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Acteurs et temporalités du changement social à Marzahn

I. L'arrondissement de Marzahn dans la tourmente de la réunification

I. 2. Marzahn, un arrondissement dans la moyenne

Dans l'ensemble, les indicateurs de la situation socio-économique de la population et les soldes migratoires classent Marzahn parmi les arrondissements « perdants » de la réunification avec les autres arrondissements de grands ensembles de Berlin-Est (Hellersdorf, Hohenschönhausen) et les arrondissements du centre de Berlin (Häußermann, Kapphan, 2000, p. 110). La comparaison avec ce dernier groupe d'arrondissement montre cependant que la situation de Marzahn est en fait proche de la moyenne berlinoise.

Les effets de la désindustralisation et de la réunification administrative des deux parties de la ville se lisent dans l’évolution de l’activité de la population de Marzahn dans les années 1990. En 1989, 39 % de la population active travaille dans le domaine de l'industrie contre 43 % dans l'administration et les services publics (transports, poste et téléphonie inclus)26. Jusqu'en 2000, la

part des actifs employés dans les administrations publiques et les services se maintient autour de 30 %27. Ce chiffre masque cependant une redistribution des activités tertiaires entre les secteurs

publics et privés à l'échelle de la ville (Krätke, Borst, 2000, pp. 40-54). La part des actifs de Marzahn employés dans le secteur industriel recule tout au long des années 1990, passant à 27 % en 1995 puis à 24 % en 2000 (soit une baisse de 11 % sur la deuxième partie de la décennie)28. Enfin,

le taux de chômage augmente de plus de 4 points entre 1993 et 1998 (il représente 10,9 % de la population active en 1993 contre 15,5 % en 1998), tandis que la part des bénéficiaires des aides sociales dans la population progresse de 3 points entre 1994 et 1998 (elle correspond à 3,5 % de la population en 1994 contre 6 % en 1998)29.

Par rapport aux arrondissements centraux, la situation de Marzahn à la fin de la décennie n'est cependant pas catastrophique. La part des actifs de Kreuzberg (Berlin-Ouest) employés dans le secteur industriel diminue de 28 % entre 1995 et 2000 contre 36 % à Prenzlauerberg (Berlin-Est) alors que la baisse à l'échelle de la ville est de 16 %30. En 1998, l'arrondissement de Kreuzberg

affiche le taux de chômage le plus élevé de la capitale (30 %) ; celui de Prenzlauerberg est proche de la moyenne berlinoise (18 %)31. Enfin, la part que représentent les bénéficiaires des aides

sociales dans la population de Kreuzberg est de 17,7 % ; à Prenzlauerberg elle est également proche

26 Chiffres Statistisches Amt der Stadt Berlin, 1990.

27 Ce chiffre inclut les prestations de service du secteur privé. Chiffres StaLa Berlin, Mikrozensus, E4, 1991-2002. 28 Chiffres StaLa Berlin, Mikrozensus, E4, 1991-2002.

29 Chiffres Kiek In eV, 1995a, p. 10 et p. 12 et Senatsverwaltung für Gesundheit, Soziales und Verbraucherschutz, 1999, p. 89.

30 Chiffres StaLa Berlin, Mikrozensus, E4, 1991-2002. 31 Chiffes StaLa Berlin, 1998.

de la moyenne berlinoise (8%)32. Le revenu moyen des ménages de Marzahn est de 3 000 DM sur

toute la période contre 2 300 DM à Kreuzberg, 2 250 DM à Prenzlauerberg et 2 800 DM pour l'ensemble de Berlin33.

