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Le marché du carbone volontaire

D’après l’enquête menées par eco securities (2009), les investisseurs voient dans le marché volontaire une opportunité de se préparer à une future taxation ou à une obligation de compenser leurs émissions de Ges, ainsi que des éléments d’affichage en termes de marketing vert, de responsabilité sociétale et environnementale (rse) et de diminution du risque commercial lié à un potentiel boycott des entreprises qui n’investissent pas dans la lutte contre le changement climatique.

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[8844]] Cf. la vidéo réalisée par Les Amis de la terre sur le lien :

Compte tenu de ces objectifs, et dans l’idée de diversifier les retombées des investis-sements carbone, la notion de co-bénéfices apparait également centrale pour que le marché du carbone volontaire permette de répondre aux enjeux environnementaux forestiers plus larges que le seul enjeu du stockage du carbone. Il semble que cela soit en partie défendu par les différents acteurs concernés. « Le marché volontaire permet de traiter l’ensemble des piliers du développement durable » ; « un projet

qui aura moins de co-bénéfices sera moins bien perçu » (entretien CO2 Origination).

La prise en compte des enjeux environnementaux autres que la lutte contre les chan-gements climatiques, principalement la biodiversité, mais aussi des enjeux sociaux, permettraient pour ces acteurs de diminuer le risque financier lié aux projets dans un contexte à forte incertitude. « Concernant le carbone, on est quand même dans un environnement mouvant, et dans la forêt-carbone, c’est encore pire…on ne sait vraiment pas de quoi demain sera fait. On ne sait pas quels crédits seront acceptés demain. […]. et donc lui [i.e. le porteur de projet], dans ce contexte d’incertitude, il se dit : la meilleure garantie que je puisse avoir pour que mes crédits soient achetables dans 5 ans, c’est que je sois clean sur les trois critères comme ça c’est une espérance de plus de ne pas se faire rouler » (entretien CDC Climat).

Les critères environnementaux font ainsi partie aujourd’hui des critères de différen-tiation de certains des nombreux standards de certification des projets disponibles

sur le marché volontaire[[8855]] (Merger, 2008). Le WWF inclut par exemple deux critères

environnementaux et sociaux dans les sept critères qu’il propose pour l’évaluation des standards volontaires (WWF, 2010). Néanmoins, plusieurs n’abordent pas ces sujets :

« les standards VCs et MDP traitent très bien la partie CO2 mais ils ne valorisent pas

ou ne formalisent pas les co-bénéfices » (entretien CO2 Origination).

Au final, d’un point de vue environnemental, le carbone est perçu par certains comme une thématique « englobante » qui doit permettre, voire même faciliter, le traitement d’enjeux plus larges que le seul carbone : « le carbone est une thématique chapeau pour nous, puisque ça touche tout » (entretien ONFI) ; « le carbone forestier a quelque chose de sympathique auquel on peut ajouter des couches : diversité biologique, gestion communautaire, forêt qui abrite des populations parmi les plus

pauvres de la planète… on amène d’autres choses » (entretien CO2 Origination).

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[8855]] Parmi les principaux standards forestiers du marché volontaire, on peut citer le scientific Certification systems (sCs), le Verified Carbon standard - Agriculture, Forestry and Other Land use (VCs AFOLu), le Climate Com- munity and Biodiversity standards (CCBs), le CarbonFix standard (CFs), le Chicago Climate exchange (CCX), le Climate Action registry (CAr), le système Plan Vivo, et le MDP qui peut être utilisé également dans le cadre du marché volontaire (Chenost et al., 2010).

