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Les marchés ne sont ni des objets subordonnés aux agents, ni des agents doués d’autonomie. Ils se situent à l’interface des sphères réelle et monétaire. Ils jouent un rôle essentiel non seulement parce que c’est sur les marchés que les agents entrent en relation mais aussi parce que c’est là que se rencontrent les grandeurs réelles (les volumes de marchandise ou d’emploi) et les grandeurs monétaires (les prix, les salaires).

Cependant les marchés jouent un rôle déterminant dans les modèles basés sur les agents parce que de leur implémentation va dépendre le caractère général de l’écono- mie modélisée : centralisée ou décentralisée. A l’aide d’un modèle basé sur les agents, Axtell (2005) montre comment les hypothèses de marchés centralisés sur lesquels reposent les modèles d’équilibre général conduisent à des propositions irréalistes.

« Walrasian markets in their Arrow-Debreu conception are an ideal type, in the terminology of the philosophy of science, a caricature of reality that abstracts from many details of real markets in order to provide a home for our intuitions and a point of departure for deeper exploration of market processes. Unfortunately, the embodiment of this ideal type in [computable general equilibrium] software, especially when utilised for policy purposes, institutionalises a series of propositions that more be- haviourally realistic and decentralised models reveal to be false, namely, that markets do not disperse wealth, yield allocations that are determined solely by preferences and endowments and are not history-dependent. » (Axtell 2005, p. 209)

On peut très bien construire des modèles macroéconomiques multi-agents avec des marchés centralisés : c’est le cas, par exemple, lorsqu’on confie au marché la tâche de déterminer le prix des transactions. Nous décidons au contraire de modéliser les marchés comme des lieux de rencontre directe et décentralisée entre des agents17. Dans une démarche radicale — suivant en cela Gintis (2006) — nous choisissons de limiter au maximum les informations auxquelles les agents ont accès sur ces marchés.

« Rather than using analytically tractable but empirically implausible ad-

qu’une question d’implémentation qui ne change rien aux propriétés du modèle.

17. Voir aussi Duménil et Lévy (1991), pour qui l’implémentation de procédures d’ajustement est étroitement liée à la modélisation de marchés décentralisés : « We call this generalized adjustment in the modeling of the behavior of economic agents “Disequilibrium Microeconomics.” In this fra- mework, the services of the auctioneer are not required. No agent computes any equilibrium prices prior to the occurence of the market, and no auctioneer announces prices on the market. » (Duménil et Lévy 1991, p. 372)

justment mechanisms and informational assumptions (such as Walrasian tâtonnement and prices as public information), we treat the economy as complex system in which agents have extremely limited information, there is no aggregate price-adjustment mechanism institution, and out of equilibrium exchange occurs in every period [. . . ] Agents in this econ- omy have no knowledge of excess demand or supply for any good. Nor is there an “auctioneer” (Walras 1954) calling out prices, collecting informa- tion concerning aggregate demand, and dynamically ‘correcting’ the price structure, with the aim of moving the system towards market clearing. » (Gintis 2006, p. 2-3)

4.3.1

Le marché abstrait

La classe abstraite18 Market représente un marché, c’est à dire une institution

permettant à une collection d’agents (les offreurs) de poster des offres et à une autre collection d’agents (les demandeurs) de répondre à ces offres. Les offreurs arrivent sur le marché avec des offres déjà formées. Ces offres associent une grandeur réelle à une grandeur monétaire. Les offres sont postées simultanément et les offreurs n’ont pas accès aux offres de leurs concurrents.

Les demandeurs, eux, se présentent sur le marché les uns après les autres. Un demandeur est aléatoirement sélectionné dans la liste. Il consulte un nombre limité d’offres et choisit parmi elles la plus intéressante. Le demandeur entre alors directe- ment en relation avec l’offreur et la transaction est effectuée. Après la transaction, on examine l’état du demandeur et celui de l’offreur. Si le demandeur n’a plus rien à demander, il est retiré de la liste des demandeurs. Si l’offreur n’a plus rien à offrir, il est retiré de la liste des offreurs. Cette séquence est réitérée jusqu’à l’épuisement de l’une ou l’autre des deux listes. Il est très improbable que les deux listes soient simultanément épuisées : la plupart du temps, il restera donc des offreurs ou des demandeurs insatisfaits.

4.3.2

Le marché des biens

La classe concrète GoodsMarket représente le marché des biens. Elle hérite de la classe abstraite Market.

La collection des offreurs est formée de l’ensemble des entreprises peuplant le modèle. Les entreprises se présentent sur le marché des biens en tant que fournisseurs de marchandises. Les offres des entreprises associent un volume de marchandises à un

prix unitaire. Le prix est déterminé par les entreprises avant que l’offre ne soit postée sur le marché : les entreprises sont des « price-makers ». Pour une période donnée, il peut donc y avoir autant de prix sur le marché des biens qu’il y a d’entreprises peuplant le modèle.

La collection des demandeurs est formée de l’ensemble des ménages peuplant le modèle. Les ménages se présentent sur le marché des biens en tant que consomma- teurs. Chaque consommateur dispose d’un budget19qu’il cherche à dépenser intégra-

lement. Pour cela, il consulte un nombre limité d’offres. Ces offres sont aléatoirement sélectionnées dans la liste des offres postées par les fournisseurs. La probabilité pour une offre d’être sélectionnée est proportionnelle au volume de marchandises offert20.

