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1. TERRITOIRES, MISSIONS ET ORGANISATION DU DISPOSITIF

1.4. UN MANDAT JUGÉ FLOU

Prise de contacts avec des gardiens d’immeubles, des gardiens de TEP ou de piscines, visite à un commerçant de nuit, repérage et comptage des sans-abri et des itinérants, prise de contact avec ces publics (et soutien le cas échéant), statique devant un collège, discussion avec les collégiens pour qu’ils ne s’attardent pas trop devant l’entrée, signalement des dépôts sauvages ou dangereux (bris de verre), de tags, de lampadaires déficients, vérification de la fermeture des parcs et jardins et TEP, médiations avec des jeunes, avec des locataires dans leur immeuble après un appel à leur base, accompagnement d’une vieille dame chez elle, etc. : la liste des activités des CdN est extrêmement variée. Que recouvre précisément leur mandat ? Quel est leur statut professionnel ?

Leur fiche de poste stipule qu’ils ont le statut d’agent d’accueil et de surveillance (AAS), spécialisé en médiation sociale17. Rien n’a changé depuis sur la nature des missions, nous dit l’adjoint du chef du BCDN. Mais au fil des entretiens menés avec eux mais aussi avec d’autres professionnels de terrain, le statut et le mandat des CdN ont été questionnés et sont apparus parfois insuffisamment définis pour eux et pour les autres. Pour certains d’entre eux, malgré l’apprentissage des missions lors de leur formation et les rappels réguliers de celles-ci par l’encadrant lors des briefings et le coordinateur opérationnel du BCDN, il demeure une incertitude sur le contenu de leur mandat. Celle-ci se focalise non pas sur leurs missions en tant que telles mais davantage sur les frontières de leur pouvoir d’action, la zone où ils ne s’estiment pas habilités à intervenir.

Ainsi, des CdN se demandent si leur travail consiste à faire de la médiation ou plutôt de la surveillance sécurité. Ils décortiquent l’appellation de leur fonction, précisant que la médiation vient seulement en option, en spécialité, qu’ils sont d’abord agents de surveillance. Ils

s’interrogent sur ce que l’on dit de ce qu’ils font essentiellement (de la médiation sociale) et s’interrogent sur le pourquoi et les finalités du comptage de sans-abri ou de prostituées :

« Les agents sont troublés par rapport à ce qu’on dit qu’ils doivent faire et ce qu’ils font. On leur dit

médiation et ils ont l’impression de faire de la délation en comptant les prostituées » (CdN).

Dans le même sens, l’utilisation du dispositif des CdN par les mairies d’arrondissement tend à appuyer sur certains aspects de leur mission plus que sur d’autres et ainsi à orienter le regard des usagers de la ville ou des professionnels, sur les CdN : « Dans ce quartier, on a un peu un rôle d’informateur par rapport au CVO, à la mairie, à la police… on nous a demandé des investigations qui pour moi dépassaient notre rôle de prévention… on nous a un peu trop demandé d’avoir des informations par exemple sur le vol d’argent dans le pressing » (CdN).

En somme, à la manière des caméléons, la couleur des CdN varie selon les spécificités de leur territoire d’intervention (densité sociale du quartier, type de populations) et selon l’utilisation par la mairie d’arrondissement du dispositif et sa gestion politique (cf. infra). Par ailleurs, l’hétérogénéité des tâches qu’ils doivent effectuer contribue encore à brouiller les frontières de leur métier : médiation, veille sociale, veille sanitaire, veille technique, etc. Ils sont ainsi comme des généralistes polyvalents de terrain, parfois davantage au service des services de la ville (propreté, voiries, vélib', police, etc.) que de ses usagers dont nous verrons qu’ils sont sous-informés sur le dispositif et les missions des CdN ou alors encore « en demande ».

« On est agent de surveillance 2e classe, option médiation… et on s’occupe des dépôts des vélibs ! Ça

n’a rien à voir avec la médiation ! Et si on ne le fait pas, on a un rapport sur le dos ! Ça n’a rien à voir, il y a un décalage ! On est médiateur non ? On ne sait pas quel est notre statut… on ne voit pas la logique… »

(CdN).

