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5. Résultats — Chapitre 1

5.4 Les attitudes des professionnelles et des familles racisées

5.4.1 Les attitudes des familles

Les familles qui collaborent ont été dépeintes par les professionnelles interviewées comme adhérant au processus et témoignant d’un certain niveau de volontarisme dans les procédures associées à la prise de décision. Concrètement, la collaboration de ces familles se traduit par une reconnaissance des faits allégués, par une inclination à répondre positivement aux propositions ou demandes de l’intervenante et parfois même, comme dans l’extrait qui suit, par l’aveu du bienfait de l’intervention de la PJ :

[Il y a des parents] qui m’ont dit « merci beaucoup » et qui m’ont serré la main en disant : « Je suis désolé, ça n’a pas vraiment été facile pour vous, parce que voilà j’étais résistant, parce que voilà j’étais méfiant… Mais aujourd’hui, je vois comment ça a fait du bien dans ma vie, pour mon enfant et je vous en remercie ». (Marie)

Dans cet extrait, le parent témoigne de sa gratitude face à l’intervention et s’excuse en plus pour sa résistance au début du processus. Cette reconnaissance des bienfaits de l’évaluation est un cas rare dans les expériences rapportées par les professionnelles interviewées, mais rend compte de la possible évolution d’une attitude de résistance vers une attitude de collaboration. Les intervenantes ont aussi expliqué que la collaboration des parents les rassurait, puisqu’elle leur permet de jauger le risque de récidive et l’ampleur des changements apportés dans leurs

comportements. De l’avis des intervenants, ces attitudes facilitent les processus de prise de décision puisque l’ouverture et la réceptivité permettent de mieux analyser la situation et de statuer en ayant le sentiment que le risque a bien été évalué :

Si c’est des parents qui reconnaissent les faits, qui acceptent les suivis, on est beaucoup plus rassurées que des parents qui reconnaissent pas et que, dans le fond, on ne sait pas trop ce qui va se passer si on retourne l’enfant. (Annie)

Comme on peut voir dans ces exemples, les attitudes de collaboration font écho, dans une certaine mesure, à la reconnaissance de la légitimité du processus d’évaluation (et éventuellement d’intervention) :

On est souvent très bien accueillis dans ces familles-là [racisées]. À part, je te dirais, les familles [x] : là, ça prend un petit peu plus de temps à briser la barrière. Les familles [y] aussi. Parce qu’ils sont très méfiants, très, très, très méfiants. Et il y a comme des rôles établis. Très patriarcal, très… Alors il ne faut pas trop déranger. Mais dans des familles [z], je dirais que les parents sont très heureux de discuter des difficultés qu’ils rencontrent avec leur adolescent et d’essayer de comprendre. Et ne pas se mettre dans le trouble, aussi, avec l’immigration. Parce que souvent, ils sont venus ici pour de meilleures conditions et ils ne veulent pas perdre ça, aussi : leurs acquis. (Stéphanie)

Stéphanie compare la méfiance et la collaboration de certaines communautés et l’attribue, entre autres, aux rôles intrafamiliaux et aux contextes qui ont motivé l’immigration. Dans cet extrait, la collaboration des familles [z] fait contraste avec l’attitude méfiante et la résistance des familles des communautés [x] et [y]. Ces attitudes, qui ont été regroupées sous le pôle de la résistance, renvoient à des attitudes où la méfiance est grande, où la relation est tendue, voire impossible, et où la participation devient souvent contrainte.

Je dirais que ce qui est le plus gros défi, c’est souvent quand les parents vont se braquer parce que c’est la DPJ. Tu sais au fond de toi qu’ils n’ont probablement pas fait ça pour faire mal à l’enfant. Mais c’est impossible de travailler, dans le fond, parce que c’est la DPJ et ils demeurent braqués. Et puis là c’est des : « Ouin, mais c’est comme ça », pis « Ça changera pas »… Alors que tu le sais que peut-être même ça va changer, mais c’est comme s’ils avaient besoin de rester… je ne sais pas comment le dire, mais forts par rapport à la DPJ ou de se positionner de cette façon- là face à la DPJ. Ça, je trouve ça difficile. Parce qu’on dirait que tu veux faire un bout de chemin avec ces parents-là. Dans le fond, tu le sais qu’ils les aiment, leurs enfants. Qu’ils veulent le meilleur pour leurs enfants, tout ça… Mais cette espèce de braquage-là fait en sorte qu’on n’avance pas. Et des fois, ça peut mener à une

situation qui va être retenue, tu sais. Parce que, dans le fond, on n’y arrive juste pas, et on n’avance pas, pis nous on ne peut pas être rassurées. (Julia)

Comme l’indique Julia, les attitudes de résistance, qu’elle qualifie de manière imagée comme étant du « braquage », compliquent le travail d’évaluation et peuvent aboutir à la rétention de situations où la sécurité et le développement de l’enfant ne sont pas compromis à proprement parler, mais où la résistance de la famille a contraint l’intervenante à statuer en ce sens. Selon l’intervenante, la résistance ne permet pas aux professionnelles d’effectuer leur travail d’évaluation de la manière la plus juste, ce qui peut provoquer des « faux positifs », c’est-à-dire la rétention de situations où la sécurité ou le développement de l’enfant n’est pas réellement compromis. D’autre part, la résistance empêche aussi la mise en place d’interventions qui permettraient une fermeture rapide du dossier en évitant une prise en charge formelle et l’application de mesures.

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