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Désindustrialisation et périurbanisation à Berlin dans les années 1990 Comme l'indique le titre de l'ouvrage de Hartmut Häußermann et Andreas Kapphan, Berlin :

Acteurs et temporalités du changement social à Marzahn

I. L'arrondissement de Marzahn dans la tourmente de la réunification

I. 1. Désindustrialisation et périurbanisation à Berlin dans les années 1990 Comme l'indique le titre de l'ouvrage de Hartmut Häußermann et Andreas Kapphan, Berlin :

de la ville divisée à la ville ségrégée (Häußermann, Kapphan, 2000), la réunification allemande met

fin à la bipolarité de la ville et donne lieu à divers processus qui redistribuent les activités et les hommes de part et d'autre de l'ancienne frontière politique. La désindustrialisation et la périurbanisation sont les principaux phénomènes repérés par la littérature pour la décennie 1990.

La désindustrialisation ou la fin d'une situation d'exception

La réunification allemande ne reconfigure pas seulement l’espace urbain berlinois mais l’ensemble du territoire allemand, qui compte cinq nouveaux Länder à partir du 3 octobre 1990. La métropole berlinoise réintègre ainsi la hiérarchie des grandes villes allemandes, ce qui modifie en retour la position qu’elle occupait jusque-là dans le système urbain est-allemand. Alors que dans les années 1980, Berlin domine l'ensemble du territoire de la RDA, dans les années qui suivent la réunification, son attractivité se contracte sur son bassin régional, le Brandebourg (Dufaux, 1997, p. 355). Au sein de l’Allemagne réunifiée, la ville a du mal à conserver certaines de ses fonctions économiques malgré le statut de capitale qu’elle obtient en 1995 (Krätke, Borst, 2000). Les sites industriels, nombreux encore au début des années 1990, étaient en effet artificiellement entretenus à l’Est comme à l’Ouest par des subventions ou des conditions fiscales particulièrement attractives. En 1995, ces subventions sont définitivement interrompues à l’Ouest, ce qui entraîne la fermeture de plusieurs sites et de nombreux licenciements. À l’Est, le rachat des anciennes entreprises publiques par des entreprises ouest-allemandes ou étrangères a rarement donné lieu à des reconversions et a abouti au même résultat qu’à l’Ouest (Schulz, 1998, p. 7). Le repositionnement de Berlin dans le système urbain de l’Allemagne réunifiée se traduit ainsi par un processus de désindustrialisation, c’est-à-dire par la réduction des activités industrielles dans les deux parties de la ville. Ce phénomène se lit particulièrement bien dans l’évolution de l’emploi industriel à Berlin : 30 % des emplois dans ce secteur sont supprimés à Berlin-Ouest entre 1989 et 1997 contre 2/3 entre 1989 et 1992 puis 38 % entre 1992 et 1997 à Berlin-Est (Häußermann, Kapphan, 2000, p. 105). La réunification politique et administrative des deux parties de la ville a aussi d’importantes conséquences sur les emplois dans la fonction publique, en particulier à l’Est, où des ministères comme celui de la sécurité intérieure (Ministerium für Staatssicherheit - MfS) avait vu ses effectifs grossir de façon exponentielle pendant les dernières années du régime. Les emplois dans les

administrations et les services publics de la ville (poste, transports, gaz et électricité) ont été réduits d'environ 30 % entre 1990 et 1998 (Häußermann, Kapphan, 2000, p. 107). Dans la partie orientale de la ville, les femmes, dont le taux d’activité pendant la période socialiste était important, sont les principales concernées par les suppressions de postes dans le secteur industriel et la fonction publique. En 1996, leur taux d’activité est de 75,5 % contre 80,6 % en 1991 (Schulz, 1998, p. 10). Dans la partie occidentale, ce sont surtout les travailleurs immigrés peu qualifiés employés dans l'industrie et installés dans les quartiers du centre de Berlin-Ouest qui sont touchés : le nombre d'étrangers employés dans les industries ouest-berlinoises diminue de 2/3 entre 1990 et 1997 (Häußermann, Kapphan, 2000, p. 105). À l'échelle de la ville, le taux de chômage progresse durant l'ensemble des années 1990, à raison d'un demi-point dans les premières années de la décennie et d'environ deux points entre 1995 et 1997. Cette progression reflète l'interruption des subventions fédérales au milieu des années 1990. À la fin de la décennie, le taux de chômage se situe autour de 18 %, contre 12,4 % en 199224.

