• Aucun résultat trouvé

Les différentes manières d’introduire l’incertitude et la variété des fondements du recours à ces deux formes d’emplo

RAPPORTS DE FORCE

L ’ AJUSTEMENT AUX FLUCTUATIONS DE LA PRODUCTION : L ’ APPROCHE NEOCLASSIQUE

1.2. Les fluctuations de la production comme fondements du recours aux CDD

1.2.2. Les différentes manières d’introduire l’incertitude et la variété des fondements du recours à ces deux formes d’emplo

Après avoir présenté la manière dont CDD et CDI se différencient dans les modèles et avoir mis en évidence la possibilité d’arbitrage entre ces deux types de contrat, dans la mesure où aucun ne concentre à lui seul tous les avantages, il s’agit à présent d’examiner de quelle manière l’introduction de l’incertitude dans ces modèles intervient sur l’arbitrage.

Incertitude sur la demande ou sur la productivité de l’entreprise

L’incertitude sur la demande provient du fonctionnement d’une économie décentralisée dans laquelle les entreprises ne sont pas assurées de leurs débouchés et peuvent désirer réduire le volume de leur emploi lorsque la demande qui leur est adressée est insuffisante.

Dans différents modèles, la demande ou la productivité sont soumises à des chocs aléatoires qui font passer l’entreprise entre deux états : favorable, défavorable (Bentolila et Saint-Paul, 1992, Bentolila et Dolado, 1994, Saint-Paul, 1996, Maurin, 2000, Pucci et Valentin, 2005, Nunziata et Staffolani, 2001). Dans d’autres, l’entreprise doit prendre ses décisions d’embauche de manière séquentielle, d’abord sans connaître le niveau de sa demande, puis en embauchant des salariés supplémentaires si nécessaire, une fois le niveau de la demande connu (Zylberberg, 1981). Dans les deux cas, le résultat est le même : alors qu’une partie des salariés est embauchée de façon stable, pour l’autre partie, le contrat de travail ne dure que le temps d’une reprise. Dans certains modèles, il

138

faut noter l’absence de licenciement. Les salariés qui n’ont pas vocation à être embauchés de façon permanente sont employés en CDD et remerciés en fin de période si un mauvais état de la conjoncture survient. Les autres salariés restent embauchés de façon permanente dans l’entreprise. Le résultat est proche de celui présent chez Piore (voir infra), le dualisme sur le marché du travail résulte de la division de la demande en une partie stable et une partie instable.

Alors que dans ces modèles, le CDI apparaît comme le contrat optimal en ce qu’il permet le meilleur amortissement des coûts d’embauche, l’incertitude qui pèse sur la demande implique une durée des contrats plus faibles pour une frange de salariés que l’employeur doit pouvoir remercier en cas de baisse de la demande. La coexistence de CDD et de CDI tient au fait qu’aucun des deux contrats ne reste optimal en toute circonstance. Si le CDI est généralement considéré initialement comme le contrat optimal du fait de la durée d’amortissement des coûts de rotation, la décroissance de la productivité marginale du travail, réduit son avantage dans l’amortissement des coûts de rotation, à mesure que l’emploi augmente. Il en résulte la possibilité d’une coexistence entre les deux types de contrats.

Le modèle proposé par Maurin (2000) fait reposer le recours aux CDD sur l’incertitude de l’environnement. En environnement certain, toutes les embauches se font en CDI, le recours aux CDD n’intervient qu’en environnement incertain pour des entreprises qui anticipent une conjoncture favorable (cet état favorable n’ayant pas vocation à durer du fait de l’incertitude de l’environnement). En effet, l’acquisition par le salarié d’une productivité plus élevée grâce au CDI et la possibilité d’amortir les coûts d’embauche sur une plus longue période représentent un avantage absolu pour cette forme contractuelle. Le passage en environnement incertain réintroduit un atout pour le CDD : le fait de pouvoir se séparer des salariés sans coût, lorsqu’un choc de productivité négatif est anticipé. Au-delà d’un certain volume d’embauche les coûts de licenciement ne sont plus aussi facilement amortis et viennent neutraliser l’avantage d’une productivité plus élevée en CDI. Le CDD qui ne comporte pas de tels coûts de licenciement devient alors le contrat optimal. Plus l’avantage du CDI en termes de productivité est faible, plus vite ce seuil est atteint.

139

Dans le modèle proposé par Pucci et Valentin (2005), à partir du moment où le niveau seuil d’optimalité du CDD (en termes d’emploi) est atteint, plus l’ampleur des chocs est élevée, plus la variation du stock de CDD est grande.

