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Effet des pédagogies sur le potentiel créatif

Laurine Peter, Université Rennes 2, Todd Lubart, Université de Paris

3. Effet des pédagogies sur le potentiel créatif

Au cours du xxe  siècle, plusieurs recherches ont été menées pour promouvoir une pédagogie plus centrée sur l’élève. Une première revue de la littérature, menée par Horwitz (1979) met en évidence que les études menées dans les années 1930-1940 soulignaient notamment de meilleures performances au niveau de l’initiative, de la capacité à faire face aux problèmes pour les élèves étant « soumis·e·s » à une pédagogie progressive en comparaison des élèves confronté·e·s à une pédagogie traditionnelle.

Cette différence n’était plus observée dans les recherches menées dans les années  1950-1960 ; toutefois, les élèves des pédagogies différentes se décrivaient comme moins rigides, plus subtil·e·s et imaginatifs ou imaginatives. Enfin, dans les années  1970, la comparaison des enfants scolarisé·e·s dans des classes ouvertes vers l’extérieur à ceux et celles dans les écoles traditionnelles ne met pas en évidence de résultats concordants à travers les différentes recherches.

Un peu plus tard, Thomas et Berk (1981) soulignent que l’effet des pédagogies sur les performances créatives des élèves dépend des épreuves de créativité utilisées : les enfants scolarisé·e·s dans des pédagogies

« ouvertes » obtiennent de meilleures performances dans les épreuves de créativité graphique tandis que les élèves confronté·e·s à une pédagogie traditionnelle obtiennent de meilleures performances dans les épreuves de créativité verbale. Thomas et Berk (1981) ont donc mené une recherche sur les performances créatives en pensée divergente de 225  enfants scolarisé·e·s en CP1 et CE12 dans six écoles différentes. Ils ont interrogé individuellement les enseignant·e·s afin d’avoir une description de la pédagogie proposée et ont également réalisé des observations pour mieux cerner l’organisation de l’environnement physique et la mise en pratique de la pédagogie. Leurs résultats mettent en évidence une relation complexe dans le développement de la créativité qui est influencé par le type d’école, le genre de l’élève et le type de créativité (verbale ou graphique).

À la même époque, Avanzini et Ferrero (1977) d’une part, et Franckiewicz (1984) d’autre part, se sont intéressés à l’influence de la pédagogie Freinet dans le développement des performances créatives des élèves. Dans la recherche menée par les premiers en France, les élèves issus d’une pédagogie Freinet obtiennent de meilleures performances

1 Cours préparatoire, première classe de l’école élémentaire française.

2 Cours élémentaire, premier degré de l’école primaire française.

créatives que les élèves confronté·e·s à une pédagogie traditionnelle. De la même manière, l’étude du second met en évidence des performances créatives plus élevées pour les élèves ayant suivi la pédagogie Freinet avec une focalisation sur le rôle du texte libre, en comparaison d’un groupe qui n’avait pas cet apprentissage spécifique.

Cette première vague de recherche avait pour objectif principal de promouvoir une pédagogie innovante et centrée sur l’enfant pour réformer la pratique scolaire traditionnelle (Esquivel, 1995). En effet, les enfants sont naturellement créatifs et créatives, ouvert·e·s à l’expérience et ont tendance à être attiré·e·s par des choses nouvelles, mais il est nécessaire de stimuler ces qualités innées par des environnements scolaires favorables si nous souhaitons que les compétences créatives des enfants ne viennent pas à disparaître (Esquivel, 1995 ; Feldman et Benjamin, 2006).

Dans la même veine, la récente étude menée par Denervaud et al. (2019) s’est intéressée aux performances scolaires, aux fonctions exécutives, à la créativité et aux bien-être chez des enfants en école élémentaire, soit dans une école proposant une pédagogie Montessori, soit dans une école proposant une pédagogie traditionnelle. Les résultats révèlent que les élèves scolarisé·e·s dans les écoles Montessori ont de meilleures performances scolaires, créatives et indiquent un niveau de bien-être supérieur aux élèves scolarisé·e·s dans les écoles traditionnelles. Les résultats mettent également en avant un impact des compétences créatives sur les performances scolaires, influencé par la pédagogie. Ces résultats peuvent être expliqués en raison d’interactions plus importantes entre les pair·e·s, des liens entre les disciplines et une pédagogie focalisée sur l’autonomie de l’élève.