La périurbanisation : une soif d'espace ciblée

En novembre 2005, Lena Modrow, une ancienne habitante de Marzahn Nord avec qui je me suis liée d'amitié durant mon premier séjour dans le quartier en 2004, me propose d'aller voir une pièce de théâtre qu'une amie présente dans le centre culturel de Schöneiche bei Berlin, une petite commune de la proche périphérie brandebourgeoise située dans le prolongement de l'arrondissement de Köpenick, au nord du Müggelsee25. Pour nous y rendre, nous empruntons un tramway au départ de

la station de S-Bahn qui dessert le lac. Nous sillonnons les bois environnants et les zones résidentielles qui y sont disséminées. Le paysage est très différent de celui que mes promenades dans le Barnim, une région agricole et peu boisée du Brandebourg, située au nord de Marzahn, m'ont fait découvrir.

Le quartier nord de Marzahn vu depuis Eiche (Brandebourg), mai 2006 24 Chiffres Statistisches Landesamt Berlin (StaLa Berlin).

Le village d'Ahrensfelde, au nord du grand ensemble de Marzahn, avril 2005

Schöneiche et les communes avoisinantes portent davantage les marques d'une ancienne activité industrielle : entre les pavillons recouverts du crépi brunâtre caractéristique de la période socialiste, on aperçoit d'anciens bâtiments d'usine aux façades en briques rouges ou jaunes qui font aussi le charme de l'architecture industrielle du XIXe siècle à Berlin. L'euphorie de la périurbanisation semble être

retombée : le crépi coloré des maisons individuelles construites après 1990 a perdu de son éclat tandis que les lotissements, aux rues bien goudronnées et aux trottoirs aménagés, n'ont plus l'aspect chaotique de ceux que l'on construit encore au nord de Marzahn.

La métropole berlinoise avait fait l’objet d’une première vague de périurbanisation au début du siècle. Ce phénomène avait alors justifié la formation du Grand Berlin en 1920 à partir de l’annexion des villages voisins en expansion. Les zones pavillonnaires situées dans les arrondissements périphériques de Berlin datent de cette époque (voir la carte ci-après). La construction du Mur en 1961 a mis définitivement fin à ce mouvement à l’Ouest de la ville alors que ce phénomène marquait le développement des autres grandes villes de la RFA à la même époque. À l’Est, la construction pavillonnaire s’est poursuivie jusque dans les années 1970 mais de façon beaucoup plus modeste en raison de la priorité donnée à la densification urbaine et à l'industrialisation de la construction en RDA. L’ampleur de la construction des grands ensembles à la périphérie orientale de la ville dans les années 1980 a ainsi largement dépassé celle des zones pavillonnaires durant les décennies précédentes (Häußermann, 2001, p. 141-143 ; Peters, 1995, p. 237-246). La chute du Mur ouvre l'accès à de nouveaux espaces en périphérie. L’absence de réglementation en matière d’aménagement du territoire dans les premières années de la décennie 1990 entraîne une expansion « sauvage » des communes de la proche périphérie brandebourgeoise qui accordent pratiquement sans restriction les permis de construire. Cette expansion est marquée par un véritable boom immobilier de 1992 à 1998 entretenu par une politique fiscale attractive et

marqué par la multiplication des grandes surfaces entre 1990 et 1993 (Matthiesen, 2002, pp. 81-82.). Le phénomène est également encouragé par une flambée des prix immobiliers dans le centre de Berlin jusqu’au milieu des années 1990 (Häußermann, Kapphan, 2000, p. 141) et, à partir de 1995, par le transfert des institutions politiques fédérales de Bonn vers Berlin qui amène une population de fonctionnaires s’installant surtout dans les communes de la proche banlieue brandebourgeoise. Cependant, comme le montre le récit de mon expédition à Schöneiche bei Berlin, la périurbanisation a inégalement profité à ces communes : dans certaines zones, elle a été un phénomène transitoire, tandis que dans d'autres, situées le long des grands axes de transports, elle s'est durablement inscrite dans le paysage.