La différenciation dans la durée des contrats peut aussi être traitée de façon plus exogène. Ainsi, dans Wasmer (1999), rien n’est indiqué sur la nature prévisible ou non de la demande. Mais on distingue des emplois de court terme que nous assimilerons à des CDD et des emplois de long terme que nous assimilerons à des CDI qui se différencient par l’ampleur du taux de séparation qui leur est associé, ce taux étant plus élevé pour les CDD que pour les CDI. Autre différenciation : les coûts d’embauche sont plus élevés en CDI qu’en CDD. L’intérêt du CDI est de permettre un amortissement des coûts d’embauche plus élevés sur une plus longue période. Mais plus le taux de croissance est élevé, moins les entreprises ont besoin de poster d’emplois vacants. Comme le coût de recherche unitaire par emploi vacant est plus élevé en CDI qu’en CDD, la réduction du nombre d’emplois vacants à poster, diminue davantage les coûts d’embauche en CDI qu’en CDD. Par conséquent plus le taux de croissance est élevé, plus la différence entre les coûts d’embauche entre CDD et CDI s’estompe, ce qui ne fait qu’accroître l’intérêt du CDI. La part des CDD n’est pas exogène, dans la mesure où le taux de croissance et les taux de séparation interviennent dans sa détermination. Le taux de croissance intervient alors négativement. Plus le taux de croissance est élevé plus les employeurs préfèrent le CDI, dans la mesure où l’écart entre les coûts d’embauche en CDD et en CDI devient plus faible.

L’arbitrage entre CDD et CDI dépend aussi dans ce modèle du taux de séparation, autrement dit de la durée de chaque type de contrat. Plus l’écart entre les deux est élevé plus cela favorise le CDI. Ainsi une plus grande stabilité du CDI (via une durée plus élevée de ce contrat) n’est pas de nature à renforcer le recours au CDD, au contraire, elle renforce l’avantage du CDI.

Incertitude sur la productivité individuelle des salariés

L’incertitude peut également provenir des caractéristiques ou du comportement individuel des salariés. Soit la productivité individuelle des salariés est soumise à des chocs aléatoires : le contrat du salarié en CDD n’est alors pas transformé en CDI, ou le salarié en CDI est licencié si sa productivité devient insuffisante. Soit la productivité du

140

salarié nouvellement embauché n’est pas connue avec certitude au moment de l’embauche mais révélée seulement au bout de la première période (Blanchard et Landier, 2001, Verajão et Portugal, 2003). Dans ce cas la fonction du CDD est de constituer une période d’essai, à l’issue de laquelle la productivité du salarié est révélée. Selon le niveau de cette productivité, le salarié est embauché en CDI ou bien est remercié.

Dans le modèle de Blanchard et Landier (2001), toutes les embauches se réalisent en CDD. La part des CDD dans l’emploi va donc dépendre du taux de conversion des CDD en CDI. Le choix de conversion intervient après un choc de productivité qui marque la fin du CDD. Soit l’employeur met fin à la relation et doit payer des coûts de rupture, soit il intègre le salarié en CDI. A partir du moment où la productivité du salarié est suffisante, l’employeur a intérêt à intégrer le salarié en CDI plutôt que de payer les coûts de rupture du CDD. L’intérêt pour l’employeur de convertir des CDD en CDI est d’amortir les coûts d’embauche sur une plus longue période, de ne pas avoir à payer de nouveaux coûts d’embauche, ni des coûts de fin de CDD, si la productivité du salarié en question est suffisante.

La segmentation du marché du travail entre emplois de courte durée et emplois stables est ainsi déterminée par le taux de conversion de CDD en CDI. Ce taux dépend d’une part du seuil de productivité à partir duquel les employeurs décident de convertir un CDD en CDI et d’autre part du nombre de salariés dont la productivité se situe au- dessus de ce seuil, autrement dit de la fonction de répartition des productivités individuelles des salariés. Cette dernière est une donnée du modèle. Par contre le seuil de productivité requis pour la conversion est l’une des deux variables endogènes du modèle qui assurent l’équilibre sur le marché du travail, la seconde étant le niveau d’utilité des chômeurs.

L’équilibre sur le marché du travail est atteint pour les valeurs de ces deux variables telles qu’elles vérifient à la fois la relation d’embauche et la relation de licenciement, lesquelles sont définies comme suit.

La relation d’embauche repose sur le partage de la rente relationnelle due à l’existence de coûts de licenciements sur les emplois d’entrée (ou CDD). La négociation du partage de la rente est régie par un équilibre de Nash qui implique que chaque partie tire le même surplus de la relation. Le surplus pour l’employeur est égal aux coûts de

141

licenciements. Pour les salariés, il est égal à la différence entre l’utilité d’un emploi d’entrée et l’utilité au chômage. A partir de là, à coûts de licenciements constants, plus l’utilité au chômage est élevée, plus l’utilité d’un emploi d’entrée doit être élevée pour que le surplus apporté par la relation soit aussi important pour les travailleurs que pour les employeurs et que les chômeurs acceptent ces emplois. Or plus le taux de conversion des CDD en CDI est élevé, plus l’utilité des emplois augmente, et ce taux est d’autant plus élevé que le seuil de productivité de conversion est faible. Autrement dit l’abaissement de ce seuil est un moyen pour l’employeur de rendre l’emploi plus attractif lorsque l’utilité des chômeurs augmente. On aboutit alors à une relation décroissante entre le seuil de productivité requis pour la conversion en CDI, et l’utilité de réserve des salariés.

