• Aucun résultat trouvé

Quelques aspects des écoles coopératives (Freinet) en Chine

China Cooperative Research Center for Moderne School, Jiaxing, Zehjiang, China

3. Quelques aspects des écoles coopératives (Freinet) en Chine

3.1 Le rapport aux familles, la coéducation

À l’entrée dans une école Freinet, coopérative, les jeunes parents chinois·e·s vivent des contradictions : d’un côté, ils et elles souhaitent l’école la meilleure, la plus adaptée et à l’écoute de leur enfant, et d’un autre côté, ils et elles n’ont pas abandonné l’obéissance, la compétition, la soumission à l’adulte. C’est un monde vécu, qui les a souvent traumatisé·e·s, mais pour lequel il n’existe pas encore de modèle de substitution. Le projet éducatif de l’école entre souvent en concurrence, et même en contradiction avec le vécu familial : la place de l’enfant est importante, il ou elle existe en tant que personne, et participe, contribue à la vie du jardin d’enfants.

Par exemple, au moment du repas, il·elle se sert seul·e, et participe à la vaisselle (cf. figure 3).

Une caractéristique des écoles Freinet est à cet égard d’établir un véritable rapport éducatif au sein d’un environnement élargi : à de nombreuses reprises, les parents sont associé·e·s aux travaux de la classe lors de visites, d’expositions, pour des présentations. Les parents participent à des ateliers (préparation de marchés, de spectacle…), sont invité·e·s à des rencontres et des discussions avec les enseignant·e·s. Les lieux de parole, qui sont importants dans la classe coopérative, existent aussi pour les parents. Ils et elles peuvent y poser de nombreuses questions, telles que :

« J’ai inscrit mon enfant à un cours de piano, mais il ne veut pas y aller ! Que dois-je faire ? Parfois mon enfant ne veut pas m’obéir, quelle attitude dois-je avoir ? Comment ? Il n’arrive pas à se concentrer, comment je peux l’aider ? »14.

L’entrée en classe coopérative va modifier la pensée éducative des parents chinois·e·s. Bien souvent, les parents respectent avant tout l’autorité des grands-parents omniprésents, avec de véritables luttes

13 Ce dispositif correspond à la pédagogie sociale en France.

14 Cf. recueil des entretiens d’enquête avec les parents.

de pouvoir au sein même de la famille et une pression considérable en découlant pour l’enfant. Le changement pédagogique, par ce dialogue, ces moments de discussion et de négociation, jusque dans la famille, redonnent à chacun·e, peu à peu, sa véritable place. Bien souvent aussi, un changement significatif peut être relevé dans les pratiques éducatives au sein de la famille élargie, suite à des discussions très sérieuses avec les grands-parents. Les réunions, les ateliers, menés avec les parents, leur redonnent une complicité éducative au sein du couple et avec leurs enfants, levant la pression intergénérationnelle.

Figure 4. Participation des enfants aux tâches domestiques

3.2 La cérémonie de rentrée (qui est aussi la cérémonie de départ)

Chaque année a lieu une journée de rencontre, précédant la rentrée des classes. Durant cette journée vont se croiser les ancien·ne·s élèves, les élèves actuel·le·s et les nouvelles et nouveaux élèves, avec leurs familles. C’est une journée fastueuse consacrée à « la transmission » : les ancien·ne·s élèves, celles et ceux qui vont entrer à l’école primaire, vont dire au revoir à leur école et transmettre un message à leurs ami·e·s et aux nouvelles familles. Ce moment est important, parce qu’il crée le lien éducatif profond qui va fonder la relation à l’école, qui va faire réfléchir les parents sur un certain nombre de dimensions de l’éducation. Il va aussi fonder le lien entre les familles elles-mêmes, telle une coéducation élargie.

Par exemple, un père de famille a raconté trois années durant lesquelles il a vu sa fille, Coco, grandir dans l’école Freinet (visible par tous les parents sur le wechat de La petite fourmi15). Il est allé de surprise en surprise, découvrant l’éveil de la personnalité de son enfant, au début très timide, puis s’affirmant peu à peu, et entretenant avec lui des discussions profondes ! Celle-ci a ses propres goûts et aspirations qui ne sont pas exactement ceux et celles de l’enfant rêvé, mais peut-être beaucoup mieux, parce qu’ouvrant d’autres perspectives. Au final, c’est la complicité qui s’est jouée, la confiance réciproque et le respect de chacun·e. Ces témoignages marqués par l’émotion soulignent l’évolution de la pensée éducative des parents et leur appréciation du bien-fondé du choix d’une école coopérative.

Au cours de cette journée, un spectacle est offert aux familles, réalisé par les enfants et l’équipe enseignante, et une présentation de l’école et de l’équipe pédagogique est aussi proposée. La cérémonie se termine par un goûter avec les parents et des discussions libres permettant à chacun·e de poser toutes les questions souhaitées. Les nouveaux parents entrevoient donc le nouvel espace éducatif dans lequel ils et elles vont être immergé·e·s, comme leur enfant.