De la même façon, en se focalisant sur les performances créatives, Besançon et Lubart (2008) ont mené une recherche auprès de 211 enfants scolarisé·e·s en école élémentaire du CP au CM13 la première année et du CE1 au CM2 la seconde année. Les élèves étaient scolarisé·e·s dans des écoles proposant soit une pédagogie Montessori, soit une pédagogie Freinet, soit une pédagogie traditionnelle. Des épreuves de pensée divergente (TTCT, Torrance, 1976) et de pensée convergente (TCT-DP, Urban et Jellen, 1996 et invention d’histoire) dans deux domaines d’application (verbal et graphique) ont été proposées. Sur les épreuves de pensée intégrative, les filles obtiennent de meilleures performances que les garçons

3 En France, l’école primaire correspond à l’école maternelle (3 ans : Petite Section, Moyenne Section, Grande Section) + l’école élémentaire (5 ans : Cours Préparatoire = CP ; Cours Elémentaire 1 = CE1 ; Cours Elémentaire 2 = CE2 ; Cours Moyen 1 = CM1 et Cours Moyen 2 = CM2). Ainsi, le CM2 est la dernière année.

et un effet du type de pédagogie est obtenu : les enfants scolarisé·e·s dans les écoles proposant une pédagogie Montessori obtiennent de meilleures performances que les enfants scolarisé·e·s dans les écoles proposant une pédagogie Freinet ou traditionnelle. Pour les épreuves de pensée divergente, les résultats mettent en évidence un effet du type de pédagogie : les enfants scolarisé·e·s dans une pédagogie Montessori obtiennent de meilleures performances que ceux dans les écoles proposant une pédagogie Freinet, qui obtiennent également de meilleures performances que ceux et celles scolarisé-es dans une pédagogie traditionnelle. Une problématique soulevée était le potentiel biais concernant les catégories socio-professionnelles (CSP) de la famille. Ainsi, en extrayant 80  enfants de cet échantillon apparié·e·s en genre, âge et CSP des parents, les résultats révèlent toujours un effet du type de pédagogie avec des performances supérieures pour les élèves scolarisé·e·s dans une école proposant une pédagogie Montessori, en comparaison des élèves scolarisé·e·s dans une école traditionnelle, et ce, sur toutes les épreuves (pensée divergente et pensée convergente, dans les domaines verbal et graphique).

Encore plus récemment, deux études ont évalué les performances créatives dans le domaine graphique d’élèves scolarisés dans des écoles proposant soit une pédagogie Montessori, soit Steiner-Waldorf, soit traditionnelle (Kirkham et Kidd, 2015 ; Rose et al., 2012). Leurs résultats mettent en évidence de meilleures performances pour les élèves scolarisé·e·s dans la pédagogie Steiner-Waldorf que ceux et celles dans la pédagogie Montessori et traditionnelle. Toutefois, cette variation n’apparaît plus chez les élèves les plus âgé·e·s (plus de 9  ans) quand il s’agit de réaliser des dessins représentatifs : il n’y a plus de différence entre les trois pédagogies (Rose et al., 2012). Une explication apportée est le fait que la pédagogie Steiner-Waldorf appréhende plus de sujets liés au domaine artistique. Ainsi, il serait important d’explorer si ces compétences créatives se retrouvent dans d’autres domaines.

Besançon et al. (2015) se sont intéressé·e·s aux effets de la pédagogie Steiner-Waldorf et traditionnelle sur les performances créatives, la motivation et le bien-être auprès d’élèves âgé·e·s en moyenne de douze ans. La créativité était évaluée par la batterie d’Évaluation du potentiel créatif (Lubart et al., 2011) dans les domaines verbal et graphique, tandis que les élèves répondaient à différents questionnaires pour l’évaluation de la motivation et du bien-être. Les résultats n’ont pas mis en évidence de différence significative sur les performances créatives entre les élèves. Par ailleurs, il n’y a pas de lien entre créativité et bien-être mais une corrélation négative entre les performances créatives en pensée divergente et la

motivation extrinsèque, ce qui corrobore la nécessité d’avoir un moteur interne pour trouver de nombreuses idées et persévérer dans les épreuves de pensée divergente créative. Les résultats de cette étude posent donc la question des performances supérieures dans les pédagogies alternatives : le sont-elles à tous les âges puisque les autres études portaient sur une population d’enfants scolarisé·e·s dans les écoles primaires ?

Enfin, l’étude menée par Jeanneret et al. (2012) s’intéresse à l’influence du mouvement dans le développement de la créativité. Leur objectif était de vérifier si le fait, pour des enfants de 5-6  ans, de fréquenter un établissement favorisant le mouvement améliorait les performances créatives. Trois groupes ont été évalués : le premier groupe réalisait quatre séances de sport par semaine et avait une matinée par semaine en forêt ; le second groupe allait tous les jours en forêt (groupe « nature ») et le troisième groupe était dans une classe avec un déroulement traditionnel.

Les élèves ont été évalué·e·s en début et en fin d’année, non seulement sur les mouvements (grâce à un accéléromètre fixé sur la hanche), mais aussi sur le potentiel créatif avec les épreuves de pensée divergente dans le domaine moteur (Krampen, 1996), avec une évaluation de la fluidité et de la flexibilité. Les résultats ont mis en évidence de meilleures performances créatives du domaine moteur dans la classe « mouvements » que dans les groupes contrôles (« nature » et traditionnelle). Toutefois, la question se pose de la transférabilité dans d’autres domaines de la créativité.