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Cadre conceptuel de la créativité

Laurine Peter, Université Rennes 2, Todd Lubart, Université de Paris

1. Cadre conceptuel de la créativité

Les chercheur·se·s en psychologie s’accordent à définir la créativité comme la capacité à réaliser une production originale et qui respecte les contraintes imposées par la situation (par exemple Besançon et Lubart, 2015). En effet, si la solution ne respecte pas les exigences, alors elle apparaîtra comme étrange, bizarre. De la même façon, si une personne propose une solution habituelle alors, il n’y a pas d’originalité, donc cette solution n’est pas créative pour la société. Toutefois, un·e jeune enfant qui souhaite récupérer les bonbons placés trop haut dans le placard fera preuve de créativité en prenant appui sur un petit tabouret après avoir échoué en tendant les bras tout en étant sur la pointe des pieds. Kaufman et Beghetto (2009) parlent de créativité « mini-c », qui correspond aux activités exploratoires de tout individu face à des expériences nouvelles, quel que soit son âge ; elles apparaissent souvent dans les premiers temps des situations d’apprentissage. Prenons maintenant l’exemple d’un·e adolescent·e qui prend des cours de programmation et a pour objectif la réalisation d’un niveau de jeu vidéo. Dans ce cadre-là, Kaufman et Beghetto (2009) parlent d’acte créatif « little-c », car il est plus élaboré et est sous-tendu par des objectifs personnels qui aboutissent à des productions moins habituelles.

Kaufman et Beghetto distinguent ensuite les « pro-c » qui correspondent

aux actes créatifs des personnes qui sont devenues expertes dans leur domaine professionnel, et les actes « big C » qui ont un impact majeur sur la société, comme par exemple les découvertes de Pasteur.

À travers ces exemples, nous voyons que tout individu a la capacité d’exprimer son potentiel créatif. Cependant, si nous plaçons dans une même situation des personnes différentes, elles n’exprimeront pas nécessairement leur potentiel créatif de la même manière. Selon l’approche multivariée (Lubart et al., 2015 ; Sternberg et Lubart, 1995), plusieurs facteurs viennent expliquer les différences entre les individus : (1) les facteurs cognitifs, qui incluent différentes aptitudes cognitives telles que la fluidité, la flexibilité ou encore les connaissances ; (2) les facteurs conatifs, qui font référence aux traits de personnalité (tels que la curiosité, la prise de risque, la tolérance à l’ambiguïté), à la motivation, aux émotions, et aux styles cognitifs qui correspondent aux mécanismes préférentiellement utilisés pour traiter l’information ; (3) les facteurs environnementaux, tels que la famille, le milieu scolaire ou professionnel, les pair·e·s, ou encore la culture. Ces différents facteurs, qui interagissent, expliquent en partie les différences interindividuelles dans le potentiel créatif, lequel fait référence à ce qu’un individu peut faire en tenant compte de ces facteurs. Toutefois, ce potentiel n’aboutit pas nécessairement à des réalisations créatives.

La variabilité dans les réalisations créatives peut s’expliquer par la mise en œuvre du processus créatif qui correspond aux différentes étapes effectuées pour arriver à la production créative. L’un des premiers modèles est celui de Wallas (1926), qui distingue quatre grandes étapes qui se succèdent : (1) la préparation qui permet de définir et poser le problème ; (2) l’incubation où la personne continue de travailler inconsciemment sur le problème en associant sans y penser différents éléments ; (3) l’illumination,

« eurêka » ou « insight », qui est une phase très courte qui survient lorsque l’idée intéressante devient consciente ; (4) la vérification qui nécessite d’évaluer la solution, et éventuellement de la développer, de l’ajuster ou de la redéfinir. Aujourd’hui, la littérature s’appuie sur des modèles plus récents (Botella et al., 2018 ; Lubart, 2001, 2018) mettant en évidence un plus grand nombre d’étapes, qui ne seraient pas nécessairement les mêmes selon le domaine de création et l’expertise du créateur ou de la créatrice. Au cours de ce processus, deux formes de pensée peuvent être dissociées sur le plan expérimental pour être évaluées : la pensée divergente-exploratoire et la pensée convergente-intégrative. Cependant, une réalisation créative nécessite la mutualisation de ces deux formes de pensée (Runco, 2008).

La pensée divergente-exploratoire est l’aptitude à générer de nombreuses propositions à partir d’une situation donnée, ce qui implique la capacité d’association, mais aussi la flexibilité, qui correspond à l’aptitude à envisager un problème sous des angles différents. Ces épreuves de pensée divergente sont celles qui sont encore aujourd’hui les plus utilisées, bien qu’elles n’éclairent qu’un aspect du potentiel créatif. Quant à la pensée convergente-intégrative, elle correspond à la capacité de produire une seule production intégrant plusieurs éléments, ce qui fait appel à la capacité d’association et de combinaison des idées. Ces deux formes de pensées peuvent être évaluées afin de rendre compte des composantes créatives chez les individus.

Afin d’évaluer le potentiel créatif, une possibilité est de formuler une demande spécifique aux personnes, les engageant dans un travail créatif.

Dans cette perspective, de nombreux·ses chercheur·se·s et praticien·ne·s évaluent le potentiel créatif en pensée divergente par les tests de Torrance (1976, Torrance Test of Creative Thinking/TTCT). Les épreuves proposées, standardisées, permettent d’évaluer la pensée divergente dans le domaine graphique et dans le domaine verbal. Les différentes solutions permettent d’obtenir quatre indices : (1) la fluidité, qui correspond au nombre d’idées différentes proposées ; (2) la flexibilité, qui renvoie au nombre de catégories différentes dans lesquelles les idées peuvent être catégorisées ; (3) l’originalité, qui prend en considération la rareté statistique des idées et (4) l’élaboration des idées, qui correspond aux détails présents dans chaque idée. Ces quatre indices, fortement corrélés, permettent de rendre compte des différences individuelles dans la production de la pensée divergente. Dans les épreuves évaluant la pensée convergente-intégrative, la personne est amenée à sélectionner des idées et à les combiner dans une idée uniquement créative. L’épreuve proposée par Urban et Jellen (1996, Test of Creative Thinking-Drawing Production) demande la réalisation graphique à partir de six éléments présents sur une feuille. Aujourd’hui, la batterie d’Évaluation du Potentiel Créatif (EPoC) (Lubart et al., 2011) permet d’évaluer ces deux formes de pensées dans deux domaines différents (graphique et verbal).

Le fait de considérer (a) que le potentiel créatif est une compétence qui touche tous les individus (e.g. Craft, 2001 ; Kaufman et Beghetto, 2009) et (b) qu’il est possible de l’évaluer (Barbot et al., 2015) permet d’envisager le potentiel créatif comme un potentiel en développement (Barbot et al., 2016). Ainsi, le potentiel évalué à un moment t ne préjuge pas du potentiel au moment t+1, puisque cela dépend des différents facteurs

mis en évidence dans l’approche multivariée et leurs modifications peuvent avoir lieu tout au long de la vie (Craft, 2001 ; Esquivel, 1995 ; Feldman, 1999). Dans cette perspective de développement du potentiel créatif, le champ de l’éducation s’y est donc intéressé. Craft (2005) envisage deux manières de développer le potentiel créatif : (1) enseigner la créativité et (2) enseigner de manière créative.