La position « moyenne » de Marzahn par rapport aux arrondissements du centre de Berlin- Ouest s'explique par le niveau de qualification élevé de la population : en 1993, la part des actifs sans diplômes à Marzahn est de 6,3 %, celle des actifs possédant un diplôme universitaire de 20 %34. La désindustrialisation a surtout fragilisé la population la moins qualifiée : l'arrondissement

de Kreuzberg compte une part importante d'immigrés (de l'ordre de 25 %), arrivés à Berlin-Ouest dans les années 1960 et 1970 pour répondre aux besoins de main-d'œuvre peu qualifiée de l'industrie ouest-berlinoise. Par contraste, Marzahn abrite une proportion d'étrangers très inférieure à la moyenne berlinoise (de l'ordre de 4 % sur la décennie 1990 contre une moyenne de 13 % à Berlin), même si ce chiffre n'intègre pas la population de « Aussiedler » ayant la nationalité allemande et ne le distingue pas particulièrement d'autres arrondissements de la partie orientale de la ville où la part des étrangers dans la population se situe entre 4 % et 8 %35. Les différences entre

Marzahn et les arrondissements du centre de Berlin-Est sont moins évidentes à expliquer. La population de Prenzlauerberg témoigne d'un niveau de qualification proche de celui de Marzahn (en 1993, 19,1 % de la population active possède un diplôme d'enseignement supérieur36). La structure

des ménages de Marzahn est en revanche très différente de celle de Prenzlauerberg : la proportion de personnes seules est supérieure à Prenzlauerberg (47,6 % des ménages de Prenzlauerberg37

contre 27,2 % des ménages de Marzahn38 en 1991). Si l'on considère le montant moyen du revenu

par personne dans les deux arrondissements, il est ainsi supérieur à Prenzlauerberg en 1994 (1 313 DM contre 1 180 DM à Marzahn39).

Si l'arrondissement de Marzahn semble relativement épargné par la désindustrialisation par rapport aux arrondissements du centre de la ville, les conséquences de la périurbanisation s'y font davantage sentir que dans les arrondissements de la partie occidentale de la ville. Les pertes de population liées à des mobilités résidentielles vers la proche périphérie brandebourgeoise sont en effet plus importantes à Berlin-Est qu'à Berlin-Ouest : entre 1994 et 1997, l’Est de la ville perd chaque année 7,4 % de sa population au profit de la périphérie contre 3,9 % pour l’Ouest. Une telle répartition des flux renvoie à leur dimension culturelle : les Allemands de l’Ouest hésitent à franchir

32 Chiffres Senatsverwaltung für Gesundheit, Soziales und Verbraucherschutz, 1999, p. 83 et p. 89. 33 Chiffres Ibid., p. 72

34 Chiffres Kiek In eV, 1995a, p. 7. 35 Chiffres StaLa, 2003.

36 Chiffre Häußermann et al., 2002, p. 48. 37 Chiffre Häußermann et al., 2002, p. 46. 38 Chiffre Kiek In eV, 1995a, p. 7. 39 Chiffre Kiek In eV, 1995a, p. 9.

les frontières administratives de la ville pour s’établir sur des territoires de l’ancienne RDA (Häußermann, Kapphan, 2000, p. 137). Dans la partie orientale de la ville, les arrondissements du centre et de la périphérie sont affectés avec une intensité comparable par le phénomène.

Les effets de la périurbanisation à Marzahn se lisent dans l'évolution des soldes migratoires de l'arrondissement avec les communes de la proche périphérie brandebourgeoise (Umland) (voir le graphique ci-dessus). Le milieu des années 1990 apparaît comme un moment pivot : la direction des flux s'inverse en faveur de la périphérie brandebourgeoise et d'autres arrondissements de Berlin. L'arrondissement commence à perdre des habitants (21 % de sa population sur l'ensemble de la période).

Composantes géographiques du solde migratoire de Marzahn-Hellersdorf40, 1991-2005

Les soldes migratoires positifs avec l’étranger dans la première moitié des années 1990 correspondent à l’arrivée des Aussiedler et Spätaussiedler dans le contexte de l'ouverture des frontières à l'Est et reflètent l'évolution de la législation relative à cette catégorie de migrants en Allemagne réunifiée. La loi fédérale relative aux déportés et aux demandeurs d'asile (Bundesvertriebenen- und Flüchtlingsgesetz – BVFG) du 19 mai 1953 considère comme Aussiedler les personnes de nationalité allemande ou considérées comme appartenant au peuple allemand (volksangehörig41) qui se sont installées avant le 8 mai 1945 sur les territoires d'Europe de l'Est de

40 En 2001, les arrondissements de Marzahn et Hellersdorf ont fusionné dans le cadre d'une réforme administrative. A partir de cette date, l'ensemble des données des deux arrondissements ont été agrégées. Pour obtenir une série complète et homogène sur les décennies 1990 et 2000, il faut donc considérer les deux arrondissements. Chiffres StaLa, Wanderungen nach Herkunfts- bzw. Zielgebieten, 1991-2005.

