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Ce que coopération, compétition et collaboration signifient

La coopération entre élèves : une alternative ordinaire

2. Ce que coopération, compétition et collaboration signifient

Les activités coopératives ne s’observent pas uniquement en éducation.

On les rencontre dans tout le monde du vivant (Servigne et Chapelle, 2017). Elles se caractérisent par trois déterminants : une action combinée (il n’est pas possible de coopérer avec soi-même), une intention (on ne coopère pas sur ordre) et un bénéfice personnel retiré (pas forcément identique ni de même intensité pour tous les acteurs et actrices en coprésence). Ainsi, pour coopérer, il est nécessaire de réaliser une action à plusieurs, dans un même espace, acceptée et permettant à chacun·e d’en sortir grandi·e. À l’école, il y a coopération ou collaboration dans toutes les situations où les élèves travaillent ou apprennent à plusieurs. La coopération entre élèves n’est donc pas une méthode d’enseignement, ni un courant pédagogique précis.

Elle regroupe des pratiques diverses et variées, issues à la fois des travaux en psychologie sociale (Piaget, Wallon, Doise, Mugny, Perret-Clermont, Vygostki, Bruner, etc.) et de la dynamique de l’Éducation nouvelle (Freinet, Dewey, Oury, Cousinet, Demolins, Profit, Bugnon, Pistrak, Korczak, Le Gal, etc.). Nous utilisons l’expression « pédagogies coopératives » parce qu’elle témoigne de cette pluralité. Ce que l’on désigne par « pédagogie coopérative » (au singulier) – ou « cooperative learning » – est plus associé à une méthode nord-américaine d’enseignement, basée sur un principe d’interdépendance entre les élèves (Buchs, 2016).

L’individualisme excessif, autrement dit l’égoïsme, est le contraire de la coopération : il n’y a rien de plus nuisible à la société que « l’égoïsme de nos contemporains et l’individualisme de nos lois » (Mauss, 2007, p.  263). Contrairement à certaines apparences, la compétition entretient de nombreux liens avec la coopération. Elle peut se définir comme des échanges avec des interférences négatives, visant la recherche d’intérêts particuliers, parce que l’atteinte du but par un adversaire constitue un obstacle à éviter pour l’atteinte de ce même but par soi-même (Saury, 2008, p. 107). Mais coopération et compétition ne sont pas des synonymes.

Tant pour s’y adapter que pour l’influencer, la coopération consisterait à exploiter ou faciliter l’activité de son ou sa partenaire, alors que la compétition voudrait l’éviter ou la contrarier (Saury, 2008, p.  142).

Pourtant, les segments de ces deux formes interactives sont à mettre en perspective, lorsque des groupes agissent de manière coopérative avec un recours à de la compétition : une forte cohésion se développe pour devenir meilleur que ses concurrent·e·s. Existent également des stratégies dites de

coopétition (Brandenburger et Nalebuff, 1998), voyant des petites structures s’associer pour mieux agir face à de grosses entités cherchant à s’approprier des monopoles. En outre, d’autres activités coopératives émergent de contextes compétitifs, par exemple dans le monde du sport : entre un·e athlète et son entraîneur ou entraîneuse, entre des partenaires d’entraînement et, même, lors d’une opposition individuelle (comme au tennis) lorsque des adversaires se donnent mutuellement à voir ce qui pourra par la suite faire l’objet de nouveaux efforts pour augmenter ses performances (Saury, 2008).

La compétition se présente donc comme un vecteur de coopération parce qu’elle suscite de l’émulation : elle mobilise la cohésion entre les membres d’un groupe (au même titre que les difficultés de vie [Tomasello, 2015]) et elle motive, elle pousse à atteindre ses limites et à chercher à les dépasser pour devenir meilleur·e que soi-même grâce aux autres (Jacquard, 1987).

Elle peut toutefois prendre un caractère mortifère lorsqu’elle devient destructrice et qu’elle consiste à ce que l’échange soit unilatéral, « où le gagnant prend tout, où une partie écrase l’autre » (Sennett, 2014, p. 101).

Plutôt que de compétition, on en revient alors à des formes d’individualisme excessif, la recherche des intérêts personnels occultant toute place laissée aux autres. Parce qu’il y a une recherche de destruction de la relation sociale, de manière à annihiler l’autre dans l’exercice de sa propre existence, ce n’est donc pas de la compétition. En éducation, elle peut aussi être source de malentendus lorsque la recherche de gain de la victoire devient supérieure à ce que l’on peut apprendre ou développer par l’engagement dans l’activité.

Elle est également une pratique pédagogique risquée, car, quand elle prend trop  de place, elle est difficile et anxiogène et elle fait émerger des champion·ne·s, mais fabrique surtout une majorité de perdant·e·s. C’est pourquoi, comme pour d’autres recours à la coopération, l’introduction de compétitions entre élèves est soumise à des précautions pédagogiques.

Coopération et compétition sont donc deux notions relativement proches.

Qu’en est-il du lien entre coopération et collaboration ? Il est en effet très intéressant de distinguer coopération de collaboration, surtout parce que les conséquences pédagogiques sont essentielles. Si la coopération correspond à une action combinée, intentionnelle et avec des bénéfices individuels, la collaboration s’assimile plutôt à une interdépendance entre les actant·e·s (chacun·e a besoin de l’autre pour réussir), le partage d’un même projet (souvent une production) et une organisation du travail par répartition des tâches (chacun·e s’engageant dans les activités pour lesquelles il ou elle est le plus compétent). Pour organiser un travail de production, la collaboration

n’est pas la seule voie possible (Laurent, 2018), mais elle semble adaptée à l’optimisation des forces individuelles : après concertation, si chaque partenaire prend en charge une part du travail qu’il ou elle est capable de réaliser, la combinaison de toutes ces actions paraît une stratégie plus efficace que si chacun essaie la même chose individuellement. C’est ce qui se passe au sein d’une équipe d’un établissement scolaire lorsque les enseignant·e·s s’occupent d’élèves répartis en « classes » et, dans le secondaire, selon des disciplines d’enseignement. C’est aussi ce qui s’organise lorsqu’un employeur ou une employeuse mobilise l’action d’employé·e·s au service de production dont il ou elle sera le ou la bénéficiaire de la rentabilité. Pourtant, cette collaboration, qui paraît valable pour une production ou une réalisation de projet, ne peut convenir pour des élèves. En effet, apprendre est une activité intellectuelle paradoxale : on apprend mieux avec d’autres, mais, à terme, on ne peut apprendre que par soi-même. Pour un travail d’apprentissage, il est très risqué de compter sur une répartition des tâches parce que, finalement, celui ou celle qui apprend est celui ou celle qui est en activité cognitive sur l’exact secteur de ce qu’il ou elle souhaite apprendre. Autrement dit, une coopération utile aux apprentissages a besoin d’empêcher toutes les formes de mise en retrait des élèves, parce que, sinon, elle ne pourrait satisfaire que les seuls intérêts de celles et ceux qui réfléchissent le plus et le mieux.

Figure 1. Coopération - Compétition - Collaboration

Coopération

Egoïsme Compétition

Émulation Cohésion Motivation

Compétition mortifère Concurrence systématique

Travail en équipe

Travail de

production Collaboration

Individualisme

EntraideAide Travail en groupe