15 Le wechat de l’école La petite fourmi n’est visible que par les parents de l’école. C’est une mesure de sécurité pour les images non floutées des enfants et des événements qui y apparaissent.

3.3 La formation à la pédagogie coopérative

Une des clés de la pédagogie Freinet, de la pédagogie coopérative et institutionnelle, c’est la formation de l’équipe éducative. En Chine, nous procédons comme ailleurs, à la fois dans la temporalité de la classe et de l’établissement, mais aussi dans l’université avec laquelle nous avons noué de nombreux liens scientifiques et professionnels. Une particularité du mouvement de l’École Moderne est en effet d’agir sur les trois temporalités de la formation : en classe (clinique), après la classe (formation professionnelle), et à l’université (recherche). Peu à peu, les enseignant·e·s vont s’immerger dans ces trois temporalités. En classe, nous allons agir ensemble, vivre des moments communs d’interaction dans des situations imprévisibles (cela inclut les préparations et les débriefings). À d’autres moments, des rassemblements permettent de parler de fondamentaux, de points précis : l’expression libre, les sanctions, ou encore l’évaluation.

Puis, des éléments de recherche sont produits, comme en témoignent les articles publiés collectivement dans des revues : spécialisées (Francomme, 2011, 2012), professionnelles (Francomme, 2015, 2018 ; Francomme et Hu, 2012) et scientifiques (Francomme, 2017, 2019), ou encore l’ouvrage sur la bienveillance dans l’école Freinet chinoise (Francomme et Lian, à paraître). Dans ce dernier, la réalité d’une classe coopérative en Chine est illustrée à travers des moments de classe singuliers : une dispute, une réalisation collective, la relation fille-garçon. Figurent dans le livre les photos de ces moments, le discours tenu par les enfants, le traitement de la situation expliqué par les enseignantes, et les enjeux plus généraux liés à cette situation.

La formation à la pédagogie Freinet en Chine associe tou·te·s les membres de la communauté éducative : enseignant·e·s, mais aussi adjoint·e·s, personnel administratif et de direction, personnel de service, cuisinier ou cuisinière. C’est l’ensemble de l’environnement humain qui est pris en compte dans les formations, ce qui se traduit notamment par un travail de construction d’un langage commun, de valeurs communes.

Certains parents participent aux formations auxquelles contribuent également quelques universitaires et étudiant·e·s.

3.4 La coopération : parents, universités, société civile

Le concept central de la pédagogie Freinet est la coopération. Il est donc nécessaire dès le départ de clarifier ce concept, qui est aussi un paradigme éducatif, d’ailleurs nouvellement redécouvert en Occident.

Freinet a créé un institut coopératif16 auquel il n’a jamais voulu donner son nom. Ce concept est ainsi plus qu’un symbole, il s’agit d’un principe, une technique de vie. Pour lui, il s’inscrit dans un mouvement historique, une vision utopique de la mondialisation, la voie du pacifisme, dans un monde en proie aux guerres. La coopération revient sur les fondements de la relation humaine et les principes élémentaires de la société, et se situe au cœur des apprentissages.

Concrètement, la coopération est une modalité des relations dans une école. Pour qu’elle soit entendue, il faut qu’elle soit pratiquée. Grâce à la coopération avec les écoles maternelles de Wuhan, nous avons par exemple pu mener une animation de création collective et coopérative auprès d’adolescent·e·s des régions rurales dans la province du Hubei (voir figure 4).

Toutes les occasions de travail sont des occasions de coopération. La coopération va aussi structurer les apprentissages. La répartition des tâches, l’entraide, les responsabilités, les bilans d’activité sont par exemple des moments clés de la coopération (voir figure 5).

La coopération est une forme supérieure de l’organisation de la recherche (dans l’ICEM), dans le sens où elle établit un cadre éthique à son fonctionnement. À la fois, elle s’inscrit dans une perspective de l’agir social, et de l’intérêt général, et à la fois, elle attribue à chaque membre de la communauté éducative un rôle qui responsabilise, implique et respecte les droits de chacun·e. Elle institue un collectif de sujets pensants et agissants : les chercheur·se·s collectif·ve·s coopératif·ve·s (Francomme, 2019). La coopération est aussi une réalité internationale17, à travers laquelle les échanges, les rencontres, les débats ont lieu et où chacun·e livre son expérience, ses réflexions. En Chine, la coopération

16 De nombreux ouvrages et articles ont traité de l’histoire du mouvement de l’École Moderne. Voir notamment Francomme (2009), et les livres de Michel Barré (1995, 1996).

17 Les personnels des écoles Freinet chinoises participent aux rencontres internationales de la pédagogie Freinet, elles rendent compte de l’originalité de leurs travaux, de leurs productions. Voir les comptes-rendus réguliers publiés sur les sites de la FIMEM, de l’ICEM et les coopérations avec les revues comme Le Nouvel Éducateur et JMagazine.

Figure 4. Moment de création collective avec des adolescent·e·s.

se substitue à la compétition. C’est une des transformations majeures des écoles Freinet chinoises et des rapports qu’elles établissent, dans la classe et hors la classe.

4. Quelques difficultés à affronter