Malgré les espérances qu’offre ce dispositif, le « focus carbone » reste source d’un certain scepticisme, et l’efficacité environnementale des modes de gestion des forêts liés au marché carbone n’a pas encore fait ses preuves. Comme certains auteurs le soulignent, « il existe très peu d’études et de connaissances sur les fondements scientifiques et techniques et sur l’efficacité de ces mécanismes » (tsayem Demaze, 2010a). Les dispositifs « valorisation du stockage du carbone » se fixent certes un objectif environnemental explicite de lutte contre le changement climatique mais l’objectif premier est souvent économique pour ceux qui investissent sur ces crédits carbone. L’enjeu est de maintenir et de préserver la croissance du stock de carbone pour sécuriser les investissements. Au final, la qualité environnementale des espaces forestiers créés ou maintenus dans le cadre de ces mécanismes pourrait se révéler très en deçà des caractéristiques écologiques d’un écosystème forestier naturel.

4.4.3.

4.4.3. Les dispositifs favorisant l’implication des populations locales : Les dispositifs favorisant l’implication des populations locales :

quelle efficacité environnementale ?

quelle efficacité environnementale ?

Les dispositifs de la GDF s’appuyant sur la participation des populations locales cherchent avant tout, comme nous l’avons vu précédemment, à améliorer la dimension sociale de l’exploitation forestière. Bien que ce ne soit pas son objectif prioritaire, la gestion participative (communautaire, conjointe, communale) se propose néanmoins également de répondre aux enjeux environnementaux.

La logique gestionnaire portée par ce type de dispositifs est ancrée dans la théorie des parties prenantes : les problèmes d’environnement sont d’abord analysés comme des problèmes de coordination, d´action collective à promouvoir, de « bonne gouvernance » et de mise en place d’approches bottom-up avec des acteurs qui connaissent et maîtrisent les ressources de leur territoire, sur la base de savoirs empiriques ou dits « traditionnels ». Les solutions proposées sont alors évoquées en termes de formulation collective des problèmes, d’échange d’information, de flexi-bilité et de pragmatisme des arrangements, de négociations entre parties prenantes et d’enrôlement des destinataires (Leroy et Lauriol, 2011).

De plus, selon la logique du développement durable, réconcilier les objectifs de pro-tection de l’environnement et de développement constitue une priorité. La pauvreté étant généralement désignée comme le facteur principal de la destruction des habitats naturels et notamment forestiers, en réglant les problèmes de pauvreté, on réglerait donc quasi « automatiquement » les problèmes d’environnement.

Deux grandes visions s’opposent néanmoins à ce propos (Ballet et al., 2009). selon la vision la plus largement partagée, la gestion participative permettrait d’offrir les

conditions nécessaires à la préservation durable des ressources en permettant d’assurer le développement économique des populations les plus pauvres, qu’elle cherche à promouvoir (schreckenberg et Luttrell, 2009). « […] Ce n’est pas protéger les animaux qui fait bouger, il faut être réaliste, c’est protéger les gens qui fait bouger » (entretien Proparco). Le principal argument défend le fait que, grâce au développement écono-mique, les populations n’auraient plus besoin d’utiliser les ressources naturelles pour survivre et donc les impacteraient moins (ou les utiliseraient de façon plus « raisonnée »). La seconde vision estime, quant elle, qu’assurer la durabilité des ressources naturelles nécessite la mise en place d’entités de gestion spécifiques poursuivant des objectifs explicites de préservation de l’environnement dont l’atteinte dépend de modalités précises de gestion qui sont indépendantes des questions de développement écono-mique. Les auteurs défendant cette vision soulignent que ces modalités de gestion peuvent ne pas être compatibles avec un objectif de développement économique des populations environnantes. Ils appellent à traiter ces enjeux de manière distincte (redford et sanderson, 2000).