Là encore, les CdN se sentent « spoliés » selon leurs secteurs d’intervention. Par exemple, ils ne comprennent pas qu’ils doivent faire sortir les gens qui boivent de l’alcool dans les parcs et les squares, alors que le travail du gardien de square est justement de faire cesser ce comportement, doté de plus d’un pouvoir de la verbalisation jamais utilisé et que les CdN ne possèdent pas (tout comme son statut échelle 4 selon leurs propos). Les effets pervers de ce fonctionnement global des services de la ville peuvent mener les CdN à devoir effectuer un service public qui n’est pas ou plus complètement fait par d’autres agents des services publics de la ville, au détriment de l’activité de médiation. Au final, cette dernière devient la parente pauvre de l’ensemble de leurs missions, et plus encore lorsqu’elle est concurrencée par ce qu’ils nomment l’aspect « surveillance » de leur travail (remontée d’informations).

Cette incertitude de leur mandat a des conséquences concrètes sur l’activité de terrain. Apparemment, les modes d’action des CdN ne sont pas si évidents que cela puisque, procéduralement, nous l’avons vu supra, il leur faut toujours demander ce qu’ils doivent faire dans

telle situation, dans le feu de l’action. En outre, les consignes qui leur sont données ne sont pas toujours les mêmes, et peuvent varier selon le CVO, l’encadrant, l’adjoint de l’encadrant. Il semblerait que la confusion soit à son comble principalement dans les cas de situation d’urgence (bagarre entre jeunes, femme battue, SDF en danger) quand il s’agit d’agir promptement, ou quand le CdN doit gérer un conflit de loyauté, en quelque sorte entre ce qu’il estime être son devoir de citoyen et sa mission de CdN. Entrer dans cet immeuble pour sauver telle personne qu’il sait en danger ? Qui appeler d’abord ? Le téléphoniste qui prévient l’encadrant ? Le CVO ? Ou alors est-ce l’encadrant qui doit appeler le CVO ? Les pompiers ? La police ? Dans quel ordre ? Il peut arriver alors que des consignes se croisent et soient parfois contradictoires : CVO, BCDN, encadrant, encadrant-adjoint (ces derniers ont aussi leur propre lecture des règles parfois). On retombe là sur l’animation de la régulation (au niveau central et au niveau des bases) et l’aptitude au management, et sur la formation des agents et des encadrants CdN.

Voici des extraits de propos de CdN que nous avons recueillis qui illustrent ce télescopage et ces contradictions récurrentes « des » hiérarchies, les fluctuations des consignes et le ressenti d’une certaine incohérence de l’action parfois du point de vue des agents :

« Quand il y a une bagarre, selon l’interprétation qu’on en a, on nous dira que soit on s’est trop exposé, qu’on a joué les cow-boy, que soit on aurait dû intervenir… selon le BCDN… en gros c’est pas très clair… tant qu’il n’y a pas de problème ça roule, mais si il y a un problème, soit on aura mal agi, soit on

aura fait trop de zèle, soit on aura manqué de zèle… on a un mandat flou » (CdN).

« Les missions elles sont claires mais elles sont mal expliquées (…). Un jour, on nous a demandé

d’accompagner une vieille dame au 168 rue Saint-Charles… on a appelé Mme Y qui était chef-adjoint et le

CVO qui nous ont donné l’aval, (…) à notre retour, notre chef (…) nous a engueulés, on n’avait pas le

droit d’y aller… c’était hors secteur. La vieille dame elle connaissait le maire… deux semaines plus tard, le

maire nous a félicités » (CdN).

Au final, les CdN se demandent qui ils sont : des médiateurs ou des îlotiers ? Derrière cette interrogation, les agents pointent indirectement la part de leur activité qui leur paraît la moins développée ou la moins aboutie ou encore celle dont les effets sont les moins visibles : la médiation. On notera par ailleurs que le regard qu’ils portent sur le travail de CdN est lié aussi à leur origine professionnelle.

« Nous on fait pas vraiment de la médiation… On fait plus de l’îlotage. Pas de la sécurité… mais

un peu quand même. Sans la répression. Nous on fait plus de la dissuasion » (CdN).

« On est plus des îlotiers (…) on est à mi-chemin entre ces deux corps de métiers : la sécurité et le

social… certains d’entre nous se retrouvent d’un côté ou de l’autre… certains sont plus sécurité-protection…

d’autres plus social » (CdN).

Ensuite, dans la pratique, de par les possibilités d’interprétations que laissent entrevoir ces demandes contradictoires, s’opèrent des petits arrangements avec la règle : entrer dans un immeuble sans qu’un locataire en ait fait la demande, sortir du secteur pour voir un SDF…

« On sait qu’il y a un SDF hors de notre secteur, mais à côté, alors on va voir rapidement si il va

bien, surtout quand il fait très froid » (CdN).