41 Cette dernière dénomination repose sur une définition ethnique de la communauté nationale : appartient au peuple allemand « celui qui a fait connaître sa germanité (deutsches Volkstum) dans son pays d'origine à travers des signes de reconnaissance tels que la généalogie (Abstammung), la langue, l'éducation et la culture » (§ 6, BVFG). Dans le cas où aucun membre de la famille ne détient la nationalité allemande, l'immigration en Allemagne est conditionnée par la réussite à un test de langue. Jusqu'en 1996, il suffisait qu'un des ascendants le réussisse pour

1991 1992 1993 1994 1995 1996 1997 1998 1999 2000 2001 2002 2003 2004 2005 -12000 -10000 -8000 -6000 -4000 -2000 0 2000 4000 6000 8000 Total avec l'étranger

avec les anciens Bundesländer avec les nouveaux Bundesländer sans Umland

avec la périphérie brandebourgeoise (Umland)

avec les autres arrondissements

N b re d 'h a b it a n ts

l'ancien Empire allemand (Ostgebiete), à Danzig, en Estonie, Lituanie, Union soviétique, Pologne, Tchécoslovaquie, Hongrie, Roumanie, Bulgarie, Yougoslavie, Albanie ou Chine et qui ont entamé les démarches pour quitter ces pays et revenir en Allemagne avant le 31 décembre 1992. À partir du 1er janvier 1993, cette loi est modifiée et reconnaît le statut de Spätaussiedler42 aux Allemands qui

ont été déportés dans l'ensemble des territoires cités avant le 31 mars 1952. La législation de 1993 comporte cependant des mesures qui restreignent les flux de retour issus de cette catégorie de migrants. Seuls les descendants de Spätaussiedler nés avant le 1er janvier 1993 peuvent prétendre à

ce statut. L'immigration des conjoints « non allemands » relève désormais de la loi sur le regroupement familial des étrangers, ce qui réduit leurs droits aux prestations sociales et aux aides financières à l'intégration. Enfin, les flux sont limités à un volume de 225 000 personnes par an (Bade, Oltmer, 2003, p. 29). Dans les années 1990, les flux vers l'Allemagne réunifiée sont surtout composés de descendants d’émigrés allemands qui se sont installés en Russie à la fin du XVIIIe et

au début du XIXe siècle et dont les parents ont été déportés par Staline pendant la deuxième guerre

mondiale en Sibérie et en Asie centrale (Kazakhstan). Entre 1988 et 1998, sur les 3,9 millions de

Aussiedler et de Spätaussiedler qui se sont installés en RFA puis en Allemagne réunifiée,

1,6 millions (60 %) sont originaires de l'ancienne Union soviétique. Ces flux sont répartis entre les différents Länder à leur arrivée en Allemagne selon une logique de quotas. Le Land de Berlin accueille 2,7 % des Aussiedler et Spätaussiedler acceptés sur le territoire allemand, soit environ 2 500 personnes par an depuis le début des années 1990 (Bade, Oltmer, 2003, p. 21). En 2005, la mairie de l'arrondissement de Marzahn-Hellersdorf estime que la population de Aussiedler et de

Spätaussiedler résidant sur son territoire est comprise entre 25 000 et 35 000 personnes, c'est-à-dire

qu'elle représente entre 10 % et 14 % de la population de l'arrondissement43.

