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Chapitre I : Cédit, Microcrédit et microfinance

1.1 Définition du crédit

1.1.3 Marché du crédit et financement des pauvres

Selon Sena 2008, comme le rationnement du crédit est une caractéristique permanente de l’équilibre du marché du crédit, alors les caractéristiques financières et personnelles à la fois de l’emprunteur et du prêteur vont affecter la demande et l’offre du crédit et par conséquent les caractéristiques de l’équilibre du marché du crédit. Ainsi, les emprunteurs susceptibles d’être rationnés sont les entrepreneurs qui, soit, n'ont pas suffisamment de garanties à offrir à la banque, soit, n'ont pas un long historique de transactions avec les banques. Les entrepreneurs pauvres sont donc parmi les emprunteurs potentiels qui seront rationnés par les banques.

Par ailleurs, la loi des rendements marginaux décroissants appliquée au facteur capital nous enseigne que les entreprises ayant des capitaux relativement faibles devraient être en mesure de réaliser des rendements sur investissement supérieurs à ceux des entreprises ayant des capitaux élevés. En effet, la fonction de production qui lie le rendement d’un investissement et le capital investi est une fonction concave (figure I-2). La concavité de cette fonction est due à l’hypothèse selon laquelle lorsqu’une entreprise investit plus de capital, elle devrait s’attendre à produire plus. Cependant, pour chaque unité de capital supplémentaire, le gain supplémentaire sera de plus en plus faible. La figure I-2 nous montre qu’un entrepreneur pauvre (qui a investi dans un projet à faible capital) a un rendement marginal sur le capital supérieur à celui d’un entrepreneur riche (qui a investi dans un projet à capital élevé). Ainsi, comparativement aux entrepreneurs riches, les entrepreneurs pauvres devraient avoir plus de capacité à payer des taux intérêts plus élevés aux banques (Armendáriz et Morduch 2010). Armendáriz et Morduch (2010, p.7) rajoutent que :

« Le principe des rendements marginaux décroissants stipule qu’un simple cordonnier travaillant dans la rue ou qu'une femme vendant des fleurs dans un étal de marché devrait être en mesure d'offrir aux investisseurs des rendements plus élevés que ceux que peut offrir General Motors, IBM ou le groupe Tata. »

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Figure I-2 : La rentabilité d’un investissement en fonction du capital investi

Source : Armendáriz, B. et Morduch, J. (2010). The Economics of Microfinance, 2e éd. (p. 6).

Selon les deux auteurs, ce rendement élevé réalisé par les petits entrepreneurs est expliqué, en partie, par le risque élevé qu’ils supportent par rapport aux grandes entreprises. Dans ce cas, pour prêter à ce type d’entreprises, les banques n’ont qu’à appliquer une prime de risque plus élevée que celle appliquée aux autres entreprises, autrement des taux d’intérêt plus élevé. C’est vrai que les gouvernements ont mis en place des lois sur l'usure qui interdisent aux banques de pratiquer des taux d’intérêt supérieurs à un pourcentage donné. Cependant, même si les banques n’ont pas cette restriction, elles n’ont pas intérêt à augmenter leur taux d’intérêt à cause de l’asymétrie d’information (problèmes de la sélection adverse et de l’aléa moral traités ci-haut), d’une part, et du manque de garanties à offrir par les pauvres aux banques, d’autre part. Ces problèmes pourraient être éliminés dans deux cas. Premièrement, si les banques avaient à leur disposition des moyens non coûteux qui leurs permettraient de recueillir et d’évaluer les informations nécessaires sur leurs clients et de faire respecter leurs contrats. Deuxièmement, si les emprunteurs disposaient de biens de valeur qu’ils pourraient présenter comme garanties. Dans une telle situation les banques pourraient prêter sans trop de risques, sachant que les prêts qui présenteraient des problèmes ont été couverts par des garanties.

Le constat sur le terrain est que les segments inférieurs du marché du crédit (les micro- entreprises, les ménages à faibles revenus, etc.) sont largement ignorés par les principales

Rendement marginal d’un entrepreneur pauvre

Rendement marginal d’un entrepreneur riche

Capital

R

ende

28 institutions financières commerciales en faveur des clients qui présentent une valeur ajoutée plus élevée. Selon le livre bleu des Nations-Unies (2006), les principales raisons qui expliquent cette situation sont :

 Des coûts de transaction élevés. D’une part, les frais administratifs supportés par les banques ne changent pas quel que soit le montant du crédit traité. Ainsi, les prêts qui portent sur des montants élevés sont plus rentables que ceux à faibles montants qui sont susceptibles d’être demandés par les pauvres. La manipulation de nombreuses petites transactions, généralement réalisées avec des emprunteurs pauvres, est beaucoup plus onéreuse que l'entretien d'une seule opération importante réalisée avec un emprunteur relativement aisé. D’autre part, pour toucher un grand nombre de pauvres, il faut s’installer dans les zones pauvres. L’éloignement géographique de ces zones fait supporter aux banques des coûts de transaction plus élevés.