Le consommateur choisit parmi ces offres celle dont le prix est le moins élevé. Il entre en relation directe avec le fournisseur et lui achète le maximum de marchandises dans la limite de son budget et du volume de marchandises offert par le fournisseur. Si la transaction épuise le volume de marchandises offert par le fournisseur, ce der- nier est retiré de la collection des offreurs et le consommateur va recommencer le processus de recherche jusqu’à avoir épuisé son budget. Si la transaction épuise le budget du consommateur, ce dernier est retiré de la collection des consommateurs et un autre consommateur est tiré au hasard, qui va à son tour mettre en oeuvre la même procédure de recherche et de dépense.

Le marché des biens est fermé lorsque l’une des deux collections est épuisée. Si c’est la collection des fournisseurs qui est épuisée la première, cela signifie que certains consommateurs ne sont pas parvenus à dépenser la totalité de leur budget. Si c’est la collection des consommateurs qui est épuisée la première, cela signifie que certaines entreprises ne sont pas parvenues à écouler la totalité des marchandises offertes.

4.3.3

Le marché du travail

La classe concrète LaborMarket représente le marché du travail. Elle hérite de la classe abstraite Market.

19. Nous verrons plus loin comment les ménages déterminent le budget qu’ils entendent consacrer à leurs achats de biens de consommation (voir page 133).

20. Le procédé de sélection des offres est celui de la roulette biaisée ou roulette wheel selection, procédé fréquemment utilisé dans les algorithmes génétiques : « Le principe de Roulette wheel selection consiste à associer à chaque individu un segment dont la longueur est proportionnelle à sa fitness. On reproduit ici le principe de tirage aléatoire utilisé dans les roulettes de casinos avec une structure linéaire. Ces segments sont ensuite concaténés sur un axe que l’on normalise entre 0 et 1. On tire alors un nombre aléatoire de distribution uniforme entre 0 et 1, puis on “regarde” quel est le segment sélectionné. Avec ce système, les grands segments, c’est-à-dire les bons individus, seront plus souvent adressés que les petits. » (Alliot et Durand 2005, p. 6).

Sur le marché du travail, on considère généralement que ce sont les ménages qui sont les offreurs et les entreprises qui sont les demandeurs, ce qui est logique dans la mesure où la force de travail est la « marchandise » qui est « offerte » sur ce marché. Néanmoins, dans notre modèle de marché abstrait, l’offreur est celui qui poste une offre associant un prix et un volume. Comme sur le marché des biens, les offreurs sont donc les entreprises.

La collection des offreurs est formée de l’ensemble des entreprises peuplant le modèle. Les entreprises se présentent sur le marché du travail en tant qu’employeurs. Les offres des employeurs associent un nombre d’emplois à un salaire unitaire. Le salaire est déterminé par les employeurs avant que l’offre ne soit postée sur le marché : les employeurs sont des « wage-makers ». Pour une période donnée, il peut donc y avoir autant de salaires sur le marché du travail qu’il y a d’entreprises peuplant le modèle21.

La collection des demandeurs est formée de l’ensemble des ménages sans emploi peuplant le modèle. Les ménages se présentent sur le marché du travail en tant que demandeurs d’emploi. Chaque demandeur d’emploi décide d’un salaire de réserva- tion22 en dessous duquel il refuse de travailler. Le demandeur d’emploi consulte un nombre limité d’offres23 et choisit celle dont le salaire est le plus élevé. Si ce salaire est supérieur ou égal à son salaire de réservation, le demandeur d’emploi entre en relation avec l’employeur et il est immédiatement embauché24. Si le salaire de l’offre sélectionnée est inférieur au salaire de réservation du demandeur d’emploi, alors ce dernier refuse le poste et restera sans emploi pour la période courante. Dans un cas comme dans l’autre, le demandeur d’emploi est retiré de la liste des demandeurs d’emplois et un autre est tiré au hasard, qui va à son tour mettre en oeuvre la même procédure de recherche d’emploi. Après chaque embauche, l’employeur rectifie son offre. Lorsque tous ses postes vacants sont pourvus, il est retiré de la liste des employeurs.

Le marché est fermé lorsque l’une des deux collections (employeurs ou demandeurs d’emplois) est épuisée. Si c’est la collection des employeurs qui est épuisée la première, cela signifie que certains demandeurs d’emplois connaîtront un chômage involontaire.

21. Une autre conséquence est que plusieurs niveaux de salaire coexistent généralement au sein de la même entreprise, selon la date d’embauche des salariés.

22. Nous verrons plus loin (page 131) comment les ménages déterminent ce salaire de réservation. 23. Les offres consultées sont sélectionnées aléatoirement selon le procédé de la roulette biaisée (voir note 20, page 99) : la probabilité pour une offre d’être sélectionnée est proportionnelle au nombre de postes offerts.

24. Nous verrons plus loin que cette embauche fait l’objet d’un contrat de travail à durée déter- minée (voir page 122). Dans la version actuelle du modèle, la durée du contrat n’est pas prise en compte par le demandeur d’emploi dans sa décision.

Si c’est la collection des demandeurs d’emplois qui est épuisée la première, cela signifie que certaines entreprises ne sont pas parvenues à pourvoir tous leurs postes vacants.