A l’inverse, la relation de licenciement est une relation croissante. De la même manière, plus l’utilité des chômeurs est élevée, plus la valeur d’un emploi d’entrée doit être élevée. Cependant le relèvement de la valeur d’un emploi d’entrée implique un relèvement de la valeur du seuil de productivité à partir duquel l’employeur a intérêt à garder le salarié (l’écart entre un emploi d’entrée et un emploi stable devant être suffisant pour compenser les coûts de licenciement d’un emploi d’entrée).

L’effet d’une baisse des coûts de licenciement en CDD est le suivant. D’après la relation de licenciement, à valeur d’un emploi d’entrée inchangée, une baisse du coût de licenciement nécessite une hausse de la valeur d’un emploi stable, pour que l’employeur ait intérêt à opérer la transformation d’un emploi d’entrée en emploi stable. En effet plus le coût de licenciement en CDD est faible, moins il est coûteux de se séparer du salarié au bout d’une période, pour en embaucher un autre. Par conséquent le seuil de productivité au-dessus duquel l’entreprise convertit l’emploi d’entrée en un emploi stable doit augmenter pour que la valeur d’un emploi stable soit suffisamment élevée au point que l’employeur renonce au licenciement et préfère intégrer le salarié de façon permanente.

La relation d’embauche étant établie, une baisse des coûts de licenciement réduit le surplus total associé à un emploi d’entrée. Par conséquent le surplus des travailleurs est à son tour réduit. A utilité des chômeurs constante, cela passe par une baisse de l’utilité dans un emploi d’entrée qui est obtenue via une hausse du seuil de productivité requis pour la conversion.

142

Que cela passe par l’approfondissement de l’avantage des emplois d’entrée sur les emplois stables ou par la réduction de la rente sur les emplois d’entrée, qui confère un pouvoir de négociation aux salariés, la baisse des coûts de licenciements en CDD aboutit à un relèvement du seuil de productivité requis pour la conversion des emplois d’entrée en emplois stables et par conséquent à une augmentation des licenciements sur les emplois d’entrée et à une réduction des emplois stables.

On a ici deux effets du coût de licenciement des CDD, d’une part il est un frein à l’usage immodéré des CDD, d’autre part il est à la source d’une rente relationnelle dont profitent les salariés pour accroître leurs exigences en ce qui concerne l’utilité d’un emploi d’entrée (notamment via les taux de conversion d’emplois d’entrée en emploi stable).

Le coût de licenciement en CDD est donc un déterminant de l’arbitrage entre CDD et CDI dans ce modèle. Une baisse de celui-ci est favorable aux CDD. Le montant des coûts de licenciement en CDD peut donc faire varier les frontières de la segmentation. Mais le principal déterminant de cette frontière est la fonction de répartition des productivités individuelles des travailleurs. Ce qui fait ici qu’un travailleur sera stabilisé ou restera dans des emplois d’entrée, c’est le niveau de sa productivité. Dans les modèles précédents les travailleurs ne se distinguaient pas selon leur productivité. Les frontières de la segmentation étaient déterminées par l’incertitude qui faisait que seule une partie des salariés était stabilisée, mais les caractéristiques individuelles des salariés n’entraient pas en compte dans l’explication de la segmentation. Ce qui freinait la généralisation des emplois stables dans ces modèles était la nécessité de pouvoir mettre un terme rapide à une relation salariale via les CDD, malgré le coût de ce type de contrat. Du fait de l’augmentation des coûts d’ajustement avec le nombre d’embauches, le CDD finissait par devenir optimal au-delà d’un certain seuil. Ce qui freine ici la généralisation des emplois stables c’est l’insuffisante productivité de certains salariés et l’obligation d’une embauche initiale en CDD. Ces salariés ne sont pas assez productifs pour que l’employeur prenne le risque de les embaucher de façon permanente, il est moins coûteux pour l’employeur de les licencier et de les remplacer par d’autres salariés que de continuer à les rémunérer pour une productivité insuffisante. L’incertitude sur la productivité individuelle des travailleurs a donc pris la place de l’incertitude sur la

143

demande ou sur la productivité (saisie au niveau de l’ensemble de l’entreprise) dans l’explication de la segmentation.

