China Cooperative Research Center for Moderne School, Jiaxing, Zehjiang, China
4. Quelques difficultés à affronter 1 Un enjeu sociétal
4.2 La marchandisation de l’éducation
Nombre d’investisseur·se·s ont bien compris les demandes des parents qui sont prêt·e·s à investir dans l’éducation de leurs enfants. La pédagogie Freinet, institutionnelle, coopérative, n’échappe pas à la règle : à peine introduite, déjà copiée, déjà la proie de personnes cupides. À titre d’exemple, notons qu’une des traductions du mot Freinet en mandarin a déjà été déposée et soumise à un droit de propriété. De nouvelles écoles coopératives naissent, sans que l’aspect coopératif soit réellement respecté, la falsification étant un avatar de la mondialisation de la recherche du profit, même en Chine. Pour éviter les dérives (mercantiles comme idéologiques), nous avons choisi les évaluations annuelles des écoles Freinet chinoises, parce que celles-ci permettent la confrontation à une éthique cohérente. Elles figurent parmi les écoles inscrites à la FIMEM (Fédération Internationale des Mouvements de l’École Moderne), participant activement à la vie du mouvement international.
Conclusion
En guise de conclusion et d’ouverture, il est possible de regarder l’innovation pédagogique en Chine sous un autre analyseur complémentaire, celui du homeschooling (scolarisation à la maison), appelé Sishu ou Shishu en Chine. Il y est très peu développé (Déchelette, 2018), alors qu’il constitue une nouvelle voie éducative en Corée du Sud (Francomme, 2008, 2010). Les Sishu ne sont pas reconnues par l’administration chinoise, elles sont même interdites, ou parfois uniquement tolérées par certains gouvernements locaux. Pourtant, à la manière des précepteurs et préceptrices, les Shishus sont une tradition millénaire chinoise et Confucius enseigna à ses disciples de cette manière (Xingyu, s.d.).
Cela concerne, pour une grande majorité, les parents en rupture avec la conception traditionnelle de l’école, et les parents d’enfants qui rencontrent des problèmes d’adaptation au système traditionnel compétitif. Il touche aussi les régions déshéritées, où le système éducatif est défaillant, voire n’existe pas. Internet a permis à la population chinoise, au travers de ses jeunes, d’accéder au concert international de l’éducation. Les familles, les jeunes couples, comme les universitaires chinois·e·s que je rencontre, se sont tou·te·s documenté·e·s sur internet ; aujourd’hui, ils et elles ont une meilleure connaissance de l’univers éducatif, et souhaitent pouvoir faire des choix.
Mais il y a une autre raison liée à l’émergence du homeschooling en Asie et en Chine : la déviance est rejetée sur la famille, qui prend en charge les enfants présentant des besoins éducatifs particuliers (mais aussi les adultes différent·e·s). De nouvelles voies s’élèvent, minoritaires, qui cherchent à intégrer tou·te·s les enfants, comme dans les écoles Freinet de Changsha, ou au travers d’entretiens que j’ai pu avoir, tel celui avec M. Qian Yuanwei, Directeur de l’éducation de base de l’Université normale de Shanghai18. Toutes les voies de la modernisation du système éducatif chinois les intéressent : la formation, la recherche, les échanges. Le homeschooling agit aussi comme un analyseur de la situation éducative chinoise, dont il révèle les failles, et l’impérieuse motivation à agir, à explorer une vision moderne de l’éducation.
Le projet politique de la Chine évolue, et avec lui son projet pour l’école.
Les forces traditionnelles et scolastiques sont fortes, mais elles ne résistent pas, ni à l’épreuve de la réalité, ni à l’épreuve de l’efficacité.