Durant la première partie de la décennie 1990, le solde positif avec les autres arrondissements de Berlin et les nouveaux Länder peut s’interpréter comme une composante résiduelle du système migratoire propre aux dernières années de la période socialiste : les logements en grands ensembles étaient particulièrement valorisés par la population en regard des centres urbains dégradés et servaient à absorber les flux migratoires qui, depuis le début des années 1980, convergeaient de l'ensemble de la RDA dans le cadre de la politique de développement économique et scientifique de « Berlin, capitale de la RDA » (« Berlin, Hauptstadt der DDR »)44. Le solde

négatif avec les anciens Länder est plus directement lié à la chute du Mur. Ce solde se stabilise

permettre à l'ensemble de ses descendants de bénéficier du statut de Aussiedler ou de Spätaussiedler. Au-delà de cette date, l'ensemble des personnes souhaitant bénéficier de ce statut doit le réussir, ce qui constitue une restriction sérieuse à ce type d'immigration (Bade, Oltmer, 2003, p. 29).

42 Le préfixe « spät- » signifie ici « plus tard » ou « tardif ».

43 Chiffres Bezirksamt Marzahn-Hellersdorf, Basisbericht 2005... , 2006, p. 10. 44 Pour davantage de détails à ce sujet, voir plus loin p. 51.

cependant à partir du milieu des années 1990 tout en restant négatif durant le reste de la période. On peut faire l’hypothèse que les déménagements vers les anciens Länder sont surtout motivés par la recherche d’un nouvel emploi dans des métropoles ouest-allemandes économiquement plus dynamiques.

L'inversion des flux en faveur du Umland s'explique par la dévalorisation des grands ensembles comme forme d'habitat45 et par la valorisation symétrique du pavillon individuel dans les

communes de la périphérie brandebourgeoise. Les flux en direction des autres arrondissements de Berlin se concentrent sur les arrondissements voisins (Häußermann, Kapphan, 2000, p. 135). Les pertes de population se font cependant davantage au profit de la périphérie brandebourgeoise : entre 1995 et 2002, l’arrondissement perd en moyenne 3 500 habitants par an en faveur de la proche périphérie brandebourgeoise contre 1 300 habitants en faveur des autres arrondissements de Berlin, ce qui représente respectivement 2/3 et 1/4 des pertes annuelles de population dues aux flux migratoires. Si l’on se penche sur les composantes démographiques des flux migratoires, on remarque qu'ils sont sélectifs : durant toute la décennie 1990, l’arrondissement de Marzahn perd surtout des habitants âgés entre 6 et 45 ans, soit les personnes en âge de travailler et leurs enfants (voir le graphique ci-dessous). D'après Hartmut Häußermann et Andreas Kapphan, ces flux sont majoritairement composés d'actifs et contribuent à accentuer la part d'inactifs dans la population de l'arrondissement (Häußermann, Kapphan, 2000, pp. 143-149).

Composantes démographiques du solde migratoire de l'arrondissement de Marzahn-Hellersdorf, 1994-200546

45 La dévalorisation des grands ensembles est d'abord symbolique : à la réunification, les compte-rendus médiatiques stigmatisent cette forme urbaine (je donnerai des exemples dans le chapitre suivant). Elle renvoie aussi à l'évolution de leur valeur marchande : au début des années 1990, le prix de vente d'un logement en grand ensemble se situe autour de 2500 DM le mètre carré, soit un prix au mètre carré parmi les plus bas pratiqués à Berlin pour les logements locatifs privés (Borst, 1996, p. 114).

46 Chiffres StaLa, Wanderungen nach Altersgruppen, 1994-2004.

1994 1995 1996 1997 1998 1999 2000 2001 2002 2003 2004 -12000 -10000 -8000 -6000 -4000 -2000 0 2000 Total moins de 6 ans de 6 à moins de 18 ans de 18 à moins de 30 ans de 30 à moins de 45 ans de 45 à moins de 65 ans 65 ans et plus N o m b r e d 'h a b it a n t s

Comme les autres arrondissements de Berlin, Marzahn est affecté par la désindustrialisation et la périurbanisation dans les années 1990. Cependant, la comparaison avec la situation des arrondissements du centre de la ville relativise l'ampleur des effets de ces deux phénomènes. La situation socio-économique des habitants de Marzahn semble ainsi assez proche de la « moyenne » berlinoise. Il faut cependant se méfier de telles moyennes : elles peuvent masquer des disparités territoriales internes.