On trouve dans le modèle proposé par Cahuc et Postel-Vinay (2002) un rôle similaire des productivités individuelles dans l’explication de la segmentation. Ici les embauches peuvent se faire en CDD ou en CDI, mais la loi limite les cas dans lesquels le CDD est autorisé. La coexistence des deux types de contrats est, comme dans le modèle précédent, en partie due à la législation, par l’obligation de recourir à un certain type de contrat pour les embauches. Chez Blanchard et Landier, cette obligation concernait toutes les embauches, celles-ci ne pouvaient se réaliser qu’en CDD. Ici, l’obligation concerne seulement une part des embauches, laquelle ne peut intervenir qu’en CDI. Le CDD est considéré comme un contrat optimal à la fois par les employeurs et par les salariés dans la mesure où c’est le contrat qui permet de réaliser le surplus maximum à partager ensuite entre employeurs et salariés. Seule la loi vient mettre un frein à son usage en interdisant l’embauche en CDD pour certains types d’emplois et en obligeant à convertir le CDD en CDI au bout d’une certaine durée. Seuls les salariés dont la productivité est suffisante accèdent au CDI.

La frontière de la segmentation est délimitée d’une part par la loi et d’autre part par la distribution des productivités individuelles et la confrontation de ces productivités aux seuils de productivité de licenciement et de conversion de CDD en CDI. La productivité individuelle conditionne d’une part l’accès à l’emploi stable à partir d’un CDD, et d’autre part le maintien dans l’emploi stable. L’emploi stable est d’autant plus important que le taux de conversion de CDD en CDI est élevé et que les CDI durent longtemps. Autrement dit plus la part des salariés dont la productivité se situe au-dessus de ces deux seuils est élevée plus la part des CDI augmente. La part des CDI dans l’emploi dépend ainsi non seulement de la loi (pour ce qui est des embauches initiales), mais aussi de la distribution des productivités, et de la manière dont sont fixés les seuils de productivité critiques.

L’existence de ces seuils de productivité tient au fait que la conversion de CDD en CDI n’est pas automatique et qu’un CDI ne dure pas jusqu’au départ en retraite d’un salarié. La raison en est qu’à chaque période un salarié peut subir un choc de productivité individuel. Ainsi, ce n’est pas parce qu’il a été rentable pour l’employeur de convertir un emploi en CDI qu’il sera rentable d’embaucher ce salarié en CDI au

144

cours de toutes les périodes ultérieures. Le simple fait d’envisager un choc de productivité négatif amène l’employeur à prendre en compte les coûts de licenciement qu’il aura à subir si jamais ce choc intervient. Par conséquent la productivité du salarié doit être suffisamment élevée pour pouvoir compenser ce coût potentiel. Par ailleurs, la survenue d’un choc de productivité négatif peut entraîner le licenciement. L’incertitude sur la productivité individuelle implique donc le caractère non systématique des conversions de CDD en CDI ainsi que l’absence de garantie sur la pérennité des CDI. L’employeur définit alors des seuils de productivité à partir desquels il a intérêt à garder les salariés en CDI ou à convertir les salariés en fin de CDD en CDI. Ces seuils sont déterminés comme suit.

Dans ce modèle d’appariement, le seuil de productivité critique pour le licenciement est déterminé par l’équilibre entre une relation de création d’emplois et une relation de destruction d’emplois. En effet chacune de ces courbes représente une relation entre le seuil de productivité au dessous duquel l’employeur licencie et l’indicateur de tension sur le marché du travail. La relation de destruction d’emploi est une relation croissante : plus la tension est forte sur le marché du travail, plus l’utilité des chômeurs est élevée (car ils retrouvent plus facilement un emploi) et plus la productivité doit être élevée pour que l’employeur garde le salarié. La relation de création d’emploi est une relation décroissante : plus le seuil de productivité est faible, plus la durée d’un emploi est élevée (ce qui augmente la valeur actualisée d’un emploi), et plus les employeurs vont poster d’emplois vacants et par conséquent plus la tension sur le marché du travail va augmenter.

On peut alors s’interroger sur le rôle du coût de licenciement dans la détermination de ces seuils. Une hausse du coût de licenciement a un effet ambigu. D’une part elle abaisse le seuil de productivité concernant les licenciements : plus le coût de licenciement est élevé, plus l’employeur a intérêt à garder le salarié. A niveau de tension sur le marché du travail donné, plus le coût de licenciement est élevé, plus le seuil de productivité concernant le licenciement doit être faible (si ce n’est pas le cas, cela élève le seuil de conversion de CDD en CDI et donc réduit les conversions, ce qui aboutit à une réduction de la création d’emplois vacants et à une modification de la tension du marché du travail). D’autre part une hausse du coût de licenciement à seuil

Outline

Documents relatifs