 Des problèmes d'information. Il est plus difficile d’avoir des informations sur les risques que présentent les petits emprunteurs (qui ne disposent pas généralement de garanties efficaces) relativement aux gros emprunteurs.

 Les personnes à revenus plus élevés réalisent d’une façon régulière plusieurs types de transactions financières formelles (telles que les remises de chèques, les paiements par chèques, l’utilisation des cartes bancaires, les opérations sur d’autres produits financiers). Ceci permet à la banque de répartir ses charges fixes sur un plus grand nombre de transactions.

Il est donc primordial que toute institution qui désire offrir des produits de crédit aux pauvres prenne en considération ses constats. La littérature recense deux groupes de prêteurs qui ont apporté des solutions au financement des pauvres :

 Les solutions apportées par le secteur financier informel ;

 Les solutions apportées par le secteur financier formel (les institutions de financement pour le développement subventionnées par les Etats).

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1.1.3.1 Le financement des pauvres par le secteur financier informel

Pour se financer, les personnes qui, pour différentes raisons, ne peuvent pas emprunter auprès des institutions financières formelles, font généralement appelle à d’autres solutions, notamment celles offertes par le secteur informel. Selon Lelart (2006), les exemples de ces solutions de financement alternatives sont observés dans la plupart des villages du Tiers-Monde et dans certaines villes, comme les grandes métropoles d’Asie. Dans ces régions, les prêts peuvent être en numéraire ou en nature. Les taux d’intérêt appliqués sont abusifs, ils peuvent atteindre des taux de 50 à 100% pour une durée qui est généralement courte.

Par ailleurs, Robinson (2001) classe le secteur informel du crédit en trois catégories. La première catégorie est le secteur informel commercial, où sont actifs des prêteurs comme les usuriers, les commerçants, les employeurs, les propriétaires des terrains, etc. La deuxième catégorie est qualifiée de secteur informel non-commercial. Ce sont généralement des prêteurs qui font partie de la famille, des amis, des voisins, etc. La troisième catégorie, située entre les deux premières catégories, est composée d’une variété de ROSCA, d’associations mutuelles d’aide et de sociétés de financement informel. Leur objectif varie d’un objectif purement commercial à un objectif purement social et entre ces deux extrêmes d’autres organismes présentent un mixte entre l’objectif commercial et l’objectif social.

L’auteure mentionne aussi que les nombreux prêts qui sont contractés auprès de la famille, des amis et des voisins ne portent habituellement aucun intérêt financier, ou dans certains cas un taux d'intérêt peu élevé. Ces prêts peuvent entraîner des obligations sociales, politiques, ou économiques envers le prêteur. Les obligations peuvent prendre la forme d’une promesse de fourniture du travail gratuitement, d’être disposé à prêter à son tour dans le futur au prêteur actuel, de fournir des informations, de fournir un soutien politique, etc. Les prêts peuvent être de petits montants remboursables à court terme qui servent à faire face à un besoin de consommation ou à des situations d'urgence. Les montants empruntés peuvent aussi, dans certains cas, être sous forme de montants importants qui servent à financer l'achat d’un terrain, la construction d'une maison ou les besoins relatifs à des occasions spéciales, comme le mariage.

30 Selon Robinson (2001), les usuriers ne prêtent généralement qu'à un petit nombre de personnes auprès desquelles ils peuvent assez facilement se faire rembourser. L’auteure relève deux méthodes utilisées par ces prêteurs pour surmonter les problèmes posés par la possibilité d’existence de l’’information imparfaite :

 La première méthode consiste à ne prêter qu’à des personnes sur lesquelles le prêteur exerce déjà un certain contrôle par le biais des transactions existant depuis longtemps (un fournisseur avec ses clients, un patron avec ses employés, un propriétaire de terrain avec les agriculteurs, etc.)

 La deuxième méthode consiste à utiliser des sources d’information non coûteuses afin d’obtenir les informations nécessaires sur les emprunteurs potentiels. Des sources comme les réseaux locaux, les alliances politiques, les appartenances religieuses et différentes autres sources.