En 2012, alors que nous visitions une école prestigieuse de Hangzhou, nous sommes entré·e·s dans une classe où l’enseignante avait spontanément installé une véritable classe coopérative. Les productions affichées au mur témoignaient d’un souci de la production collective, et aussi de la spécificité individuelle ; la gestion de la classe était garantie par des responsabilités assumées pleinement par les enfants ; la relation maîtresse-élèves était basée sur une écoute réciproque de grande qualité où chacun·e avait la parole dans un espace protégé, le travail était organisé en ateliers, etc. Nous avons pu voir surgir une classe coopérative, sans lien apparent avec le réseau international des classes coopératives, ce qui témoigne d’une
18 Extrait du second compte-rendu de séjour en Chine. Site personnel.
émergence possible au sein du corps enseignant chinois, une révolution en perspective.
L’enfant, au travers de son parcours scolaire, est un enjeu sur le futur qui est central au sein de la famille chinoise. Les jeunes parents chinois·e·s modifient leur regard sur leur propre expérience et sur leur enfant, ce qui se manifeste au travers de certaines anecdotes, les suivantes étant rapportées par des mères chinoises de l’école Freinet de Hangzhou :
« Mme X et Mme Y ont emmené leur enfant dans un club d’échecs, (XX et YY). Dans ce club, il y avait d’autres enfants venant d’écoles chinoises traditionnelles. Le professeur distribue les plateaux et les pièces à tous les enfants et leur demande de les placer.
XX et YY ne placent pas toutes les pièces, car certaines sont en double, certaines sont manquantes ; les enfants des écoles traditionnelles placent toutes les pièces, les doubles, les triples… peu importe !
Le professeur demande à XX et YY pourquoi ils ne placent pas toutes les pièces, ils répondent qu’ils ne placent que les bonnes pièces. »
Les deux mamans me disent : « à ce moment, on a compris ce que voulait dire pédagogie Freinet. Les enfants réfléchissent, n’obéissent pas à un ordre parce qu’il le faut. Ils sont capables d’analyser une situation ».
Bibliographie
Barré, M. (1995). Célestin Freinet, un éducateur pour notre temps, Tome 1 (1986-1936), Les années fondatrices. Publications de l’École Moderne Française.
Barré, M. (1996). Célestin Freinet, un éducateur pour notre temps, Tome II (1936-1966), Vers une alternative pédagogique de masse.
Publications de l’École Moderne Française.
Berthier, P. (2012). Un Américain à Pékin : John Dewey. Le Télémaque, 41(1), 59-73.
Déchelette, G. (2018, 20 février), L’école à la maison en Chine, une vraie tendance ? Lepetitjournal.com. https://lepetitjournal.com/shanghai/
education/homeschooling-ecole-maison-chine-tendance-societe
Francomme, O. (2008). Une coopération internationale en terrain sensible : le cas des ados décrocheurs en Corée du Sud. Spécificités, 1(1), 61-69.
Francomme, O. (2009). Histoire du mouvement Freinet. Son action internationale. Revue française d’éducation comparée, 5, 159-176.
Francomme, O. (2010). Être décrocheur en Corée du Sud. CRAP, Cahiers Pédagogiques, 481, 61-62.
Francomme, O. (2011). The age of Pint-Sized Pedagogs (by Ruben Marley). More, 7(7), 15.
Francomme, O. (2012, 26 avril). Pédagogie Freinet, Dushukuaibao.
Francomme, O. (2015), Pédagogie Freinet en Chine. Le Nouvel Éducateur, 223, 54-57.
Francomme, O. (2017). La création d’écoles alternatives en Chine.
Spécificités, 10(1), 218-227.
Francomme, O. (2018). En Chine, dépasser les différences culturelles et collaborer pour l’innovation (Chine). CRAP, Cahiers Pédagogiques, 542, 6.
Francomme, O. (2019). Les Chercheurs Collectifs Coopératifs et l’École Moderne : perspectives. L’Harmattan.
Francomme, O., et Hu, S. (2012). Freinet Education Center. Le Nouvel Éducateur. 209, 47-51.
Francomme, O., et Lian, Y. (à paraître). La bienveillance à l’école maternelle expérimentale Freinet La petite fourmi de Wuhan.
Grenié, M., et Belotel-Grenié, A. (2006). L’éducation en Chine à l’ère des réformes, Transcontinentales, 3, 67-85.
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chinapictorial.com.cn/fr/se/txt/2010-03/09/content_252882.htm