suivant cette dichotomie de positions, certains auteurs ont souligné le rôle primordial et historique des populations locales dans la conservation de la biodiversité (Bray et al., 2003 ; Dudley, 2008). Ils montrent que les savoirs et pratiques coutumières des populations locales, basées sur des normes sociales ancestrales, contribuent largement à préserver les ressources naturelles, même si ce n’est pas l’objectif qui est a priori revendiqué (Vermeulen et sheil, 2007 ; Berkes, 2009 ; Guéneau, 2011). L’étude de Bowler et al., (2010) a par exemple fourni une évaluation de plus de quarante systèmes de gestion participative à travers le monde au regard de critères environ-nementaux spécifiques, et montre que, dans la majorité des cas, les communautés locales ont participé et favorisé activement la conservation de la biodiversité. Par ailleurs, divers constats attestent du rôle significatif des populations riveraines (schreckenberg et al., 2006 ; schmitt et al., 2009) dans la sauvegarde de zones forestières à haute valeur biologique, la protection des bassins versants et la restauration des paysages forestiers dégradés (Arinaitwe et al., 2007 ; Malla, 2007 ; Yao, 2007). Des études récentes montrent également l’efficacité des populations autochtones dans la réduction de la déforestation, en comparaison aux efforts entrepris par les états (Nelson et Chomitz, 2009). Concernant les expériences de Joint Forest Management, qui ont maintenant 20 ans, il est possible de dresser un premier bilan de ce modèle de gestion participative. Beaucoup s’interrogent encore sur l’efficacité de ces programmes et leur impact sur la gestion des ressources (Yildiz et al., 1999 ; Kumar, 2002 ; rishi, 2003 ; rishi, 2007 ; Bhattacharya et al., 2010 ; Macura et al., 2011), mais certains estiment aujourd’hui que ce modèle participatif est un outil performant de gestion durable (singh et al., 2011). L’ouvrage de Méral et al., (2008) fait également un bilan ex post

de nombreux programmes et projets de gestion concertée des ressources naturelles, en particulier des forêts. Ces auteurs montrent des cas contrastés de réussites mais aussi de limites et d’échecs de cette approche, échecs pour partie liés à la notion même de gestion « communautaire » et à sa mobilisation politique. « La référence systématique aux populations locales, pour moi, c’est une vaste fumisterie, avec le mot communauté, on est surtout dans la langue de bois » (entretien AFD).

D’autres auteurs tendent donc aujourd’hui à nuancer le rôle bénéfique des commu-nautés : « Il ne faut pas se faire trop d’illusions, on a une vision qui est une vision un peu angélique des populations locales » (entretien FusAGx). Certains travaux montrent effectivement que l’association des populations riveraines à la gestion des ressources peut également conduire à l’augmentation des dégradations faites aux forêts (Dovonou-Vinagbè et Chouinard, 2009) et à une perte de biodiversité dans ces espaces (Acharya, 2003). Bien que les situations d’échecs semblent plus rares que les réussites (Guéneau, 2011), elles ne doivent pas être sous-estimées, comme l’illustre notamment l’exemple de la cogestion des forêts classées de Faya, Monts Mandings et sounsan, au Mali. un exercice d’évaluation ex post mené par l’AFD et le bureau d’études ICI en 2010 souligne ainsi que lesdites forêts sont menacées de disparition éminente (AFD, 2010). un des acteurs impliqués écrivait en réponse au rapport produit : « La cogestion des forêts classées autour de Bamako est un échec patent, une calamité, plus de soixante ans d’efforts partis en pure perte » (AGeFOre, com-munication institutionnelle).

La multitude des situations et contextes locaux semble donc ne pas pouvoir permettre de généralisations hâtives sur l’efficacité environnementale des modes de gestion participative de la forêt. Quand elle est nécessaire, cette participation apparaît en tout état de cause loin d’être suffisante pour assurer une durabilité environnementale de la gestion des forêts.

Ce passage en revue des différents dispositifs de GDF montre qu’ils sont peu efficaces d’un point de vue environnemental, malgré les avancées et les innovations spécifiques que chacun peut apporter. Compte tenu de l’ambigüité relevée aussi bien dans leur capacité à intégrer la dimension environnementale que dans leur capacité à la rendre effective, et donc à produire des changements pour une amélioration de la situation d’un point de vue écologique, la question se pose de savoir dans quelle mesure une attention est portée plus formellement aux processus d’évaluation environnementale de ces dispositifs. C’est ce que nous proposons de regarder ci-après afin de finaliser notre analyse.

4.5. Quels processus formels d’évaluation environnementale

4.5. Quels processus formels d’évaluation environnementale