De tels liens ainsi que les sources d’informations utilisées permettent aux prêteurs informels d’avoir des taux de remboursement élevés, d’une part. Mais ils peuvent aussi jouer comme un frein qui limite le nombre d'emprunteurs par prêteur, d’autre part. En conséquence, il y a généralement beaucoup de prêteurs dans le marché, chacun avec un nombre relativement restreint d'emprunteurs. Ces prêteurs qui, généralement, ne veulent pas accroître leur part de marché, ont tendance à maintenir les taux d'intérêt élevés.

Gonzalez-Vega (1995) accorde à dire que les services offerts par la finance informelle sont très utiles pour leurs clients. Sans ces arrangements informels, les services financiers ne seront pas fournis à tout le monde et le bien-être des pauvres serait réduit. Cependant, ces services présentent plusieurs inconvénients, dont :

 Premièrement, les services offerts ne couvrent pas tous les besoins de leur clientèle. La plupart des services non offerts sont ceux pour lesquels les pauvres ont plus besoin, notamment les dépôts ;

 Ensuite, les services financiers informels sont offerts soit par un vaste réseau de relations (amis et parents) et portent notamment des frais difficilement mesurables, soit ils sont financièrement très coûteux. Il n’est donc pas surprenant d'observer une forte demande pour les services financiers du secteur semi-formel et du secteur formel qui sont moins chers et en même temps plus stables et plus fiables.

31  Enfin, les services financiers informels ne sont pas efficaces et ne participent pas de manière significative à la croissance économique. En effet, les prêteurs de ce secteur ne sont compétitifs que dans de petits segments du marché, notamment pour les transactions financières entre les agents qui se trouvent à proximité (même village, même profession, même groupe social, etc.). Au-delà des frontières locales, la finance informelle devient très coûteuse, d’ailleurs on voit rarement des transactions entre des agents éloignés les uns des d'autres. Les coûts engendrés par la recherche d’information sur les prêteurs, qui ne sont pas à proximité, et leur surveillance sont trop élevés. En conséquence, la finance informelle ne peut contribuer sensiblement à l’amélioration de l'allocation des ressources.

La finance informelle a apporté une solution alternative aux personnes exclues du champ d’action du secteur financier formel. Cependant, les coûts des services du secteur informel, qu’ils soient sous forme de taux d’intérêts ou sous d’autres formes, restent très élevés. En outre, le champ d’action des prêteurs du secteur informel est limité à l’entourage proche afin de minimiser les coûts de recherche d’information et de surveillance qui sont nécessaires pour pallier aux problèmes de l’asymétrie d’information caractéristique du marché du crédit. Enfin, les services offerts n’arrivent pas à répondre aux besoins de cette frange de population qui n’a pas accès à toute la panoplie de services offerts par les institutions financières formelles.

1.1.3.2 La solution apportée par le secteur financier formel

Après la Seconde Guerre mondiale, au cours des années 1940 et 1950 notamment, un nouveau courant de pensée commence à émerger. Ce dernier se matérialise dans l’idée qu’il est possible de stimuler la croissance économique par la mise en place d’institutions financières proposant des crédits avant que n’apparaissent une demande effective pour ce genre de services financiers. Patrick (1966) propose l’approche du développement financier entraînant l’offre (supply-leading approach, en anglais). Selon cet auteur, afin de stimuler le développement, il est primordial de commencer par la création des institutions financières, en leur offrant les actifs nécessaires ainsi que les services financiers connexes, avant même que la demande pour ces institutions n’apparaisse. Cette approche permet d’atteindre deux objectifs. D’une part, il y aura un transfert des ressources financières

32 bloquées dans les secteurs traditionnels, qui ne connaissent pas de croissance importante, vers les secteurs modernes qui ont la capacité de promouvoir la croissance en assurant l’affectation des ressources disponibles aux projets les plus performants. D’autre part, il sera possible de promouvoir et de stimuler l’entreprenariat dans ces secteurs modernes. Comme le système supply-leading peut ne pas bien fonctionner à son démarrage, l’intervention de l’Etat est donc nécessaire. Les nouvelles institutions financières peuvent ainsi être des institutions publiques utilisant des fonds publics ou recevant des subventions directes.

Alors que les personnes à faibles revenus dans les pays en développement sont exclues des réseaux de financement formel, la théorie du supply-leading va devenir l’appui théorique de plusieurs gouvernements de ces pays pour mettre en place, au cours des années 60, des institutions financières publiques ou semi-publiques pour le développement. Ces institutions accordent des crédits à moyen et long terme pour des activités qui répondent à des objectifs de développement (Brunton, 1988).

