitation] pas « tolérants », là, mais… Moi je sais, dans mon expérience, il y a moins de dossiers de familles qui viennent d’autres cultures, des nouveaux arrivants, peu importe, que je vais transférer à l’application des mesures…

M.-J. : Dans les méthodes éducatives déraisonnables ?

I. : Oui, oui. Je vais plus faire une intervention. Par exemple, mettre un éducateur dans le milieu pour que le parent apprenne vraiment, puis je vais transférer ça soit au CLSC, soit dans des organismes communautaires. (Audrey)

L’ensemble des extraits présentés dans cette partie rend compte de la spécificité de ces situations, notamment en ce qui a trait à l’aspect éducatif de l’intervention des professionnelles. La récurrence de situations semblables a permis de développer des astuces d’évaluation et une compréhension fine des enjeux liés aux méthodes éducatives des parents. Ces facteurs ont paru contribuer à la mise en place de processus de prise de décision rapides et efficaces, lesquels tiennent compte du caractère particulier des familles racisées. La particularité de cette forme de

maltraitance en contexte interculturel combinée à des repères d’évaluation clairs et bien maîtrisés permet aux professionnelles de dégager rapidement sans trop d’ambiguïté le contexte du signalement, comme cela est clairement expliqué dans l’extrait qui suit :

C’est la même loi et les mêmes critères, mais le contexte est différent. […] On a des critères dans la loi. Mettons des abus physiques : il y a des niveaux d’abus physiques. Il y a comme des méthodes éducatives déraisonnables, des sévices corporels et… C’est-à-dire, si c’est une tape et que ça rentre dans un objectif de corriger l’enfant, de mettre fin à un comportement, c’est des « méthodes éducatives ». Ça, ça ne change pas. Mais le contexte qui est alentour de ça, oui. Si c’est une famille québécoise, que les parents se sont fait corriger par les tapes, que toutes les cousines donnent des tapes… ça va être différent. Et si c’est dans la culture, mettons, dans la culture de taper avec le ceinturon et que, pour eux, c’est aussi anodin, corriger avec le ceinturon, que de corriger avec une tape sur les fesses, alors ça va changer la donne. Ça ne sera pas des « sévices corporels », le coup de ceinturon, ça va être une méthode éducative. Parce que ça n’a pas l’objectif de provoquer des douleurs ou provoquer de la souffrance. Non, c’est une méthode éducative. Alors que le ceinturon utilisé par un Québécois dans l’objectif de faire mal, là, ça peut en être [des sévices corporels]… Alors, ça dépend tout le temps du contexte. Ça dépend… (Annie)

Il semble donc qu’une partie de la justification associée à la décision soit basée sur les racines dites « culturelles » de certaines méthodes éducatives inadéquates. Dans l’extrait, Annie prend soin de préciser que le contexte entourant le recours au ceinturon mais aussi l’intention du parent vont déterminer la gravité de l’acte et la réponse des professionnelles. Dans son exemple, elle compare l’utilisation du ceinturon dans des familles où cette pratique est culturellement transmise par rapport à d’autres issues d’une culture où cette pratique n’est pas courante. La réponse des professionnelles sera différente selon l’histoire et le contexte qui sous-tendent les gestes du parent. Plusieurs ont fait référence à un niveau de « tolérance » différent entre les familles racisées et les familles du groupe majoritaire, dites « de souche », notamment dans les deux extraits précédents et dans celui-ci :

Intervenante : Je te dirais que, parfois, on est un petit peu plus tolérant. Par exemple, à la violence physique, je te dirais que c’est plus au niveau des tapes ; au niveau des conséquences, par exemple, une heure dans le coin à genoux. Tu sais, c’est sûr qu’on dirait que chez les Québécois, ça va peut-être plus nous sonner des cloches, mais on dirait qu’avec eux, ça fait partie de leur culture, et tout. C’est plus au niveau des apprentissages qu’il faut aller travailler avec eux, leur expliquer un peu les impacts parce que, pour eux, c’est pas quelque chose avec quoi ils ont [un problème]… Mais c’est sûr que, par exemple, le ceinturon… c’est quelque chose qu’on va plus aller

modeler, qu’on va plus aller travailler avec eux. Leur expliquer, tout ça, mais souvent, la transmission étant générationnelle…

M.-J. : Tu parles d’une plus grande tolérance. Peux-tu m’expliquer ce que tu entends, en fait, par plus grande tolérance ?

I. : Bien, « plus grande tolérance » dans le sens que… ça se pourrait que je travaille plus au niveau du modeling… que je fasse un petit peu plus d’intervention que dans une famille qui soit plus québécoise, où on va en faire aussi, mais tu sais, on ne partira pas d’aussi loin. (Sandrine)

Dans l’extrait, il y a possiblement une confusion entre la notion de tolérance et celle de contextualisation. Mais une chose est certaine, de manière globale, le discours des professionnelles en ce qui a trait à leur travail dans des situations de méthodes éducatives inadéquates témoigne d’une aisance liée à la nature de cette forme de maltraitance, à l’expertise développée à l’interne ainsi qu’aux ressources disponibles pour soutenir la mise en place d’interventions éducatives. La contextualisation des gestes du parent au regard de pratiques culturellement acceptées ou non pave la voie à des interventions qui visent à modifier les méthodes disciplinaires inadéquates. À terme, cette contextualisation et cette lecture culturelle de la situation ont semblé permettre d’éviter une prise en charge formelle par les services de la protection de la jeunesse.

5.3.3 La négligence, les mauvais traitements psychologiques et les troubles

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