Par ailleurs, Robinson (2001) identifie trois facteurs qui permettent d’expliquer l’adoption de la théorie du supply-leading par les pays en développement. Premièrement, les gouvernements de ces nouvelles nations, qui viennent d’avoir leur indépendance, se voient responsables de leur développement économique. Deuxièmement, comme la plupart de ces pays sont des pays à caractère rural, alors la croissance agricole est hautement prioritaire. Il est donc crucial, pour stimuler le développement économique, que les technologies qui permettent de réaliser des rendements élevés dans le secteur agricole soient rapidement et largement adoptées. Troisièmement, la plupart des agriculteurs n’auraient pas les moyens financiers pour financer l’acquisition des technologies et leurs nécessaires. Ils auront donc besoin de crédit, mais les agriculteurs pauvres ne pourraient pas supporter les taux d’intérêt appliqués par les banques commerciales. C’est dans ce contexte que, pour parvenir à une forte croissance de l’agriculture, de très importants programmes de crédit rural subventionné ont été lancés dans une grande partie du monde en développement. Les agriculteurs pauvres recevraient des crédits aux taux d’intérêt inférieurs à ceux du marché, dans l’espoir qu’ils puissent ainsi réaliser des rendements plus élevés et à accroître leurs revenus.

33 Après une expérience de quelques décennies, vers la fin des années 1970-1980, on commence à découvrir les limites de la logique derrière ces programmes de financement. Robinson (2001) souligne, entre autres, les raisons suivantes :

 Les crédits subventionnés octroyés par ces institutions financières n’atteignent pas leur principale cible, les crédits bénéficient plus à des élites locales au lieu de financer les besoins des agriculteurs pauvres.

 Même si les taux d’intérêt sont faibles, le coût réel du crédit était élevé pour les emprunteurs. En effet, l’obtention d’un crédit auprès des établissements de crédits subventionnés demande généralement beaucoup de temps. Il faut aussi tenir compte de la lourdeur des procédures nécessaires à l’obtention d’un crédit. Tout cela peut faire supporter à un emprunteur des coûts d'opportunité ainsi que des coûts de transport élevés dus aux allers-retours fréquents. A ces coûts s’ajoutent les pots-de- vin donnés, dans certains cas, au personnel responsable des programmes afin de bénéficier des crédits et activer les procédures.

 Les produits offerts par ces programmes ne répondent pas vraiment aux besoins des emprunteurs pauvres en termes de montant, de durée et de l’utilisation du prêt.  Les taux de défaut des clients et les pertes réalisées par ces programmes sont

généralement élevés.

 Les taux d'intérêt appliqués sur les prêts sont trop faibles pour permettre la rentabilité des programmes, ce qui a limité le volume des services financiers offerts aux pauvres, comme les dépôts, et l’apparition d'institutions financières viables avec une large portée9.

Malgré ce constat lamentable, de tels programmes continuent encore à fonctionner dans de nombreux pays jusqu’à aujourd'hui.

Le contexte des pays en développement après la Seconde Guerre Mondiale avec l’émergence de la théorie du supply-leading a conduit ces pays à mettre en place des institutions financières dans l’objectif principal était de stimuler la croissance et le

9 En matière de microfinance, la portée fait référence à la portée des actions et des activités d’une IMF, c’est-

à-dire son objectif social. L’étendue de la portée fait référence au nombre de clients desservie par une IMF. Le degré de la portée fait référence au niveau de pauvreté des clients d’une IMF.

34 développement économique en commençant par la mise sur le marché d’une offre de services financiers. Des services qui vont permettre aux agriculteurs à faibles revenus, notamment, d’améliorer leurs revenus et par suite leur situation. Le résultat a été des décennies de subventions massives des programmes de crédit rural : une solution au financement des pauvres par le secteur formel est donc trouvée. Après plusieurs années d’activité, les institutions de financement pour le développement étaient un échec. Il faut donc innover et chercher de nouvelles méthodes qui seront capables d’apporter des solutions fiables au problème du financement des besoins des personnes pauvres et à faible revenus et de briser le cercle vicieux de la pauvreté.

La solution sera apportées par les institutions de microfinance qui, en innovant au niveau des garanties exigées, des pratiques et des contrats utilisés, arrivent à proposer de nouveaux moyens qui permettent de surmonter, avec des coûts raisonnables, les problèmes de l’asymétrie d'information et ainsi que les autres risques spécifiques aux populations pauvres.